Faut-il « hacker » nos démocraties contemporaines ? La méthode « Democracy OS »
Farid Gueham | 20 octobre 2014
Faut-il « hacker » nos démocraties contemporaines ? La méthode « Democracy OS »
Par @FaridGueham
Les démocraties s’essoufflent et leurs institutions se déconnectent chaque jour un peu plus du peuple. Redonner le pouvoir aux citoyens par une révolution douce, une interface qui permettrait d’exprimer en direct son accord ou sa désapprobation face aux votes des parlementaires : c’est l’idée de « Democracy OS ».
L’application open-source se veut le chainon manquant entre les citoyens et leurs représentants. Son but : faire en sorte que la participation citoyenne soit plus simple au quotidien. L’application permet d’être informé en temps réel d’un projet de loi présenté devant le congrès ou le parlement, mais dans une version simplifiée et vulgarisée sur la plateforme. Une application pour convaincre, pour être convaincu et pour informer.
Une mise à jour de la démocratie à l’heure de l’ère internet.
Pour Pia Mancini, co-fondatrice de l’application, il est crucial d’injecter du sang neuf dans nos régimes démocratiques. Si le consensus fait loi autour de l’urgence d’une réforme, les modalités du changement restent floues. Mais savons-nous seulement ce qu’est ou ce que doit être une démocratie parlementaire à l’heure d’internet ? Nos institutions et nos régimes sont en plein décalage, et pour cause : les citoyens du 21eme siècle sont contraints d’interagir avec des institutions créées au 19eme siècle, institutions qui diffusent leurs décisions et leurs règlementations via un outil de communication qui date lui-même du 15eme siècle, la presse typographique. Et même au siècle des lumières, le canal de diffusion des idées était toujours le même : descendant d’une minorité pensante vers les masses. Et pour sortir la masse de sa torpeur ? Nos démocraties inviteront les citoyens à voter une fois tous les deux ou trois ans. Ultime barrière et non des moindres qui vient dresser un nouvel obstacle entre les citoyens et leurs décideurs : le droit d’entrée. De l’argent, de l’influence, ou l’engagement d’une vie dans un appareil politique pour caresser l’espoir hypothétique de prendre un jour sa place à la table des décideurs.
A quoi bon choisir un dirigeant pour ensuite être tenu à l’écart du processus décisionnel ?
Pour Pia Mancini ce constat est d’autant plus insupportable qu’émerge une génération de citoyens pour qui débattre à l’échelle mondiale, en temps réel est un acquis : « les barrières de l’information sont révolues, nous pouvons plus que jamais exprimer nos désirs, nos souhaits et nos besoins. Voilà 200 ans que notre système politique n’a pas évolué et l’on attend de nous que nous soyons satisfaits de notre simple rôle de récepteurs passifs et disciplinés face à ce long monologue ». Democracy OS entend combattre ce prêt-à-penser qui sous-entend que chaque citoyen serait de nature apathique et totalement désintéressé par la chose publique. Pia Mancini ajoute qu’on « ne peut pas reprocher au citoyen et à l’électeur de ne pas bondir sur l’opportunité d’assister au beau milieu de la semaine à une réunion ou une audience publique qui n’aura d’ailleurs que peu d’impact sur la suite du processus décisionnel ». A l’instar des développeurs de « Code for America », développeurs d’applications citoyennes locales, les usagers de « Democracy OS » veulent parler en leur nom et se représentent déjà eux-mêmes sur les réseaux sociaux.
Voter ne suffit plus. Les démocraties parlementaires ont tout intérêt à capter des messages hors des canaux officiels : plus que jamais, la parole de la rue demeure une jauge fiable et précise du climat social : mouvement étudiant au Chili pour la réforme de l’éducation, manifestation contre la réforme judiciaire en Argentine, résurgence de la Manif pour tous en France, manifestation en Espagne pour dénoncer l’urgence sociale du pays. Dans l’ensemble de ces états, les citoyens ont accès aux urnes mais battre le pavé reste le moyen le plus efficace de s’exprimer et surtout de s’affirmer dans un rapport de force.
