Histoire des États-Unis en 44 présidents
Fondapol | 27 février 2012
André Kaspi et Hélène Harter, Les présidents américains, Paris, Taillandier, janvier 2012, 268 p., 18.90 euros.
Des « pères fondateurs » aux « maîtres du monde »
L’ouvrage est historique avant d’être une analyse constitutionnelle ou une étude de science politique. Les auteurs expliquent ainsi : « c’est une étude historique, et non juridique, que nous proposons. Nous invitions nos lecteurs à entreprendre une voyage dans le temps pour mieux comprendre une société, si proche de nous et pourtant si différente » (p. 14). Histoire qui est souvent inconnue du public français pour qui seules quelques figures (George Washington, Abraham Lincoln, Franklin Delano Roosvelt, Richard Nixon, Ronald Reagan, Bill Clinton, George W. Bush, Barack Obama) sortent du lot parmi les 44 présidents qu’ont compté, en l’espace de 225 ans, les États-Unis.
L’ouvrage embrasse cette histoire brève – elle débute en 1787 avec l’abandon des articles de la Confédération au profit d’une constitution établissant un gouvernement national [1] – en distinguant trois grandes périodes : « les présidents fondateurs » (1787-1860), « les présidents rénovateurs » (1860-1960) et « les présidents des temps médiatiques » (1960-2012). Pour se repérer au long de ce voyage historique, le lecteur dispose d’une chronologie complète des présidents américains. Pour le poursuivre, une bibliographie en fin d’ouvrage lui permettra d’approfondir les aspects de la présidence américaine que ce livre ne fait qu’esquisser.
La question fédérale
En-deçà de la succession des hommes à la tête de l’Etat, quelques grandes questions structurent l’histoire de la présidence américaine. La première se pose dès la naissance des Etats-Unis lorsqu’il s’agit de définir le pouvoir de l’Etat fédéral. Quel modus vivendi entre les les Etats et l’Etat ? Quelles prérogatives pour le pouvoir central ? Ces interrogations animeront le riche débat qui opposera Hamilton, partisan d’un exécutif fort et Jefferson, partisan d’un exécutif faible [2]. Aujourd’hui encore, ils déchaînent les passions, comme en attestent les charges de certains membres du Tea Party contre l’État fédéral. Ces derniers en appellent justement à l’esprit des fondateurs de l’Union [3].
L’affirmation de l’exécutif
La deuxième question porte sur les relations entre l’exécutif et le législatif. L’importance jouée par le Congrès évolue au cours de l’histoire au gré de l’affirmation et de la remise en cause du pouvoir du président. Ce dernier n’est en effet ni intemporel, ni illimité. Il s’agit d’une construction historique complexe, longue et même difficile qui tient tant aux personnalités des présidents – en témoigne la présidence d’Abraham Lincoln ou encore celle de Theodore Roosevelt – qu’au contexte de crise facilitant une centralisation accrue du pouvoir entre les mains de l’exécutif. Les auteurs expliquent ainsi que : « jusqu’à l’entre-deux-guerres, l’histoire de la présidence est faite de moments où les présidents prennent l’initiative, suivis par un retour au premier plan du Congrès. Sous les présidences de Franklin Roosvelt, Harry Truman et Dwight Eisenhower, les États-Unis entrent dans une nouvelle phase. L’exécutif supplante maintenant le pouvoir législatif, indépendamment de la personnalité du président et de son parti d’appartenance. Cette situation s’explique par l’accession au statut de superpuissance mais aussi par l’état de crise permanente que créent la Grande Dépression, puis la Seconde Guerre Mondiale et enfin la guerre froide » (p. 141-142). Les présidents actuels disposent de prérogatives dont leurs prédécesseurs n’auraient pas osé rêver.
Le bipartisme américain
La troisième grande question qui traverse l’histoire de la présidence américaine porte sur la vie des partis. À travers l’histoire des présidents se donne à voir le jeu de recomposition incessante des programmes et corpus idéologique des partis républicains et démocrates dans un chassé-croisé permanent. La question de la ségrégation et des droits civiques est un exemple édifiant. Chacun des deux partis ont fait évoluer en profondeur leurs positions sur le sujet au fil des ans. L’ouvrage montre également l’originalité radicale du bipartisme américain, difficilement comparable par exemple avec le clivage droite-gauche qui structure la vie politique française.
L’avenir de l’institution présidentielle
Alors qu’en cette période de précampagne américaine, les termes de « caucus », de « primaires », de « super délégués », de « grands électeurs », de « vice-président » envahissent l’espace médiatique, l’ouvrage nous permet de connaître précisément leur signification. Ces spécificités institutionnelles contribuent à façonner la vie politique américaine et loin d’être folkloriques, révèlent une certaine conception de la démocratie. Les auteurs pointent cependant l’aspect archaïque du mode d’élection en cours aux Etats-Unis. Au-delà de son aspect déconcertant il pose question quant à son efficacité : la dernière année du mandat est consacrée uniquement aux primaires et à l’élection, au suffrage universel indirect, ainsi qu’à l’attente suscitée par le passage d’une présidence à l’autre, soit entre novembre et le 20 janvier de l’année suivante.
Le livre se clôt sur la question fondamentale de l’étendue des prérogatives accordées au président des Etats-Unis et de la tendance toujours plus lourde à la centralisation. Cette interrogation est aujourd’hui l’objet d’un véritable malaise aux Etats-Unis. Elle permet de saisir un certain nombre de tensions qui parcourt actuellement la société américaine à propos du statut de ses dirigeants, tension qui est mue par un souci de liberté individuelle qui avait tant surpris Tocqueville il y a 150 ans.
Jean Senié
[1] André Kaspi et Hélène Harter, Les présidents américains, Paris, Taillandier, janvier 2012, p. 21.
[2] On lira à ce sujet, Magalie Bessone, A l’origine de la République américaine: un double projet, Thomas Jefferson vs. Alexander Hamilton, Paris, Michel Houdiard, 2007.
[3] Henri Hude, Comprendre le Tea Party, Paris, Fondapol, mars 2011.
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