Géopolitique du Sport
Fondapol | 06 septembre 2014
Géopolitique du Sport
Pascal Boniface, Géopolitique du Sport, Armand Colin, 2014, 192 p, 17,5€.
Par Adel Taamalli
En cette année de Coupe du monde, le « ballon rond » a envahi les espaces médiatiques généralistes comme spécialisés. Passionnés ou non, tous n’auront pu faire autrement, surtout pendant la compétition, que subir le battage médiatique déployée autour de la compétition. La publication de la Géopolitique du sport de Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (l’IRIS), arrive donc à point nommé pour ceux qui veulent disposer d’éléments de compréhension objectifs sur cet état de fait, mais aussi, plus généralement, sur les relations qui existent entre le sport d’une part, et les sphères économiques, médiatiques, diplomatiques et politiques d’autre part.
Pascal Boniface n’en est pas à son coup d’essai, lui qui a développé depuis plus d’une décennie une réflexion poussée sur la géopolitique du sport et a rédigé une multitude d’ouvrages sur le sujet. Il faut dire que le directeur de l’IRIS, tout en assumant sa passion pour le sport (le football notamment), défend depuis longtemps une thèse politique fondamentale à mettre en pratique en France : la prise en compte officielle par les différents gouvernements de l’impact grandissant du sport dans les relations internationales.
La Géopolitique du sport cherche alors à nous montrer comment et pourquoi le sport tient aujourd’hui une place de plus en plus prépondérante dans la géopolitique mondiale.
Le sport est par excellence une activité mondialisée
Selon Pascal Boniface, la raison primordiale à souligner pour expliquer la popularité du sport et de ses compétitions est à chercher dans le phénomène le plus important de notre temps : la mondialisation, cette logique de rétrécissement du temps et de l’espace. La mondialisation et le sport se renforcent mutuellement, cultivant entre eux « un lien dialectique pérenne ». Ainsi, explique-t-il, l’élargissement exceptionnel, qu’a connu notre histoire récente, des transports et des outils de communication (utilisant le satellite et l’Internet), font que les grandes compétitions sportives (dont les JO et la Coupe du monde de football), qui restaient confidentielles au début du XXème siècle, sont devenues universelles puisqu’elles réunissent à intervalles réguliers des centaines de millions de personnes (parfois des milliards) dans une même célébration, assurant par là aux médias une audience maximale.
Le sport sanctionne l’état du monde
En plus de tableaux ou de graphiques probants et insérant des séries statistiques explicatives dans le corps même du livre, l’ouvrage fourmille d’exemples, d’anecdotes, de conclusions, d’occurrences ou d’assertions pertinents, puisqu’ils nous permettent, assez facilement d’ailleurs – et cela est sans doute la force principale de cet ouvrage de vulgarisation -, de comprendre, par le prisme du sport, les soubassements qui ont cours dans la géopolitique mondiale. Il est intéressant de reprendre une suite de quelques-unes de ces citations, afin de nous rendre compte du retentissement énorme que possède le sport dans notre monde.
La Fédération internationale de football (la Fifa) possède plus de fédérations nationales que l’ONU d’Etats membres. La distribution des trophées et médailles dans les compétitions mondiales du handball des dernières décennies reflètent la situation géopolitique du monde d’avant la Première guerre mondiale, lorsque l’Europe dominait le monde, car les traditions sportives sont lentes à évoluer et parce que le handball, se jouant en intérieur dans des gymnases, a connu son premier développement dans des pays où l’hiver est rigoureux, principalement dans le Nord et l’Ouest de l’Europe. Le monde n’en devient pas moins multipolaire, même dans le sport : entre 2010 et 2022, la Coupe du Monde de football n’aura pas été organisée en Occident (une première pour quatre mondiaux d’affilée), et aura posé ses valises en Afrique, en Amérique latine, en Europe de l’Est et dans le monde arabe. Ce n’est pas un hasard si l’attribution des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin a eu lieu la même année que l’intégration de la Chine à l’OMC (2001), puisque ces deux événements sont des indices de l’émergence de ce pays, en ce début de nouveau millénaire, sur la scène mondiale de la puissance…
Le sport ne serait ainsi que le simple réceptacle de ce que le monde devient. Et celui-ci, dans le cadre de la mondialisation, se caractérise, d’après Pascal Boniface, par une évolution lente mais assurée : l’Occident est progressivement en train de perdre le monopole de la puissance qu’il détient depuis plus de cinq siècles, au profit de dizaines de pays qui accèdent à la modernité et dont les chefs de file sont des pays aussi différents que la Chine, le Brésil, la Russie.