En 1750, les treize colonies d’Amérique du Nord présentaient leurs doléances parmi lesquels : « no taxation without representation », pas d’imposition sans représentation. Selon Pia Mancini, le slogan doit être dépoussiéré : « pas de représentation sans discussion » semble aujourd’hui plus approprié. Democracy.OS voulait sa place à la table des décideurs, l’accueil fut glacial, une douche froide que Pia Mancini décrit comme la sortie de « l’âge de l’innocence ». Et si l’application internet était une étape indispensable, elle n’en reste pas moins qu’un outil. Pia Mancini propose donc son application DemocracyOS aux partis politiques avec naïveté et un discours simple, voir simpliste « regardez, ici, vous avez une plateforme qui vous permettra d’établir un dialogue avec vos membres et vos adhérents en toute transparence et en temps réel ». Un échec cuisant. La résistance des partis politiques n’était pas technologique mais culturelle. Quel intérêt avaient-ils à changer ce processus décisionnel qui garantissait leur stabilité, quel avantage à s’ouvrir et se fragiliser ? Pour le collectif argentin, le constat est clair : il devra défendre ses idées lui-même, sans relais ni intermédiaire.
Au mois d’août 2013, le collectif devient une formation politique, le « Partido de la Red », le « parti du Net » à Buenos Aires. Aux élections législatives argentines du 27 Octobre 2013 avec un programme simple, autour de la notion de transparence « pour chaque projet de loi présenté devant le congrès, les représentants du parti s’engagent à voter en fonction des recommandations des citoyens sur l’application Democracy.OS ». Pour le « Partido de la Red », c’est l’âge de raison. Ses membres comprennent que pour court-circuiter le processus décisionnel des partis traditionnels, il faut jouer selon les règles du jeu et s’établir comme un interlocuteur crédible et légitime auprès des électeurs.
Résultat des élections : 22 000 voix, soit 1.2% des votes, pas de siège pour les candidats du parti mais une première percée idéologique. Le Congrès Argentin décide d’utiliser « Democracy OS » pour interroger les citoyens sur trois textes de lois : deux portant sur les transports urbains et un troisième sur l’aménagement du territoire et de l’espace public. L’évolution est inattendue et fulgurante pour un parti qui n’avait que deux mois d’existence. Le Partido del Red est lucide et si les parlementaires n’alignent pas leurs positions de vote au strict souhait des citoyens, ils devront en tenir compte. Les institutions sont prêtes à ouvrir un nouvel espace pour l’engagement citoyen. Pour Pia Mancini, c’est déjà une réussite « la preuve que l’on peut faire changer un système politique sans pour autant le renverser ou le détruire mais en le reconnectant au peuple, avec les outils et les technologies que nous offre internet ».
En France, nous n’en sommes pas là même si les expériences de démocratie participative se multiplient et fonctionnent. A Paris, plus de 40.000 personnes ont voté pour le premier budget participatif de la Ville, organisé du 24 septembre au 1er octobre. 24.002 personnes ont voté par internet et 16.743 dans 190 urnes placées dans les vingt arrondissements. Un bémol, le choix des votants se limitait à 5 projets parmi une liste de 15 présélectionnés par les édiles parisiens. Invitée au séminaire Bastiat à la Fondapol, Nathalie Kosciusko-Morizet partageait ce constat d’un décrochage réel entre les citoyens et leurs représentants. Elle nous rappelle qu’outre-manche, « le projet du « Grand Londres s’est fait dans le dialogue et la concertation avec des représentants de la société civile, des investisseurs, des entrepreneurs. En France, lorsque l’on parle du Grand Paris, on a le sentiment que les élus se parlent entre eux. On a tenté de rendre le débat moins austère et plus proche des gens en leur parlant de leur quotidien, des transports notamment. Cela n’a pas vraiment fonctionné. Il faut reconstruire un lien de confiance». Un portail « Democracy OS » pour débattre de l’ensemble des délibérations soumises aux assemblées élues, du conseil municipal à l’Assemblée Nationale? On peut toujours rêver après tout.
Pour aller plus loin
– Site du « Partido de la Red »
– Site de Pia Mancini
– Site de « Democracy OS » – Site du budget participatif de la Ville de Paris – Site du parlement argentin
– Blog de « Democracy OS »
– Site du Grand Londres “Greater London Authority“
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