Eva Joly contre le défilé militaire du 14 juillet : la part de la mémoire... et de l'histoire

Fondapol | 20 juillet 2011

20.07.2011Cet article est dédié à Frédéric Benhaim

Le moment n’était peut-être pas le mieux venu pour interroger les rapports -plus complexes qu’il y paraît- entre les Français et leur armée, puisque notre pays venait de perdre sept de ses soldats, en ce 14 juillet  2011…

Mais dépassons un instant le contexte médiatico-émotionnel pour aller au fond des choses !

En déclarant que le défilé militaire du 14 juillet symbolisait « le passé » et en proposant de lui substituer un « défilé citoyen », Eva Joly a en effet ouvert un débat qui ne peut manquer d’intéresser les historiens et les citoyens.

Rappeler la fête de la Fédération… et non la prise de la Bastille !

Qui sait, en France, que la fête nationale française ne commémore pas, comme on le croit souvent, la prise de la Bastille du 14 juillet 1789, mais bien la fête de la Fédération qui eut lieu un an plus tard, jour pour jour ?

Or, c’est bien la fête de la Fédération, « acte de naissance du patriotisme français[1] » d’après l’historienne Mona Ozouf, qui est rappelée chaque 14 juillet.

Notre fête nationale se souvient par conséquent d’une France réconciliée, en paix avec ses voisins, et qui n’avait pas hésité à adresser une « déclaration de paix au monde » dès le 22 mai 1790. Pas d’une France victorieuse ou guerrière, non! Mais d’un pays où l’aspiration à plus de liberté, d’égalité et de fraternité n’entrait pas (pas encore ?) en contradiction avec le désir d’ordre et de sécurité.

Le 14 juillet 1790 : une fête qui n’avait rien de spécifiquement militaire

En somme, il n’y avait dans cette fête de la Fédération du 14 juillet 1790 rien de spécifiquement militaire.

Certes, des soldats fédérés défilèrent à cette occasion dans Paris. Mais ils appartenaient à cette milice qu’on appelait garde nationale, et dont la mission était d’impressionner les ennemis de la Révolution comme d’empêcher certains désordres populaires.

Au surplus, de la Bastille au Champ-de-Mars, les « soldats citoyens » furent précédés, ce 14 juillet 1790, par des civils… dont les membres de l’Assemblée constituante !

Des historiens engagés –pudique expression pour dire « de gauche »- ont beau ne voir dans la fête de la Fédération que « l’apothéose de ces notables modérés que personnalisait La Fayette » et observer que « le petit peuple n’[y] était convié qu’à un spectacle[2] », ce jour-là, c’était bien toute la Nation qui défilait symboliquement. Et pas seulement son armée…

Quand la République opportuniste fait du 14 juillet la fête nationale

C’est quatre-vingt dix ans après cette fête de la Fédération que le 14 juillet est officiellement proclamé fête nationale.

Nous sommes alors en 1880, au temps de la République opportuniste. A l’heure où Jules Ferry et Léon Gambetta préconisent de composer avec la réalité d’une France qui n’est pas complètement républicaine.

Dès ces années 1880, un défilé militaire a lieu les 14 juillet. S’agit-il, en organisant une « parade », de satisfaire ce goût du prestige que cultive une armée pourtant humiliée en 1871 ? De donner symboliquement à voir que les militaires sont désormais soumis au pouvoir républicain ?

Peut-être.

Mais n’oublions pas que la France connaît alors un système de conscription. A travers le service militaire est entretenu le mythe d’une nation en armes, chaque citoyen recevant théoriquement une instruction militaire qui lui permettra, le cas échéant, de défendre la Patrie[3].

La conclusion s’impose : jusqu’en 1914, c’est toujours la Nation -une Nation prête à la Revanche- qui symboliquement défile à l’hippodrome de Longchamp ou au Champ-de-Mars, et non une armée de professionnels.

Défilé de la nation en armes plutôt que défilé militaire

La fameuse « tradition » du défilé sur les Champs-Elysées est, elle, inaugurée pendant la Première Guerre mondiale.

