Georges Pompidou : lettres, carnets, portraits (1928-1974)
16 août 2014
Georges Pompidou : lettres, carnets, portraits (1928-1974)
Préface d’Eric Roussel, Introduction d’Alain Pompidou, Rééd. Livre de Poche, janvier 2014
Il est toujours plaisant de lire les mémoires d’un homme politique de premier plan, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un homme d’Etat qui aurait pu devenir écrivain s’il n’avait choisi de devenir un grand commis de l’Etat. Les Lettres, notes et portraits de Georges Pompidou, récemment réédités au Livre de Poche, ne dérogent pas à la règle, en partie grâce à la présentation qu’en fait l’historien et journaliste Eric Roussel. Ce dernier, suppléé par une équipe de documentalistes, a remarquablement débroussaillé les archives des proches de l’ancien Président et propose un ouvrage riche et informé. Grâce à ses introductions de chapitres et ses centaines de notes de bas de pages, la lecture n’en est que plus passionnante.
Les lettres retrouvées sont remarquablement écrites. On savait que Georges Pompidou était un fin lettré, on découvre ici son style, son humour, sa culture, mais surtout, et cela peut paraître singulier pour un intellectuel, son instinct acéré, son intelligence des situations et sa capacité à comprendre les hommes. Pour preuve, contrairement à De Gaulle, il a très vite compris que la Ve République était un régime dans lequel les partis détiendraient un pouvoir considérable, en dépit de la prééminence de l’autorité présidentielle dans les institutions. C’est justement cette habileté à comprendre que notre République est, d’une certaine mesure, un régime de parti, qui lui permit de sceller les alliances nécessaires à ses succès électoraux.
A travers ces pages, on découvre un véritable homme d’Etat, à la personnalité méconnue, doté d’une grande intelligence. Ses écrits sont portés par un style limpide et agréable. Quant à ses idées, elles reposent le plus souvent sur le bon sens.
Ce qui frappe en tout premier lieu est bien sûr son indépendance d’esprit, qu’il parvient à concilier avec une indéfectible fidélité au général de Gaulle. Un vrai exploit.
L’humour, aussi, tient une bonne place dans sa vision du monde. Dès les écrits de jeunesse, on sent poindre une ironie mordante dans ses lettres à l’attention de son vieux copain Robert Pujol, qui deviendra professeur de lettres. Par la suite, sous la IVe République (1946-1958), un régime qu’il honnit, on retrouve cette férocité. Ainsi, en décembre 1946, son jugement est lapidaire : « tout est confus et dominé par des questions de personnes ou d’intérêt de parti ». Plus tard, le 29 mars 1947, il enfonce le clou : « Nul ne peut prétendre que le régime n’ait, en quelques mois, descendu plus de degrés que ne pouvaient s’y attendre les adversaires les plus résolus. On voudrait déconsidérer le parlementarisme qu’on ne pourrait faire mieux ». Sa plume acerbe le conduit à des descriptions précises et (très) complexes du mécano politique de la IVe République et de ses innombrables combines de partis, arrangements entre personnes, coups de billards à 7 bandes, etc. Georges Pompidou regrette l’énergie incroyable dépensée par les acteurs de cette époque pour parvenir à constituer un gouvernement. Il faut dire que les majorités sont introuvables… De fait, un gouvernement ne tenait pas plus de quelques mois. Dans ces chapitres, au grand dam du natif de Montboudif, il n’est donc jamais question des vrais problèmes de la France : reconstruction, démographie galopante, rapprochement avec l’Allemagne, stabilité du franc, etc. A cet égard, on se réjouit de lire qu’après 1958, à l’avènement du nouveau régime, les hommes au pouvoir prennent réellement les choses en main, en agissant, en décidant, en réformant. Les pages concernant cette époque n’ont plus rien à voir avec la période qui l’a précédée.
