Elections européennes et Français de l’étranger
Anne Riviere | 20 juin 2014
Elections européennes et Français de l’étranger
Pour la première fois en mai dernier, les Français résidant hors de France ont voté aux élections européennes, pour une des listes de l’Euro-circonscription d’Ile-de-France à laquelle ils sont rattachés depuis la loi du 26 mai 2011.
Une nouvelle disposition d’importance, puisqu’en théorie, ce sont ainsi plus de 1,6 millions d’électeurs inscrits qui sont rattachés à une Euro-circonscription qui en compte 8 millions et enregistre 61% d’abstention. C’est aussi l’occasion d’évoquer cet électorat souvent mal connu, caricaturé, quand il n’est pas le grand oublié des stratégies et communications électorales.
Le vote des Français de l’étranger : une manne électorale ?
En quelques années, et en particulier depuis la révision constitutionnelle de 2008, la représentation des Français de l’étranger a profondément évolué. Ces évolutions étaient nécessaires afin de permettre à une communauté toujours plus nombreuse de prendre pleinement part à la vie démocratique et de ne pas perdre le lien avec leur pays, qu’ils soient expatriés de courte durée, résidents de longue date ou binationaux.
Ce sont donc environ 2,5 millions de Français à l’étranger qui pourraient théoriquement voter pour les élections présidentielles, législatives (la révision constitutionnelle de 2008 a créé 11 circonscriptions hors de France), européennes, pour les référendums ainsi que pour l’élection de leurs représentants locaux: les conseillers et délégués consulaires. A ces scrutins, il faut rajouter la possibilité de voter par procuration lors des élections locales, notamment municipales, les Français de l’étranger pouvant être rattachés à une commune en France.
Encore faudrait-il que tous ces Français soient inscrits sur les listes électorales consulaires, ce qui est loin d’être le cas. Tous n’ont pas forcément le réflexe de s’inscrire, notamment les expatriés de courte durée, et ce sont ainsi plusieurs centaines de milliers d’électeurs qui manquent à l’appel et de votes qui ne sont pas exprimés. Il y a donc là un réservoir de voix non négligeable pour quiconque encouragerait les campagnes d’inscription sur les listes électorales.
Pourtant, le constat est assez accablant : les candidats n’ont que très marginalement ciblé cette manne électorale potentielle par le passé. Trop éloignée, trop difficile à atteindre, trop composite, trop « à droite », la communauté française à l’étranger est souvent la grande oubliée des campagnes électorales. Même lorsque des communications leur sont adressées, le message est souvent inadapté et diffusé de manière intempestive via un spamming mal maîtrisé, qui irrite plus qu’il ne convainc.
D’une manière générale, un certain « nombrilisme hexagonal » dans la délivrance du message politique et dans les stratégies de campagne utilisées prive les candidats d’électeurs qui leur seraient facilement acquis pourvu qu’ils soient davantage considérés et intégrés au débat. Les candidats auraient pourtant beaucoup à puiser au contact de ces Français d’ailleurs, pour enrichir leur programme et leur vision, et beaucoup à gagner à s’adresser à ce million et demi d’électeurs potentiels en s’appuyant sur un message et des campagnes adaptées.
La droite en tête, percée d’EELV, le PS s’écroule
Dans le cas de ces élections européennes, un manque de pédagogie et de sensibilisation aux enjeux de ce scrutin sont sans doute à déplorer. En effet, l’électorat français à l’étranger, qui doit souvent effectuer de très longs trajets pour se rendre aux urnes[1], ne s’est que très peu mobilisé et la participation a peiné à atteindre les 11% (à titre de comparaison, la participation au second tour de l’élection présidentielle 2012 s’élevait à 42.18%). Cette forte abstention ne permet pas de tirer des enseignements clairs et définitifs mais permet tout au plus de dégager certaines tendances[2].
Tout d’abord, les résultats enregistrés à l’étranger ne reflètent pas la tendance nationale. En effet, l’UMP arrive en tête recueillant 23% des suffrages exprimés, suivie par l’UDI/Modem (15,63%). Devancé par EELV (14,74%), le PS n’obtient quant à lui que 13,16%, un score en dessous de son résultat national, déjà très faible. Le FN, quant à lui, ne recueille que 8,94%, plus de 16 points en dessous de son score national.
