Expérimenter les humanités numériques : des outils individuels aux projets collectifs

Farid Gueham | 19 mars 2020

« Dans le paysage des sciences humaines, les blogs, les logiciels bibliographiques, les bases de données, les éditions en ligne et les wikis, tous ces objets qui éveillaient notre curiosité il y a une décennie, sont devenus aussi anodins qu’omniprésents. Mais comment bien s’en servir ?

Les appréhensions face à ces outils – et leur simple mais robuste méconnaissance – sont encore largement répandues. Or on ne peut plus ignorer leur intérêt, voire leur nécessité, et les chercheurs qui s’y essaient ne savent souvent pas par quel bout attraper ces logiciels nouveaux ». Dans leur ouvrage collectif, Etienne CavaliéFrédéric ClavertOlivier Legendre et Dana Martin s’intéressent au champ des humanités numériques, aussi foisonnant d’informations que déroutant par son périmètre toujours fluctuant : « les documents techniques permettant leur prise en main et leur utilisation (tutoriels, procédures en ligne, etc.) sont nombreux ». Mais dans leurs pratiques, chercheurs et scientifiques manifestent toujours de l’appréhension face aux outils numériques. « Les sept décennies écoulées depuis les premiers travaux de l’école des Annales ou de Roberto Busa n’y font rien : le numérique continue d’intimider les sciences humaines et sociales », affirment les auteurs.

 

Les réseaux sociaux spécialisés dans la recherche : Academia.edu et ResearchGate.

 

« Des réseaux sociaux exclusivement dédiés à la recherche se sont récemment développés. Academia.edu, lancé en 2008, est un réseau social pour universitaires qui leur permet de partager leurs travaux, d’en mesurer les répercussions, et de suivre les recherches des autres utilisateurs selon leurs intérêts personnels ». Pour Emmanuel Mourlon-Druol, professeur en histoire de l’économie internationale, les sites tels qu’Academi.edu ont plusieurs avantages : faciles d’utilisation et indexés sur Google, ils permettent de développer des liens avec une communauté de chercheurs. Ces sites sont autant de vitrines, bien au-delà des cercles professionnels initiés. Cependant, l’indexation sur Google de ces sites présente aussi des limites : une entreprise privée peut utiliser un article et le diffuser, dans une finalité lucrative, avec des moyens supérieurs à ceux d’une université ou d’un laboratoire de recherche.

 

Les blogs de chercheurs.

 

« Le blog, ou carnet, permet à un auteur – le blogueur – de publier un texte, généralement succinct, sur un site Internet. Du point de vue du chercheur, le blog fut d’abord regardé avec scepticisme. Ce scepticisme venait, un peu comme pour Facebook, de la frivolité de l’exercice ». 

Emmanuel Mourlon-Druol rappelle qu’il convient de distinguer deux types de blogs scientifiques : les blogs solo, et les blogs multiauteurs. Le blog solo étant le carnet établi par un chercheur en son nom propre ou via une plateforme dédiée telle que « medium ». Le blog pluriauteurs est un « carnet institutionnel » : il consiste à accueillir les billets d’invités, écrits de façon ad hoc, à l’instar de  « La Vie des idées » (www.laviedesidees.fr – Books and Ideas dans sa version anglaise). C’est aussi le cas des blogs hébergés par la London School of Economics and Political Science, avec le « LSE Impact Blog » ou le « LSE Europp »(blogs.lse.ac.uk/europpblog/). Les blogs pluri-auteurs ont un effet démultiplicateur incontestable puisqu’ils permettent d’atteindre un lectorat potentiel bien plus large, comme une communauté Facebook élargie. Blogs personnels et multi-auteurs se complètent et se renforcent dans le rayonnement de leurs publications.

 

Des outils de gestion de références bibliographiques.

 

Pour Chloé Fabre, le site « Zotero » et un outil précieux permettant la création d’une base de données personnelle à partir de l’ensemble des références collectées. « Ce logiciel a été conçu comme un outil « vivant » dans son navigateur et pouvant interagir avec lui ; on peut ainsi directement enregistrer les résultats de ses recherches bibliographiques dans sa base Zotero au fur et à mesure de ses avancées en un seul clic ». Zotero permet par ailleurs de personnaliser la gestion de sa propre base de données :  le chercheur peut ainsi classer ses références dans des dossiers ou « collections » propres, catégoriser grâce à des mots-clés, ou « marqueurs », mais aussi annoter. « On peut créer des collections pour classer ses publications afin de pouvoir par la suite éditer très rapidement sa propre bibliographie » ajoute Chloé Fabre. Zotero permet également de partager des références bibliographiques, en ouvrant sa base personnelle en intégralité ou en partie, ou en créant des bibliothèques de groupe, permettant de générer des bibliographies collectives. Dans la phase d’exploitation, Zotero est une ressource précieuse, offrant la possibilité d’un travail dans les documents à deux niveaux : lors de l’indexation intégrale des fichiers, permettant de récolter des informations très rapidement et sans avoir à lire l’intégralité des documents. Enfin, Zotero permet d’automatiser l’exploitation des sources concernant des documents en format PDF : « si on utilise les fonctions d’annotation et de soulignement dans ce type de fichier, on peut extraire automatiquement, grâce à Zotfile, les passages annotés ».

 

L’exploration en SHS : de la carte mentale à l’appel à contributions

 

« L’exploration en SHS concerne à la fois les lectures et le travail sur le terrain. L’analyse critique du contenu d’articles scientifiques est indispensable à l’éveil du chercheur et à l’élaboration de la carte mentale sur le sujet d’investigation. La lecture analytique des publications les plus récentes alimente la carte mentale et les ramifications à investir ». Collecter et évaluer le contenu de plusieurs sources d’informations n’est que la première phase préalable au travail analytique, au traitement, à la classification, et la constitution de banque de données personnelles. Ce travail facilite « non seulement le travail de visualisation, mais qui peut aussi alimenter un carnet de recherche en ligne », rappellent les auteurs. La carte mentale est le résultat de la prise de notes, « afin de transformer le cheminement de la pensée en représentation visuelle et de rendre cette même prise de notes encore plus efficiente selon l’objectif de la recherche ». Pour Pascal Duplessis, professeur-documentaliste à l’IUFM des Pays de la Loire, la carte mentale répond à quatre types de fonctions: heuristique, épistémologique, graphique et cognitive. Elle permet d’explorer un domaine, de structurer des connaissances, par le biais d’une visualisation de l’information.

 

A travers leurs contributions les chercheurs associés offrent une grille de lecture face à des outils et des ressources trop méconnus. « On ne peut plus ignorer leur intérêt, voire leur nécessité et les chercheurs qui s’y essaient ne savent souvent pas par quel bout attraper ces logiciels nouveaux (…) mais le résultat vaut tous les efforts à consentir », affirme le collectif.

Farid Gueham

Consultant secteur public et contributeur numérique et innovation auprès de la Fondation pour l’innovation politique. Il est notamment l’auteur des études Vers la souveraineté numérique (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2017) et Le Fact-Checking : une réponse à la crise de l’information et de la démocratie (Fondation pour l’innovation politique, juillet 2017).

Pour aller plus loin :

       « A quoi mènent les masters en humanités numériques ? », lemonde.fr

       « Computational social science at the CMB », cmb.huma-num.fr

       « Aujourd’hui, les technologies informatiques sont des boîtes noires », explique une chercheuse médaillée du CNRS », 20minutes.fr

       « Nexus, le futur « Campus des humanités numériques » à Montpellier », usine-digitale.fr

 

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