Faut-il sauver le soldat industrie ?
Fondapol | 09 février 2012
Patrick ARTHUS, Marie-Paule VIRARD, La France sans ses usines, Fayard, 2011, 180 pages, 16 €
La désindustrialisation, un mal français
Arcelor-Mittal à Florange, Petroplus à Petit-Couronne, Lejaby à Yssingeaux…autant de noms médiatisés qui soulignent la désindustrialisation de la France…et la récupération de ce thème par les politiques ! L’industrie est (re)devenue un enjeu politique et économique majeur : une nouvelle union nationale s’est forgée autour de la réindustrialisation de la France. C’est sur cette tendance, pas si nouvelle d’ailleurs, que Patrick Artus et Marie-Paule Virard construisent leur argumentation. Leur thèse peut se résumer simplement : la France se désindustrialise plus vite que ses partenaires, et ce processus engendre un climat économique délétère pour la croissance et l’emploi, ce qui expliquerait en partie la crise.
« Un mal qui répand la terreur… »
Le constat tombe comme un couperet : la France se désindustrialise. La part de l’industrie dans le PIB a chuté de 24 à 14 % en 10 ans et le nombre d’emplois industriels a diminué de 500 000. De 1980 à 2007, ce sont près de 2 millions d’emplois qui ont été perdus. Par rapport à ses partenaires, la France semble particulièrement touchée par ce phénomène. Les délocalisations sont pointées du doigt pour souligner le délitement industriel du pays, avec l’exemple notable de la production automobile. Enfin, cerise sur le gâteau, le commerce extérieur de l’industrie française est déficitaire depuis six ans et s’aggrave de plus en plus. La désormais inévitable comparaison avec l’Allemagne vient achever le tableau en nous révélant nos faiblesses et notre déclin industriel.
Patrick Arthus et Marie-Paul Virard expliquent, non sans raisons, que l’industrie est un pilier essentiel de notre économie. Elle est ainsi source d’un nombre non négligeable d’emplois et se caractérise par des qualifications et des rémunérations élevées. Elle est responsable d’une part importante de la Recherche et Développement et des exportations. L’industrie permet enfin la concentration d’actifs stratégiques vitaux dans une économie de la connaissance.
Aux origines du mal
Pourquoi la France se désindustrialise-t-elle ? Selon les auteurs, la durée du travail n’est pas une explication probante[1]. En fait, les origines du mal sont multiples. Contrairement à sa voisine allemande, notre industrie souffre de coûts salariaux trop élevés, de sa spécialisation dans le milieu de gamme et d’un cruel manque de R&D. Nos PME sont en nombre insuffisant dans les moyennes et hautes technologies et n’exportent pas assez. Leurs faiblesses sont en partie liés à leur faible taille, à un manque de culture scientifique, et aux mauvaises relations entre grandes entreprises et PME. La fiscalité confiscatoire et les faiblesses de notre système monétaire ont par ailleurs accentué la spécialisation des économies défavorisant les industries le moins compétitives.
Désindustrialisation ou « fétichisme industriel »[2]
Selon les auteurs, les effets de ce déclin industriel pourraient s’avérer cataclysmiques : déqualification, précarité, déclassements, endettement extérieur, surendettement des ménages, déficits publics, la liste des ravages de la désindustrialisation est longue. Cette perte industrielle s’accompagne de la montée d’un tertiaire précaire, fait de « petits jobs ».
Sans nier le rôle joué par la désindustrialisation, ce dernier nous semble plus faible que ne le laissent entendre les auteurs. Les fétichismes en économie ont la vie dure[3]. Il y a quarante ans, on expliquait doctement qu’il était absolument nécessaire que la France conserve une agriculture puissante, et ne surtout pas sombrer dans les affres des pays anglo-saxons (déjà !) dépourvus d’agriculture. Il y a trente ans, c’était l’industrie minière et sidérurgique, piliers de la seconde révolution industrielle, qui devaient absolument être préservées. On voit ce qu’il en est aujourd’hui de ces prédictions : l’agriculture française est très productive et exportatrice nette, et les industries traditionnelles ont tout naturellement périclité en France en raison de leurs coûts et de leur manque de compétitivité.
Ne pas se tromper de cible
En réalité, plutôt que de prôner le maintien de toutes nos usines et la réouverture des mines, l’ouvrage auraient dû insister davantage sur la nécessaire transformation de nos économies, industrie comme services. La priorité doit être l’accroissement de la valeur ajoutée de nos productions et la promotion d’une économie de la connaissance. La France dispose d’avantages comparatifs importants, dans l’industrie mais également dans l’économie des services et du savoir. Reste à exploiter son potentiel et à renforcer sa compétitivité[4]. Pour être efficace, notre politique industrielle doit avant tout s’attacher à préserver la « substance »[5] de l’industrie, en maîtrisant le processus d’innovation, sans négliger certains services à forte valeur ajoutée et exportables (la santé, le tourisme, le savoir, les services aux entreprises…). Rappelons enfin que le véritable intérêt d’une activité, quel que soit son secteur, se mesure à l’aune de sa capacité à créer de la valeur.
Louis Nayberg
[1] Rappelons que la recherche économique a mis en évidence une certaine neutralité de la durée du travail sur l’emploi et la croissance ; l’essentiel réside dans les coûts, la productivité, la demande et la compétitivité hors prix.
[2] Expression employée notamment par l’économiste Jagdish Baghwati.
[3] L’erreur économique, Philippe Simonnot, chapitre 17.
[4] Pour un choc de compétitivité en France, Institut de l’entreprise, 2012.
[5] Désindustrialisation, délocalisations, rapport de Lionel Fontagné et de Jean-Hervé Lorenzi, CAE, 2005.
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