Cela dit, on retrouve toujours des anecdotes savoureuses et des bons mots que le général de Gaulle lui faisait en privé. Déjà, le 23 mai 1953, quand De Gaulle rejette le projet d’armée européenne, l’homme de l’Appel du 18 juin lui aurait confié : « Quand j’ai vu que Churchill faisait un discours aimable pour la France, je me suis demandé quelle vilenie il préparait ». Pompidou fut en effet un très vieux collaborateur du général de Gaulle : chargé de mission auprès de lui de 1944 à 1946, au sein du gouvernement provisoire de la République, puis chef de cabinet du général, lorsque celui-ci prit la présidence du RPF. Il fut également directeur de cabinet (et Premier ministre de fait, d’après les historiens) du nouveau chef du gouvernement pendant l’année 1958, lors de l’installation du nouveau régime. Contrairement à ce que l’on pense, Pompidou n’est donc pas si banquier que cela : comme il le rappelle lui-même, il consacra seulement 7 ans de sa vie au secteur privé, dont 5 ans chez Rothschild, pour plus de 35 ans de vie publique. Normalien et agrégé de lettres, il fut aussi diplômé de Sciences-Po et magistrat au Conseil d’Etat dès 1946 (à 35 ans).
Il y aurait encore beaucoup de choses à écrire sur ces quelque 500 pages portant sur le parcours d’un homme « parvenu au sommet de l’Etat sans l’avoir prévu » comme le note Eric Roussel.
Pour l’histoire, on retiendra surtout le traitement réservé dans ce livre des 4 sujets suivants :
1- Le récit passionnant des négociations secrètes entreprises avec les représentants du gouvernement provisoire algérien, en 1961, qui révèle qu’à la tête des deux pays belligérants se trouvaient des hommes beaucoup plus pragmatiques que les leaders idéologues qui haranguaient les masses. L’intérêt de ces négociations était que, par l’intermédiaire de Georges Pompidou, les leaders Algériens (plus divisés qu’ils ne voulaient l’admettre) pouvaient enfin discuter avec un représentant personnel de De Gaulle, et donc connaître, sans filtre, le point de vue du chef de l’Etat sur l’évolution des événements.
2- L’analyse de la crise de mai 68, que Pompidou dresse a posteriori en février 1969 dans la presse. L’hôte de Matignon, qui a su rouvrir à temps la Sorbonne, en sort renforcé. Pas de Gaulle, qui le lâche… « Je me suis senti tout à coup blessé : quelque chose en moi était ébranlé, note l’ancien Premier ministre. Nos rapports étaient donc des rapports de fonction et de circonstances, non pas des rapports privilégiés entre un grand homme et quelqu’un qui lui était tout dévoué et mettait à son service toutes ses capacités et sa fidélité. »
3- Même blessure, à l’occasion de la sinistre « Affaire Markovic » – une machination visant à discréditer madame Pompidou sur le plan des mœurs. Le général De Gaulle, tenu au courant avant Pompidou des rumeurs colportées dans Paris, n’en pipe mot à son premier ministre. On dit que Charles de Gaulle souhaite « faire sentir le mors » à Georges Pompidou, même s’il le considère comme le meilleur pour lui succéder un jour. Mauvais calcul : cette stratégie ne fera que renforcer la détermination de Pompidou à devenir Président. Du coup, la notoriété et la popularité de l’Auvergnat furent, indirectement, considérablement renforcées par cette sombre histoire. En tout cas, nulle trace de propos contre de Gaulle dans les écrits de l’ancien normalien à cette époque. Pas la moindre acrimonie. Et beaucoup de dignité.
4- L’importance du secret médical, lors de la découverte de la maladie de Waldenström (une sorte de lymphome) qui affectait le président: comme le rappelle le professeur Alain Pompidou, son fils, dans les années 1970, on ne révèle pas aux malades la nature exacte de leur affection, et donc le nom de leur maladie. Il s’agissait alors de maintenir l’indépendance du corps médical face aux pressions éventuelles des familles quant au mode de traitement à appliquer à leur proche. Aujourd’hui, les familles sont beaucoup plus impliquées et le patient est acteur de son traitement. A noter que dans le communiqué de l’Elysée annonçant la mort du chef de l’Etat, Claude Pompidou a tenu à faire supprimer la mention du nom de la maladie.
Enfin, le deuxième président de la Ve République vouait une importance primordiale à l’amitié, qu’il ne cesse de manifester à ses proches tout au long de sa vie: Robert Pujol, André Malraux, René Brouillet, François Mauriac, Jacques Donnedieu de Vabres, etc. Pour preuve, ce courrier envoyé le 22 décembre 1954 à André Malraux, qui se conclut par ses mots : « Notre amitié m’est chaque jour plus nécessaire. Elle est ma fierté et mon réconfort ».
Constant Delaporte
Crédit photo : fmpgoh
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