Euro fort (2°) : Et si on parlait d’intérêts bien compris ?
27 février 2013
Euro fort (2°) : Et si on parlait d’intérêts bien compris ?
Dans un article précédent l’économiste Nicolas Goetzmann a mis en lumière la divergence nette d’intérêts entre la France et l’Allemagne quant au niveau de l’euro, qui serait profitable à cette dernière au détriment de notre pays et plus largement de l’ensemble de la zone euro. Christophe de Voogd, responsable du blog « trop libre », présente aujourd’hui un point de vue différent, fondé sur des considérations historiques de moyen et de long terme. Et s’il rejoint Nicolas Goetzmann sur l’urgence d’un assouplissement de la politique monétaire européenne, il formule différemment les termes de cet enjeu.
De la lecture des courbes
Un consensus – fait si rare dans notre pays ! – semble se faire jour en ce moment sur le niveau jugé excessif de l’euro, au profit de l’Allemagne et à notre détriment. L’argumentaire est fondé sur les résultats « insolents » de l’économie allemande depuis 2010, alors que les autres pays ne parviennent pas à sortir du marasme. Les courbes réalisées par le professeur David Beckworth http://macromarketmusings.blogspot.fr/ montrent sans discussion possible cette divergence des taux de croissance.
Mais de là à l’attribuer à l’euro fort, il y a un « saut intellectuel » qui pose d’abord un problème de méthodologie : en effet ces courbes ne montrent en toute rigueur qu’une seule chose : la meilleure résistance de l’économie allemande à la crise. Pour attribuer cette résilience au niveau de l’euro, il faudrait comparer l’évolution des PNB (réels et nominaux) à celle de la parité euro-dollar. Or la mise en parallèle de ces courbes n’est pas concluante : depuis 5 ans, l’euro a fortement évolué, entre 1,60 et 1, 20 euros, suivant des phases d’appréciation et de dévalorisation successives et rapides qui ne correspondent pas au profil des courbes des PNB…
Euro fort ? Euro faible ?
Soit. Mais l’on dira –à juste titre – que le niveau moyen de l’euro sur la période (1,37 euro pour un $) est bel et bien élevé. Notons que l’argument ne vaut que relativement et que si l’on ajoute immédiatement « trop élevé pour la compétitivité française ». Car, pour l’Allemagne l’euro est bel et bien une monnaie sous-évaluée par rapport à la compétitivité réelle de son économie : si mark allemand il y avait aujourd’hui, il se situerait à un niveau bien supérieur. Autrement dit :
1. la politique de la BCE n’est pas aussi restrictive qu’on le prétend : les centaines de milliards injectés depuis la fin 2011 par Mario Draghi et la faiblesse historique des taux d’intérêt dans la zone euro devrait faire réfléchir à deux fois avant de parler de « déflation » et de se lancer dans des comparaisons infondées avec les années 30, où la réaction des autorités monétaires avait été exactement l’inverse.
2. Le différentiel de compétitivité reste bien le critère clef de la situation actuelle. Le débat monétaire en cours ne contribue-t-il pas, et, chez certains responsables politiques, voire chez certains économistes, notamment à l’extrême droite et à gauche, ne vise-t-il pas à masquer cet enjeu fondamental ?
Soit, dira-ton encore, mais cela ne retire rien – au contraire – au fait que l’Allemagne profite à plein de la politique monétaire actuelle de la BCE : celle-ci lui garantit à la fois un euro suffisamment fort pour faire face à ses importations d’énergie et suffisamment faible pour tirer le bénéfice maximal de son avantage de compétitivité. C’est bien pourquoi la chancelière se réjouit du niveau actuel de la monnaie commune.
Intérêts bien compris
En cela –peut-on le lui reprocher ? – elle ne fait que défendre les intérêts bien compris de son pays. Pour un libéral, le mot d’ « intérêt » n’est en rien une insulte mais le fondement même de toute politique –et a fortiori de toute politique économique ! Or quels sont donc, face aux intérêts allemands, les vrais intérêts de la France en matière de politique monétaire ? Pour les évaluer justement, il n’est pas inutile de rappeler un certain nombre d’éléments, souvent perdus de vue dans le débat en cours:
1/ la création de l’euro n’était pas une demande allemande mais française, que le président Mitterrand a eu le plus grand mal à imposer.
2/ La solidarité monétaire de l’euro a permis à notre pays de s’endetter sans inflation et jusqu’à présent sans… limite. Curieuse « austérité européenne », en vérité, qui nous permet d’avoir un déficit budgétaire constamment supérieur aux 3% de Maastricht et une dette de… 30 points supérieure au critère des 60% !
3/ La pratique antérieure si française – et si italienne – des « dévaluations compétitives » rend-elle si désirable la panacée que l’on nous promet ? Il semble que l’on ait oublié le phénomène dit de stagflation qui a plombé l’économie française pendant plus de dix ans (1974-1985). L’inflation n’est pas en soi une garantie de croissance. Sans doute le monétarisme a-t-il aujourd’hui mauvaise presse, mais il ne faudrait pas totalement faire l’impasse sur sa pertinente mise en garde contre les dangers de « l’illusion monétaire ».
