Et si les Suisses élisaient vraiment leurs dirigeants?
Fondapol | 29 septembre 2011
Un nouvel enjeu électoral
Le 7 septembre dernier, la socialiste Micheline Calmy-Rey, actuelle présidente de la Confédération helvétique, a annoncé qu’elle quitterait ses fonctions de conseillère fédérale à la fin de son mandat en décembre. Le Conseil fédéral, formé de sept membres élus par le parlement et issus des principaux partis politiques, exerce le pouvoir exécutif en Suisse. Ce gouvernement n’est pas l’émanation d’une majorité parlementaire et résulte d’un accord passé entre les principales formations politiques. Il fonctionne selon le principe de collégialité : toutes les décisions sont prises par consensus. Le concept d’alternance politique est donc inexistant en Suisse.
A la campagne pour les élections fédérales qui, le 23 octobre prochain, renouvelleront le parlement s’ajoute cette année celle pour la succession de l’actuelle présidente de la Confédération helvétique. Le vote des électeurs aura donc pour la première fois des répercussions directes sur la composition du futur Conseil fédéral, une situation qui rapproche la Suisse des autres démocraties européennes.
Calculs savants au Conseil fédéral
Jusqu’en 2003, les sièges du Conseil fédéral étaient répartis selon la fameuse formule magique (2-2-2-1), soit deux sièges pour le Parti radical-démocratique (PRD), deux pour le Parti démocrate-chrétien (PDC), deux pour le Parti socialiste PS et un pour l’Union démocratique du centre (UDC). La tradition voulait que les candidats sortants soient reconduits à leur poste, tout au moins tant qu’ils étaient d’accord pour assumer leurs fonctions. Après les élections de 2003, cependant, la conseillère fédérale Ruth Metzler-Arnold (PDC) n’est pas réélue – une première depuis 1872. Elle est remplacée par le leader du parti populiste de l’UDC, Christoph Blocher. Cinq ans plus tard, après les élections fédérales de 2007, celui-ci est à son tour exclu du Conseil. L’UDC, premier parti du pays depuis 1999, doit alors se contenter d’un seul siège quand les formations qui obtiennent de plus faibles résultats aux élections fédérales, disposent, elles, de deux élus.
Crise de la « concordance »
Ce « système de concordance » qui régit le pays est en crise. En effet, la participation au gouvernement ne garantit plus le consensus et le rôle de premier opposant du pays joué par l’UDC – qui dans le même temps se bat pour conquérir un deuxième siège au Conseil fédéral – nourrit la méfiance des Suisses envers leur gouvernement. Au cours de la législature 2007-2011, la position du Conseil fédéral a été soutenue par l’ensemble des formations du gouvernement dans seulement deux des vingt-cinq votations populaires. Le PS s’y est opposé treize fois et l’UDC, douze fois. Ce dernier parti, qui fixe l’agenda politique et pèse sur les décisions gouvernementales, est indéniablement le grand bénéficiaire de la crise de la concordance. Les formations qui travaillent à l’élaboration des politiques sont à la peine et perdent régulièrement des électeurs.
Le renforcement de la bipolarisation et l’effondrement continu du centre (dont de nombreux électeurs ont rejoint les rangs de l’UDC) sont des signes supplémentaires de l’évolution de la Suisse. La scène politique nationale s’est polarisée et l’électorat s’est dispersé, mettant à mal la stabilité légendaire du pays.
Initiative populaire ?
Certains politiques sont aujourd’hui favorables à une réforme du système politique du pays qui doterait Berne d’un système de gouvernement proche de celui des autres démocraties européennes en permettant au gouvernement de mieux répondre aux défis actuels auxquels le pays doit faire face et en accordant davantage de poids au vote des Suisses.
L’UDC a récemment proposé une initiative populaire sur l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Le texte prévoit l’organisation d’élections fédérales tous les quatre ans au système majoritaire au sein d’une seule circonscription nationale. Le président de la Confédération helvétique serait désigné par le Conseil fédéral, et non plus par le parlement. L’élection du gouvernement au suffrage universel est une ancienne revendication de la gauche suisse. Elle a été rejetée par deux fois (en 1900 et en 1942) par les électeurs.
Autre proposition : un système de « petite concordance » qui propose de passer à un Conseil fédéral restreint à trois ou quatre partis dont soit l’UDC soit le PS serait exclu.
La résistance du système
Les opposants à toute réforme affirment que le changement accroîtrait les conflits entre les partis et mettent en avant la confiance actuelle dont bénéficie le gouvernement suisse, confiance qui est effectivement l’une des plus élevées en Europe. Ils affirment également qu’en dépit de ses imperfections, le système actuel de collégialité permet de faire face de façon très efficace aux enjeux actuels. Les opposants aiment à citer en exemple la loi sur le frein à l’endettement de l’Etat, votée par Berne en 2003 et que tous les pays européens souhaitent aujourd’hui adopter. Beaucoup rappellent également que la Suisse est un Etat fédéral qui possède quatre langues nationales ; selon eux, le suffrage universel ne permettrait pas de garantir les équilibres régionaux et linguistiques. Enfin, certains mettent avant le fait qu’une élection par le peuple nécessiterait des ressources financières importantes et accroîtrait les chances des partis les plus riches. Un dernier argument particulièrement intéressant quand on sait qu’il n’existe aujourd’hui aucun contrôle sur le financement des partis politiques en Suisse – particularité que la Confédération partage en Europe avec la Suède. Depuis mai dernier, l’UDC a dépensé 3,39 millions de francs pour sa campagne électorale, pour 1,77 million au PRD, 1,27 million pour le PDC et 300 000 francs pour le PS.
La stratégie populiste de l’UDC
A l’heure de la désaffection électorale et de la crise de la représentation qui entraîne le déclin des partis de gouvernement et la montée des formations populistes dans toute l’Europe, il n’est pas certain qu’une réforme de son système politique soit la solution aux maux dont souffre la Suisse.
Les citoyens devraient être amenés à se prononcer par référendum – mais pas avant plusieurs années – sur l’initiative populaire de l’UDC. Néanmoins, avec ce projet, la formation populiste peut une fois de plus s’afficher comme le parti du peuple qui dénonce les magouilles des élites. Une position enviable en période électorale.
Corinne Deloy
Crédit photo : Google Images, Martins007
Aucun commentaire.