Hackers : au cœur de la résistance numérique.

Farid Gueham | 13 avril 2017

 anonymous-2023760_1280« Ils sont nés un ordinateur dans les mains, ont grandi sur la Toile, connaissent tous les avantages et les pièces de la vie en ligne. Ils ont soutenu Wikileaks et les cyberdissidents des printemps arabes, se sont mobilisés contre les lois sécuritaires, exfiltrent des témoignages de répression, échangent avec les indignés du monde entier. Ils créent des réseaux alternatifs. On les retrouve jusque dans les Parlements européens. Ils réinventent la politique ». Dans son essai « Hackers : au cœur de la résistance numérique », Amaelle Guiton fait tomber le masque des Anonymous, ces artisans de l’internet libre et de la résistance numérique.

 

L’hacktivisme : du simple piratage à un engagement éthique.

 

Incarné, personnifié, l’hacktivisme, c’est d’abord des visages : ceux de Julian Assange, fondateur de Wikileaks, du jeune soldat Bradley Manning, source présumée de fuites. C’est aussi un visage moins contemporain mais qui nous parle à tous. Celui de Guy Fawkes, un des principaux protagonistes du « Gunpowder plot », la « Conspiration des poudres » menée contre le roi protestant Jacques 1er et le parlement britannique en 1605, révolte contre la répression du catholicisme. C’est aussi le visage du personnage de bande dessinée V pour Vendetta de David Lloyd. Ce sont les visages d’un monde qui change : « Wikileaks, Anonymous, c’était internet investissant, de manière plus significative que jamais, le politique. Mais de son côté, le politique avait très significativement investi le réseau. Dans les démocraties, il l’avait par par des lois, des dispositifs de contrôle, des verrous numériques ; tantôt au nom de la sécurité, tantôt au nom de la protection des industries culturelles ».

 

Mais que veut dire hacker aujourd’hui ? Dans la France post-HADOPI c’est lutter pour la liberté culturelle à l’ère numérique. Dans la Tunisie post-Ben Ali, c’est réinventer la démocratie après des années de blackout et de répression. En Allemagne, les hackers deviennent respectables et ils sont mêmes consultés par l’Etat et les administrations. Les hackers sont les héros d’un nouvel espace : « un espace dont les portes sont grandes ouvertes. Un espace dans lequel nous sommes déjà, quand bien même nous n’en aurions pas conscience. Oui, le monde a changé et ce n’était qu’un début ».

 

Circulez, y’a rien à voir… ou presque.

 

Dans la « déclaration d’indépendance du cyberespace », John Perry Barlow décrit le cyberespace comme le produit « des transactions, de relations et de pensées, circulant en un flot interrompu sur nos canaux de communication. Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il ne se trouve pas là où vivent les corps ». La révolution tunisienne, souvent qualifiée de révolution « Facebook » est un des exemples les plus spectaculaires et les plus parlant médiatiquement de la portée mobilisatrice de l’internet. Revers de la médaille, ce merveilleux outil de liberté est aussi celui de notre asservissement : « la possibilité d’un monde sous surveillance généralisée, ce n’est pas demain, c’est déjà aujourd’hui, Il ne s’agit plus seulement d’accès bloqué à des sites web, ou de « coupure » d’Internet, mais bien d’interception massives de communication », précise Amaelle Guiton.

 

images (1)La culture de partage et la reprise de pouvoir.

 

« Pour un hacker, utiliser des logiciels sans avoir la capacité de comprendre comment ils fonctionnent et de les améliorer, c’est un abandon de souveraineté. C’est accepter la limitation des connaissances ; accepter le pouvoir de la machine sur l’homme quand, dit Matthias Kirschner, « les logiciels devraient faire ce que tu leurs demandes pas le contraire ». D’ou une certaine méfiance à l’encontre des logiciels propriétaires. Les hackers ne veulent pas être soumis aux produits Apple, ils veulent pouvoir « jailbreaker » ce qu’ils veulent. Pour cela, les hackers ont leur paroisse, leur maison mère : la Free Software Foundation de Boston qui rayonne aujourd’hui en Inde, en Amérique latine, en Europe, via la FSFE basée à Berlin. Des associations comme April, fondée en France en 1996 en est une des émanations. Leur croisade : expliquer au plus grand nombre, aux administrations, au grand public, aux journalistes, ce qu’est le logiciel libre. Ils organisent également des « Install parties », pour ceux qui souhaitent s’affranchir des systèmes d’exploitation propriétaires comme Windows ou Mac Os. Et la galaxie du libre commence à obtenir des résultats. « Beaucoup d’utilisateurs l’ignorent, mais le client de messagerie Thunderbird, la suite bureautique Libre Office, le lecteur multimédia VLC ou encore le navigateur Firefox – un vrai succès – sont autant de logiciels libres. La fusion au début des années 90, entre les outils du projet GNU et le « noyau » développé par l’étudiant finlandais Linus Torvalds a donné naissance au système d’exploitation Linux ou GNU/ Linus, un modèle de robustesse et de stabilité, devenu monnaie courante dans l’équipement de serveurs d’entreprises et d’administrations ». Moins d’idéologie, plus de pratique : l’idée des avantages techniques du modèle collaboratif progresse et semble de moins en moins incompatible avec les exigences de rendement des investisseurs potentiels.

