Et si on déménageait l’Elysée ?

23 novembre 2013


23.11.2013Et si on déménageait l’Elysée ?

Après chaque élection présidentielle en France, l’installation du nouvel élu au palais de l’Élysée nous paraît aller de soi. Pourtant, savez-vous seulement que, par deux fois au moins dans notre histoire contemporaine, la présidence de la République a été bien près de s’installer ailleurs ? Et du reste, l’heure n’est-elle pas venue, enfin, de mener à bien ce beau projet ?

Cet hôtel particulier Régence du très chic VIIIe arrondissement — cette « bonbonnière de Pompadour » — pouvait encore convenir aux présidents des Troisième et Quatrième Républiques, présidents soliveaux, de faible épaisseur institutionnelle, qui inauguraient les chrysanthèmes, à l’instar de leurs homologues, souverains européens en leurs palais.

Avec l’avènement de la Cinquième République en 1958, la présidence française est devenue une impressionnante machine à gouverner et à représenter. Raison pour laquelle le général de Gaulle a voulu déménager vers un lieu plus en adéquation avec l’idée qu’il se faisait de son rôle dans les institutions nouvelles. Il a successivement envisagé plusieurs solutions — avec une préférence marquée pour le vieux château médiéval de Vincennes — avant finalement de renoncer au projet en raison de son coût. François Mitterrand, à son tour, a lui aussi calé devant la dépense après avoir un temps lorgné sur les Invalides.

Car il faut bien comprendre que l’Élysée procure à son locataire certaines satisfactions, bien sûr, mais surtout bien des soucis.

De nature pratique d’abord : les espaces du palais sont peu fonctionnels, inconfortables, surannés, inadaptés et… inadaptables parce que trop anciens. Plus d’un millier de personnes y travaillent et les locaux, éclatés sur plusieurs corps de bâtiments et même sur plusieurs sites, sont insuffisants et il faut toujours « pousser les murs » en annexant des bâtiments voisins. Bien sûr, le grand public connaît surtout les prestigieux salons d’apparat du rez-de-chaussée, et éventuellement ceux qui servent de bureaux au président lui-même et à ses plus proches collaborateurs au premier étage, mais on les compte sur les doigts d’une main ! Et l’on sait moins à quelle enseigne incommode sont logés les conseillers techniques, secrétaires, agents de sécurité et personnels du palais. De plus, la grande solennité du lieu et le poids de son histoire participent au malaise carcéral éprouvé par nos présidents — presque tous s’en sont plaints — comme par leurs collaborateurs —beaucoup en ont témoigné. Il faut enfin rappeler que ces lieux sont non seulement anciens mais vétustes même, et les impressionnants travaux de restauration effectués à l’été 2011 n’ont représenté qu’une partie seulement du strict minimum urgent que nécessitait alors le bâtiment.

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Mais le malaise de la présidence à l’Élysée tient aussi et peut-être surtout à des raisons d’ordre symbolique. Par sa situation géographique d’abord, puisque le palais présidentiel est enclavé dans un quartier bourgeois dédié à la mode, aux antiquités et au luxe (un voisinage que le général de Gaulle n’appréciait pas). Par son aspect également : à l’extérieur comme à l’intérieur, le palais de l’Élysée est visiblement en décalage avec notre époque. Je sais bien que, pour un certain nombre d’entre nous, en matière de pouvoir et d’institutions, ancienneté rime avec continuité et légitimité… mais de même que conservatisme rime bien souvent avec immobilisme, et nostalgie avec paralysie. Et comment comprendre alors l’intention qui fut celle des présidents de Gaulle et Mitterrand, de Valéry Giscard d’Estaing et de Nicolas Sarkozy qui disent eux aussi avoir songé à déménager la présidence ? Et comment interpréter les différentes tentatives de moderniser les lieux entreprises par le couple Pompidou puis par les Mitterrand ? (avec plus ou moins de réussite, avouons-le).