4/ Le débat n’oppose pas seulement la France et l’Allemagne. Nicolas Goetzmann a raison de le rappeler : face « aux pauvres pays du sud », existe un vrai « bloc du nord » avec, autour de l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg, la Finlande et les Pays-Bas, qui ne sont pas vraiment des « nains économiques ». Et l’on devrait parfois s’aviser qu’au risque d’une sortie (imposée) des pays du Sud de l’euro, répond un risque de sortie (volontaire) des pays du Nord…
5/ Il n’est pas d’économie sans sociologie : c’est à juste titre, là encore, que Nicolas Goetzmann invoque les considérations démographiques ; mais avant d’opposer, comme le font certains, une Allemagne « vieillissante et rentière » à une France « jeune et sans emploi », il ne faut pas oublier que le vieillissement démographique n’est pas une exclusivité allemande et que les pays du sud – Grèce et Espagne en tête – en souffre au moins autant ; que la France elle-même compte 15 millions de retraités : retraités qui sont toujours les première victimes de l’inflation.
Autrement dit, admettons que la politique de « l’euro fort » n’a pas servi que les intérêts allemands mais aussi ceux de nos propres dirigeants pour s’endetter à bon compte et différer les réformes, ainsi que de nos innombrables rentiers pour garantir leur pouvoir d’achat…
Gare au bouc émissaire !
Et nous voici arrivés dans « le dur » des choix politiques : la préférence européenne pour la stabilité des prix n’est-elle pas au fond le reflet d’une démographie vieillissante à l’échelle du continent, où les classes propriétaires et rentières pèsent, dans tous les pays, de façon décisive dans les choix électoraux ? Ne cherchons pas ailleurs l’attachement persistant, qui n’a rien de sentimental, à l’euro et qui, de la Grèce à la France, a fait jusqu’à présent échouer toutes les tentations de sortie de la monnaie commune. Qui est prêt à voir sa retraite, ses loyers – et ses économies !- fondre d’un coup de 20% (au moins) ?
Demeure intacte la pertinente question posée par Nicolas Goetzmann : les choses étant ce qu’elles sont, c’est-à-dire vu le considérable retard de notre compétitivité, la France a bel et bien intérêt à un euro plus faible que ne le veut l’Allemagne.
Mais, là encore, un libéral ne sera nullement traumatisé par le constat d’une divergence d’intérêts, fait premier de toute société humaine ; et qui trouve naturellement sa solution dans le compromis ; maître mot s’il en est, et depuis l’origine, de la construction européenne ; mais, il est vrai, point aveugle de notre propre culture politique – et économique. La transformation de l’obstacle en ennemi, la désignation d’un bouc émissaire et les théories du complot sont plus tentantes et plus payantes !
Un compromis possible et simple
Dès lors la seule question pertinente est : un tel compromis est-il possible ? Et en quels termes ? Dans les mots de Nicolas Goetzmann, comment parvenir à « un arbitrage optimal entre croissance et inflation » ?
A la première question nous répondrons oui, sans hésitation. Et pour deux raisons fondamentales :
1. l’intérêt bien compris des pays du Nord, fortement exportateurs vers la zone euro, n’est pas la ruine des pays du Sud.
2. la politique monétaire agressive menée par la Chine, les Etats-Unis et désormais par le Japon est une menace sérieuse pour les exportations allemandes, alors même que la zone euro est en récession. Le défi japonais est particulièrement redoutable car l’industrie nippone est exactement positionnée sur les créneaux d’excellence allemands (automobiles, biens d’équipement).
Mais ce compromis ne sera passé qu’à une condition : que les pays du sud – et en premier lieu l’Italie et la France- ne tournent pas sans cesse autour du pot des réformes nécessaires au rétablissement de leur compétitivité.
Il se trouve, chose à peine imaginable, que les pays du Nord sont des démocraties dotées d’une opinion publique : au lieu de nous contenter des « messages d’impatience et de détresse » du Sud adressés à Berlin, intéressons-nous parfois au message du Nord adressé au Sud. Question très agaçante, j’en conviens : combien de temps encore le retraité allemand et le fonctionnaire néerlandais accepteront-ils de payer pour « les acquis sociaux » de leurs homologues du sud ? Acquis qu’ils ont eux- mêmes, et depuis longtemps, perdus….
Dès lors, les termes du compromis sont à la fois urgents et clairs : assouplissement de la politique monétaire au Nord contre garantie ferme de réformes structurelles au Sud.
Mauvais signaux
Or, sommes-nous vraiment en train de donner à nos partenaires une telle garantie ? Du retour partiel à la retraite à 60 ans à la suppression du jour de carence des fonctionnaires, en passant par le caractère modeste et vague de la réduction de nos dépenses publiques, nous leur envoyons, chaque jour qui passe, autant de signaux contraires. Pour ne rien dire des élections italiennes…
Christophe de Voogd
Crédit photo, Flickr: Images_of_Money
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