 

Démocratie 2.0 : « changer le système avant qu’il ne nous change ».

 

La politique est un système, et comme tout système, elle est « hackable » : la démarche du hack peut aller du logiciel au matériel, de l’ordinateur portable à la voiture, des villes aux campagnes. Décortiquer pour mieux comprendre, pour analyse, pour améliorer. L’intérêt des hackers pour la politique est une nécessité ; un intérêt qui s’est accéléré à la fin des années 90, c’est à dire jusqu’à la fin d’un rêve, celui d’un cyberespace autonome, régi par d’autres règles que celles du « monde physique », des règles qui découlent de la désormais célèbre « déclaration d’indépendance » de John Perry Barlow. Mais plus concrètement, comment peser sur le débat politique ? La réponse est dans le lobbying, une pratique à l’aura beaucoup moins négative outre atlantique. Pendant près de quatre ans, il aura fallu arpenter les débats publics, suivre l’actualité de Bruxelles et de Strasbourg pour aboutir à l’abandon définitif du projet de traité européen anti contrefaçon, « l’ACTA ». Pour Amaelle Guiton, l’exigence de transparence fait partie de l’ADN des hackers « l’enracinement des hackers dans le débat politique n’est sans doute, au fond, que l’une des facettes d’une exigence sociale qui les dépasse très largement, mais qui est inscrite dans leur ADN : la transparence. Julian Assange, rappelons-le, en a fait sa devise : la vie privée pour les faibles, la transparence pour les puissants ». Et se constituer en parti politique n’est pas la démarche la plus naturelle pour des hackers « la manière classique de faire de la politique, pour un hacker serait de rester de son côté ou de créer une association pour faire pression » estime Jörg Blumtritt, porte parole des Pirates de Berlin.

 

Ce qui nous attend : entre régulation et liberté.

 

« Il faut se rendre à l’évidence : Internet, désormais, c’est chez tout le monde. C’est un espace public, une agora permanente. Le politique l’a rattrapé, ce qui n’est pas illégitime. La régulation, sont-ils nombreux à juger, est nécessaire. A condition qu’elle se fasse au profit du plus grand nombre, qu’elle préserve les libertés et qu’elle n’instaure pas des dispositifs d’exception contraires à l’exercice de ces libertés ». Ce qui nous guette aujourd’hui, c’est la « dystopie », la « contre-utopie », la menace d’un monde sous surveillance, encadré par la censure et la répression. Les hackers veulent diffuser leur message auprès du grand public, au risque de le « mainstreamiser ». Et si la subversion venait à se perdre dans l’écho trop grand d’une agora élargie ? « C’est ainsi, le monde change. Les hackers changent le monde. Et le monde, inévitablement, les changes en retour. Jusqu’où, comment, et à quel prix ? Cette histoire-là n’est pas encore écrite » conclue Amaelle Guiton.

 

 

 

Pour aller plus loin :

 

–       « Hackers : au cœur de la résistance numérique », France Culture.

–       Vidéo : « Amaelle Guiton : « Hackers au cœur de la résistance numérique », Youtube.

–       « Adieu Darknet, bonjour Librenet », France Culture.

–       « Mon hacker, ce héros », Amaelle Guiton, Libération.

–       « La « démocratie liquide » des hackers », L’Humanité.fr

–       « Hackers : pour en finir avec les idées reçues », L’Expansion.

« Trop Libre est un média de la Fondation pour l’innovation politique. Retrouvez l’intégralité des travaux de la fondation sur http://www.fondapol.org/ ».
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