C’est que, dans un bâtiment comme l’Élysée, le pouvoir est ou paraît symboliquement sanctuarisé, donc séparé : aux yeux des Français, les « gens de l’Élysée » paraissent éloignés, voire franchement déconnectés des réalités et l’on use fréquemment du vocable de « Château » comme déjà nos ancêtres naguère évoquant Versailles ou les Tuileries. Bien entendu, l’architecture et l’ancienneté des lieux participent grandement à entretenir cette fâcheuse représentation.

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Nos présidents sont ainsi condamnés à chercher empiriquement un équilibre toujours précaire dans le rapport délicat et ambigu qu’ils entretiennent au palais et qu’ils croient montrable aux Français. Qu’ils choisissent de l’exhiber comme une fierté patriotique, de le masquer artificiellement, ou de s’en extraire pour paraître plus accessibles et moins sourds à l’opinion publique, l’Élysée est bien un attribut du pouvoir présidentiel, mais un attribut aussi encombrant que légitimant.

Quelque opportune qu’on la considère — et vous aurez compris que je plaide pour une sorte d’aggiornamento, de modernisation de notre présidence —, la décision de déménager l’Élysée serait une mesure symbolique très forte. Elle n’est pas une idée partisane, elle n’est pas dogmatique, elle n’est ni de droite ni de gauche, elle est en quelque sorte « diagonale ».

On gagnerait alors à s’inspirer de quelques réalisations récentes et voisines, comme la nouvelle Chancellerie de l’Allemagne réunifiée, la Moncloa espagnole, ou les bâtiments européens édifiés à Strasbourg et à Bruxelles.

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Il se trouve que j’ai eu le plaisir d’être rejoint dans mes recherches toutes théoriques et historiques par une recherche, plus concrète celle-là, que j’aimerais maintenant vous présenter parce qu’elle rend visuellement presque palpable ce qui pourrait être un bâtiment nouveau dédié à la présidence du xxie siècle. Il s’agit d’un travail de fin d’études réalisé et soutenu en 2010 par une élève de l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, Marie Coulon, qui a eu le courage, et il faut l’en féliciter, de s’affronter au délicat problème de la monumentalité d’un bâtiment public prestigieux à notre époque. On en pense ce qu’on veut, on aime ou on n’aime pas, il y aurait d’autres solutions et d’autres partis possibles. Ce n’est qu’une proposition. Je la trouve pour ma part plutôt séduisante et même assez convaincante.

À une époque où les citoyens que nous sommes traversent une crise profonde qui n’est pas qu’économique, financière et sociale mais qui est aussi une crise du politique, de la représentation, de l’autorité, il me semble qu’il serait temps de prendre conscience que la présidence d’un pays moderne au xxie siècle n’a plus rien à faire dans un palais de la noblesse Louis XV, dont tout rappelle, certes, une grandeur et un savoir-faire français, mais d’une époque tout à fait révolue et qui n’a plus sa place que dans une pure logique patrimoniale et muséale. Au reste, on aurait sans doute plaisir et fierté à visiter l’Élysée transformé en « musée de l’histoire républicaine », par exemple.

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Par-dessus tout, je propose que nous ayons le courage d’assumer notre époque et de lui faire confiance dans ce qu’elle peut produire de meilleur, en élevant un nouveau bâtiment pour la présidence de la République conforme à ce que nous sommes et voulons être. Ce qui reviendrait à produire aujourd’hui un futur élément culturel et patrimonial, comme on prend rendez-vous avec les siècles et les générations à venir en témoignant de son temps.

Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle écrivait avec lucidité : « La France est une princesse de conte pour enfants, et elle ne se reconnaît que dans la grandeur. » Et il précisait : « Pas la puissance : la grandeur. » Eh bien, quant à moi, je dis que la grandeur, à force de se reposer dessus, elle finit par se tasser ; encore faut-il l’alimenter.

 

Je compte sur votre soutien !

Merci !

Alexis Buvat, auteur du site www.demenageonslelysee.f

Crédit photo : Flickr, Jazmin Million

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