Faut-il brûler nos élites ?

Fondapol | 30 mars 2012

Sophie Coignard, Romain Gubert, L’oligarchie des incapables, Albin Michel, Janvier 2012, 19€, 300p.

Dans cette enquête approfondie et alarmante,  Sophie Coignard et Romain Guibert, journalistes au Point, énumèrent avec précision les différents passe-droits, abus et privilèges indus qui entachent le fonctionnement de la République. Si l’ouvrage est édifiant, on regrettera le ton inquisitorial adopté par les auteurs. Trop affirmatif dans leur condamnation des sphères dirigeantes, ils en oublient qu’exemple ne fait pas loi.

Une nouvelle noblesse ?

L’enquête n’en jette pas moins une lumière crue sur l’avidité qui règne dans certains milieux dirigeants. Elle offre un catalogue épais des dérives de nombreux responsables politiques,  membres de cabinets ou  dirigeants d’entreprises. Ainsi, le nombre de passe-droits dont bénéficient les « puissants » laisse pantois : tel conseiller technique de Bercy obtiendra par l’intimidation un prêt du Crédit Agricole pour son domaine viticole ; tel contribuable en vue sera traité avec une mansuétude particulière par les services fiscaux ; tel chef d’entreprise jouera de son influence pour placer son fils dans l’école la plus réputée de Paris ou se faire soigner dans le meilleur hôpital. A la lecture de la première partie de l’ouvrage, La Caste, il apparaît clairement que les privilèges n’ont pas disparu avec l’Ancien Régime. Pire : dans certains cas, la puissance et l’argent publics sont littéralement détournés pour servir les intérêts des particuliers les mieux introduits.

En avoir ou pas

Au fil des pages, des liens contre-nature entre pouvoir et argent sont mis à jour. La frontière étanche qui séparait autrefois l’Etat de la société civile semble parfois s’effacer dangereusement. Les auteurs citent ainsi de nombreux exemples de « pantouflages » rémunérateurs. Il semble que certains grands commis de la République aient  pris pour habitude d’opérer des  « navettes » entre le service public et la banque ou les groupes du CAC 40, accumulant à chaque voyage tantôt l’influence, tantôt les avantages pécuniaires. De même, on apprendra que de prestigieux cabinets d’avocat recrutent volontiers parmi les parlementaires voire à la sortie du gouvernement. Nul doute que les nouvelles recrues monnayent davantage leur carnet d’adresse que leur expertise juridique, quasi nulle pour certains.

En être ou ne pas en être

La dérive est enfin comportementale. Selon les auteurs, nos élites se comporteraient comme les membres d’un club où se pratique un étonnant mélange des genres. Qu’importe le domaine d’activité, seule l’influence compte pour obtenir sa carte. Affaires, politique, show-bizz, les dirigeants de ces univers qui autrefois se tenaient à distance les uns des autres auraient ainsi joyeusement fusionné. Aux séparations verticales d’antan, à l’antique méfiance entre l’entreprise et la fonction publique semble s’être substitué une frontière horizontale, distinguant la base de la tête, le tout-venant d’une nouvelle noblesse qui ne dit pas son nom.  L’ouvrage s’achève sur un inquiétant présage : « Nous sommes en 1788 », concluent les auteurs.

Déraison de la colère

Difficile en refermant L’Oligarchie des incapables de ne pas se laisser gagner par un sentiment de dégoût. Excitant notre colère, l’enchaînement des exemples nous entraînerait presque à abandonner tout esprit critique pour entonner le refrain populiste du « tous pourris ».

Mais la ficelle est trop épaisse pour n’être pas visible : tirant une règle générale de l’accumulation d’exemples et d’anecdotes, les auteurs condamnent la classe dirigeante dans son ensemble. Le titre de l’ouvrage, outrancièrement racoleur, laisse ainsi  penser qu’un nouveau régime s’est installé à la tête du pays : le pouvoir aurait été confisqué par un petit groupe d’incompétents à leur unique profit. Or, si choquantes soient-elles, les vilenies signalées par les auteurs ne les autorisent pas à affirmer que nos élites sont exclusivement animées par l’avidité et la quête de places avantageuses.

Passions françaises

Davantage, l’amour des privilèges n’est pas un luxe réservé aux puissants mais un mal universel. Qui dans notre pays renoncera de bon gré à un statut protecteur ou à un avantage fiscal ? Cette (mauvaise) habitude du passe-droit ne concerne pas les seuls puissants mais l’ensemble de la population. Les agents de certaines grandes entreprises publiques en savent quelque chose. Paradoxe et drame de la France, partagée entre l’amour des privilèges et la passion de l’égalité : celui qui bénéficie d’une faveur la défendra becs et ongles, celui qui n’y a pas droit ne pourra souffrir son existence.

La nécessité de nouvelles réglementations

Davantage que nos dirigeants qui, sauf à basculer dans la caricature marxisante, ne peuvent être condamnés d’un seul bloc, c’est le cadre dans lequel ils agissent qu’il faut incriminer. A cet égard,  on notera dans l’ouvrage une série d’analyses pertinentes sur l’architecture du pouvoir dans notre pays. Sont ainsi dénoncés à juste titre les effets sur les comportements de l’hypercentralisation de la puissance, qu’elle soit politique ou économique. Plutôt que de compter sur l’abnégation, forcément incertaine, de nos dirigeants, il est nécessaire de développer des règles strictes pour encadrer leur action. Les passages entre la haute fonction publique et le secteur privé doivent ainsi être strictement réglementés pour éviter tout conflit d’intérêt.

Alexis Benoist

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