Hollande et Rocard : détournement d’hommage

Vincent Feré | 13 novembre 2015

rocardHollande et Rocard : détournement d’hommage

Par Vincent Feré 

Le Président de la République a récemment élevé l’ancien Premier ministre Michel Rocard à la dignité de Grand-croix de la Légion d’honneur. Le symbole est fort et inattendu de la part de François Hollande dont l’inspiration politique est plus mitterrandienne que rocardienne. Mais s’il traduit sans doute une forme de mauvaise conscience à l’égard du chantre du « parler vrai », cet hommage peut également se lire comme une défense et illustration de la méthode Hollande. Et, non sans contradiction, comme une esquisse de la stratégie du candidat socialiste pour 2017.

Michel Rocard, mauvaise conscience de la gauche

L’hommage de François Hollande à Michel Rocard peut s’interpréter, en creux,  comme l’expression d’une certaine mauvaise conscience des socialistes au pouvoir. Une fois encore en effet, en 2012 comme en 1981, ils ont refusé de voir la réalité, celle d’une économie en perte de compétitivité, d’un pays figé dans ses structures, d’un État financièrement exsangue. Le candidat Hollande a mis ses pas dans ceux de Mitterrand qui avait refusé jadis d’écouter les avertissements de Rocard sur l’irréalisme de son programme économique. Négligeant l’ampleur de la crise, François Hollande a ainsi choisi d’axer sa campagne à gauche, faisant de la finance son « ennemi » et de son adversaire le « Président des riches » qu’il fallait chasser pour mettre en œuvre le « redressement dans la justice » avec l’impôt à 75% sur les plus hauts revenus. La suite est connue : les mêmes causes ayant produit les mêmes effets, l’histoire s’est répétée : 2014 et le « pacte de responsabilité » sont venus faire écho au tournant de la rigueur en 1983. Plus grave encore : ce refus du « parler vrai » sur la situation du pays a achevé de décrédibiliser le discours politique de la gauche : son électorat traditionnel se tourne désormais vers l’abstention ou le Front national, en passe de devenir le premier parti de France. En 1983 aussi, le changement de cap mitterrandien avait entraîné l’irruption du parti de Jean-Marie Le Pen sur le devant de la scène politique. Mais la gauche dorénavant durablement coupée de l’électorat populaire ne peut plus guère compter comme jadis sur l’instrumentalisation du danger frontiste dans la mesure où elle n’est plus assurée dans aucun scrutin d’arriver au second tour.

Cet échec accablant peut légitimement susciter une forme de mauvaise conscience de la part d’une gauche incapable de se doter d’une véritable culture de gouvernement. Mais en honorant Michel Rocard, François Hollande ne cherchait pas tant à faire un quelconque mea culpa qu’à défendre et illustrer sa stratégie de Président et  … futur candidat.

L’éloge intéressé de la « méthode Rocard »

Dans son discours du 9 octobre dernier, François Hollande a fait l’éloge de la « méthode Rocard » : « vous avez cherché à apaiser la société et réformer la France. Nul besoin de rupture pour réformer. C’est l’apaisement qui produit la réforme et c’est la réforme qui produit l’apaisement ». Le sens caché de l’hommage n’est pas difficile à déchiffrer : le Président fait en réalité l’éloge de sa propre politique de prudence où une mesure vient en corriger une autre sans que jamais aucune réforme ne soit conduite en profondeur. Car dans un contexte économiquement beaucoup plus favorable il est vrai – la croissance approche les 4% à la fin des années 80 -,  Michel Rocard a su conduire des transformations de fond : la création de la CSG ou du RMI par exemple. Où est l’équivalent dans l’action de l’actuel Président de la République ? Et pourtant la situation de la France s’est aggravée au cours du dernier quart de siècle. L’heure n’est probablement plus à la prudence qui d’ailleurs fut jadis reprochée à Michel Rocard : un certain nombre de chantiers comme celui des retraites furent alors ouverts sans qu’aucune décision ne soit prise.  Les maux dont souffre la France et qui retardent son entrée dans le XXI ème siècle sont bien connus. Dès lors, on aurait pu, par exemple, attendre d’un spécialiste de la fiscalité la grande réforme dont la France a besoin en la matière. Or qu’a-t-on vu sinon une succession de hausses d’impôts et pas seulement pour les plus riches ? Où en est la réforme du marché du travail dans un pays gangrené depuis des décennies par un chômage de masse ? Où en est la refondation de l’école alors que le système scolaire continue de laisser sortir chaque année 150000 jeunes sans diplôme ? Il est évident qu’en ces domaines la France a davantage besoin de ruptures que de demi-mesures et l’expression « c’est l’apaisement qui produit la réforme et c’est la réforme qui produit l’apaisement » n’est finalement qu’une formule creuse masquant mal le « ni ni » mitterrandien qui sert de viatique au Président de la République. Si le Hollande candidat a suivi le Mitterrand de 1981, le Hollande président a donc fait sien le slogan du Mitterrand candidat de 1988.

Mais précisément, derrière le Président, pointe déjà le candidat qui, à travers Michel Rocard, fait davantage l’éloge de l’apaisement que de la réforme.

Une stratégie pour 2017

Finalement, François Hollande cherche surtout à se poser en rassembleur d’une France menacée par la division. Il a endossé ce rôle avec succès lors des attentats de janvier dernier. Il entend bien s’en servir pendant la future campagne des présidentielles. Derrière l’hommage à Michel Rocard – « vous rêviez d’un pays où l’on se parle de nouveau, », « vous avez cherché à apaiser la société », on voit poindre la stratégie du candidat Hollande, défenseur de l’unité nationale mise en péril par les fauteurs de troubles et de divisions : la droite et l’extrême droite. François Hollande reprend ainsi la tactique de Mitterrand qui, lors de sa déclaration de candidature en 1988, avait agité la menace des « clans » à la tête du pays – il visait alors l’« État RPR »-, et dénoncé les risques pour la « paix sociale » et la « paix civile ». Qui menace aujourd’hui la « paix civile » selon François Hollande ? Manuel Valls, un ancien rocardien pourtant, a répondu par anticipation dès le mois d’août à cette question : « le bloc réactionnaire », entendons : la droite et l’extrême droite. L’éloge de Michel Rocard par François Hollande tourne alors à l’antiphrase ou à l’instrumentalisation grossière : « vous rêviez d’un pays où l’on se parle de nouveau, d’une politique qui serait attentive à ce qui est dit et non à qui l’a dit. C’est toujours d’actualité et j’ajouterai : hélas ! ».  Car Hollande rejoue de façon outrancière le jeu du rempart contre l’extrême droite et la droite. Mais qui espère-t-il convaincre dans un contexte qui n’est plus celui d’il y a trente ans ? Jean Garrigues et Christophe de Voogd ont du reste bien montré les dangers d’une formule qui vise à rassembler une gauche divisée et sans programme.

Le danger est d’autant plus grand que François Hollande n’a pas renoncé à exploiter le péril « réactionnaire » et il ne verrait sans doute pas d’un mauvais œil la victoire de Marine Le Pen aux régionales dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, illustrant les risques d’une division de la gauche au premier tour … de la présidentielle.

Le cynisme plutôt que l’éthique : encore un héritage plus mitterrandien que rocardien !

crédit photo : flickr Parti socialiste

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