Le sport participe du Soft power et du sentiment d’identité nationale
Depuis la fin de la Guerre froide et la chute de l’URSS dans, les spécialistes des relations internationales ont créé et précisé le concept de Soft power (la puissance douce), cet exercice de la puissance déployée par tel ou tel Etat pour amener ses alter ego à vouloir, sans l’utilisation de la contrainte et en l’absence de toute menace militaire, ce qu’il veut lui-même, grâce à l’attrait positif qu’il suscite.
Pascal Boniface reprend cette notion pour y inclure, exemples à l’appui, le sport. Un sous-chapitre porte même le titre évocateur suivant : « un territoire, une population, un gouvernement…et une équipe de foot ». Ce sont les quatre éléments que tout Etat doit posséder pour prétendre tenir son rang dans le monde, et disposer d’occasions pour exister sur la carte du monde, déployer le drapeau, souder une nation, et proposer au monde des héros sportifs auxquels tous, au-delà même des frontières, peuvent s’identifier.
Il n’est pas possible, selon le directeur de l’IRIS, de ne pas intégrer le sport dans toute politique de puissance conduite par un Etat, puisque la guerre est devenue illégale, parce que l’opinion publique, de plus en plus férue de sport, possède dans tous les pays un poids inédit depuis que les Etats ont perdu le monopole de l’information, et enfin à cause du fait qu’à l’heure de la mondialisation, durant laquelle les pertes de repères sont de plus en plus nombreuses, un besoin d’identification collective à une même entité nationale se fait de plus en plus pressante. C’est pourquoi, rappelle Pascal Boniface en illustration, les dirigeants chinois considèrent comme une humiliation le fait que l’équipe nationale de football soit faible dans la hiérarchie mondiale, alors même que le sport-roi est très populaire dans le pays.
La nécessité de développer une diplomatie sportive
Les cinq derniers chapitres nous livrent autant d’études de cas concrets intéressants, en présentant les diplomaties sportives des puissances suivantes : les Etats-Unis, la Chine, le Qatar, l’Inde et la France. L’engagement des Etats-Unis pendant la Guerre froide dans un affrontement assumé contre l’URSS sur le nombre de médailles glanées lors des Olympiades, logique de compétition reprise aujourd’hui face un nouvel adversaire, la Chine ; le développement en Chine d’une politique structurelle hautement détaillée et planifiée, pour accroître sur le moyen et le long terme les performances des sportifs nationaux dans les compétitions internationales de tous les sports ; l’investissement tous azimuts de son immense manne financière dans le sport décidé par le Qatar, afin de garantir sa propre sécurité grâce au développement de sa notoriété, et ce, face aux menaces potentielles de ses voisins, l’Iran et l’Arabie Saoudite; la prise de conscience par l’Inde de l’anormalité de sa position dans le monde, qui fait paradoxalement du deuxième pays le plus peuplé au monde un véritable nain sportif, sauf dans les activités enracinées depuis longtemps (dont le cricket, héritage de la colonisation britannique); la décision récente prise par la France, en la personne de Laurent Fabius, Ministre des Affaires Etrangères, et sur la base d’une réflexion engagée après la déconvenue de l’attribution des JO 2012 à Londres au détriment de Paris, de nommer un ambassadeur pour le sport afin de conduire une véritable diplomatie sportive, une première dont se félicite Pascal Boniface ; tous ces rappels historiques ou actuels accréditent l’idée que « le XXIème siècle sera celui du sport mondialisé », idée affichée dès la première phrase de l’ouvrage.
Il est dommage, qu’à plusieurs reprises, beaucoup de coquilles et de nombreuses fautes d’orthographe n’aient pas été corrigées après une relecture manifestement inexistante mais si nécessaire pour un tel ouvrage de vulgarisation rédigé par un intellectuel reconnu sur la scène médiatique. De plus, il n’aurait pas été inopportun que l’auteur nous livre sa position sur des aspects négatifs liés au sport contemporain : l’entendre dénoncer, par exemple, le fait que les droits de diffusion des matchs de la Coupe du monde de football 2014 soient attribués dans plusieurs points du monde à des chaînes payantes aurait pu participer de l’inversion de cette tendance à un moment où beaucoup de supporters de pays qualifiés doivent s’abonner pour pouvoir soutenir leur équipe de cœur. Mais il ne fait que rappeler la position acquise sur le marché de la diffusion du sport par une chaîne comme beIN, et expliquer, à juste titre, qu’il s’agit là d’un des effets de l’activité diplomatico-médiatique importante du Qatar.
Cependant, l’ouvrage sera une référence indispensable sur la géopolitique du sport. Car, pour peu que les lecteurs qui le découvriront développent une passion pour le sport et/ou pour la compréhension de notre monde, il leur sera aisé d’y trouver des illustrations leur servant à se forger une position solide sur l’impact immense, à notre époque, de ce fait de société.
Aucun commentaire.