Deux 14 juillet ont particulièrement marqué les mémoires depuis lors, en 1919 et 1945. A chaque fois et dans des circonstances très différentes, la fête nationale a pour objet de célébrer la victoire de la France et non pas celle de l’armée.

Après la Première Guerre mondiale, les cérémonies plus spécifiquement militaires ont ainsi lieu les 11 novembre 1919 et 1920 (inhumation du Soldat inconnu sous l’Arc de triomphe), et non les 14 juillet 1919 ou 1920…

Au XXe siècle, le sens du 14 juillet n’a donc pas varié : la fête nationale est symboliquement restée la fête de toute la Nation, et le défilé militaire l’image d’une Nation en armes. Même si cette fête se résumait de plus en plus, sous la Ve République, à une parade militaire un peu vaine, précédée la veille de bals populaires et suivie d’un discours -pas toujours lénifiant, qu’on se souvienne de certains 14 juillet de cohabitation- du chef de l’Etat!

La fin de la conscription a peut-être vidé de son sens le défilé militaire du 14 juillet

Or, la fin de la conscription a été, on le sait, décidée par Jacques Chirac en janvier 1996.

Comment ne pas voir que qu’avec la suppression du service militaire, quelque chose a changé des liens entre l’armée et les Français ?

En dénouant le rapport d’identification nécessaire entre l’armée et la Nation, le passage à une armée de métier a, par exemple, vidé d’une grande partie de son sens le défilé militaire du 14 juillet sur les Champs-Elysées.

S’il s’agit, le jour de la fête nationale, de célébrer la fête de la Fédération, le défilé d’une armée de professionnels n’est peut-être plus la manifestation la plus adaptée. L’écrire n’a rien d’antimilitariste.

Défilé civil et militaire, ou défilé citoyen

Deux solutions pourraient être a priori envisagées pour remettre l’événement commémoratif (les 14 juillet 2012, 2013, 2014…) en accord avec l’événement commémoré (le 14 juillet 1790) s’agissant de notre fête nationale.

Comme en 1790, un défilé militaire réduit pourrait être précédé d’un défilé civil, pour manifester que le 14 juillet est bien la fête de toute la Nation.

Eva Joly a, elle, plus radicalement imaginé de supprimer ce défilé militaire. Puis, se ravisant, elle a, de façon implicite, proposé de le déplacer les 8 mai ou 11 novembre. Ces dates correspondent en effet à des armistices, c’est-à-dire à un arrêt des combats : il s’agit d’événements plus militaires que la fête de la Fédération… Pour autant, serait-il vraiment opportun de commémorer la fin de guerres qui ont déchiré l’Europe en faisant défiler des troupes sur les Champs-Elysées?

L’hypothèse d’un défilé à la fois militaire et civil semble donc la plus respectueuse de l’histoire et des sensibilités s’il s’agit de commémorer  le 14 juillet 1790

Retrouver l’esprit de la fête de la Fédération ?

On le voit : la proposition de la candidate écologiste à l’élection présidentielle, aussi maladroite qu’elle soit, a le mérite d’interroger un symbole.

Elle n’est pas absurde au regard de l’histoire ou de la mémoire. Permettra-t-elle de retrouver le sens d’une fête qui doit d’abord être celle de la réconciliation, de la paix et de l’espoir?

L’envie est forte de répondre tout simplement : chiche!

David Valence est responsable du blog www.trop-libre.fr

Crédit photo : Flickr,  y.caradec


[1] « Fédération », in François Furet, Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Evénements, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1992 (1ère édition : Flammarion, 1988), p. 177. Voir également Mona Ozouf, La fête révolutionnaire 1789-1799, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1988 (1ère édition : Gallimard, 1976), p. 59-101.

[2] Claude Petitfrère, « Fédération », in Albert Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2005 (1ère édition : PUF, 1989), p. 439.

[3] Le système du « tirage au sort », qui permettait de dispenser certains jeunes hommes de service militaire, disparaît définitivement en 1905.

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