A titre de comparaison par rapport au premier tour de la dernière élection présidentielle, le score combiné de l’UMP et de l’UDI (38%) correspond au score de Nicolas Sarkozy. Le vote de droite est donc relativement stable à l’étranger. En revanche, les électeurs du PS (ils étaient 28% en 2012) lui ont fait défaut et se sont reportés sur d’autres partis, dont EELV qui enregistre une progression de 10 points, et semblent ainsi sanctionner la politique de François Hollande, dont la popularité est en berne également à l’étranger. Le score du FN est lui en progression de trois points par rapport à 2012.
La France de l’étranger rejette (encore) le FN.
L’élément de contraste le plus frappant par rapport au résultat national est sans aucun doute le faible score du FN, qui reste assez largement rejeté par les Français de l’étranger.
Comme au niveau national, le vote FN, bien que faible, répond à des considérations multiples (volonté d’une plus stricte maîtrise de l’immigration ; rejet de l’Euro ; exaspération face à une Union Européenne jugée trop technocrate ; vote sanction à l’encontre des formations politiques traditionnelles etc …). Ces motivations varient selon les profils des électeurs et les régions du monde où ils se trouvent. Il serait en effet trompeur de vouloir présenter les Français de l’étranger comme une catégorie homogène quand elle regroupe en réalité des situations très différentes allant de l’étudiant en échange, de l’expatrié de courte durée au résident permanent ou au « binational ».
Si ce qui motive le vote pro-FN peut varier d’un électeur résident à l’étranger à un autre, l’absence de large progression du FN peut s’expliquer par certaines caractéristiques partagées par la très grande majorité des Français de l’étranger. Ces électeurs ont en effet un dénominateur commun. Ils vivent hors de l’hexagone, voient la France avec un œil extérieur, ont pu apprécier la réalité du monde et expérimenter d’autres modèles. Ce profil commun les amène à rejeter l’idée d’une France qui devrait se replier sur elle-même, ou comme l’écrivait Roger Cohen, se « retrancher dans sa rancœur ».
Au contraire, la vision de la France à l’étranger milite pour un pays ambitieux et conquérant, qui prend pleinement sa place dans l’ordre mondial et cherche à briller par ses nombreux atouts et talents. C’est une France qui s’ouvre pour être compétitive que veulent les Français de l’étranger et non une France sclérosée et enfermée dans un protectionnisme qui isolerait notre pays, pour le précipiter un peu plus vers le déclin.
Le discours de Marine Le Pen repose aussi et essentiellement sur la peur et le pessimisme. Hors l’expérience de l’expatriation, en ce qu’elle implique souvent une prise de risque, de l’audace et une bonne dose d’optimisme, rend l’électorat Français à l’étranger assez hermétique au discours du FN. D’autres, au premier rang desquels nos compatriotes binationaux, reprocheront enfin au FN son « rejet de l’autre » et se souviendront sans doute de la volonté de Marine Le Pen de supprimer la double nationalité[3]. Répondant à une interview en 2012, Marine Le Pen affirmait en effet qu’«on n’a qu’une identité, comme on n’a qu’une nationalité ». Une aberration absolue pour tous ces Français qui, s’ils n’oublient pas d’où ils viennent, sont aussi façonnés par leur expérience au contact d’autres cultures et d’autres modes de pensée.
Le grand échec du FN est au fond celui de ne pas comprendre que tous ces Français connectés au reste du monde sont une richesse pour la France et peuvent lui apporter l’optimisme et le souffle dont elle a tant besoin.
Anne Rivière
Crédit photo : GlasgowAmateur
[1] Le vote électronique n’est autorisé que pour les élections consulaires et législatives.
[2] Par ailleurs, toute analyse du vote des Français à l’étranger devrait être complétée par une analyse par région du monde, voire par pays pour être réellement pertinente.
[3] En dehors des pays européens
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