Homophobie ou homophobies ?

25 septembre 2013

25.09.2013Homophobie ou homophobies ?

Arnaud Alessandrin, Yves Raibaud, Géographie des homophobies, Armand Colin, Paris, Aout 2013, 288p, 27€

Sous la direction de Arnaud Alessandrin et de Yves Raibaud, l’ouvrage « Géographie des homophobies » regroupe un ensemble de recherches en géographie et en sociologie sur les lieux de l’expression de la culture homosexuelle et autres « minorités » sexuelles. Il s’agit de donner une cartographie de « ces empêchements territorialisés qui pèsent sur ces minorités (…) et de leur résolution ». Partant du postulat que la société hétérocentrée, par certaines dérives exclusives, peut se révéler homophobe et après avoir retenu une définition large de l’homophobie, les auteurs étudient le mode de domination social et la façon dont les minorités réagissent, illustrant leurs propos d’entretiens avec des acteurs du milieu.

Une définition large de l’homophobie

Les auteurs retiennent une définition extensive de l’homophobie. Si elle comprend la peur des homosexuels hommes et femmes, gays et lesbiennes, elle comprend aussi la peur des transsexuels et  des androgynes dits « intersexes ». L’homophobie est au fond « un rejet de la différence» si l’on reprend la définition de SOS homophobie. Malheureusement, les auteurs tendent, par la suite, à lui donner une dimension protéiforme peu satisfaisante. Car il apparaît à la lecture de l’ouvrage que l’homophobie recouvre une palette d’émotions nombreuses et dissemblables qui se traduisent de diverses façons.

Les manifestations de l’homophobie

L’homophobie de la société hétéronormative, s’exprime au quotidien par l’agression physique, l’insulte, la stigmatisation et la pression sociale contre les minorités sexuelles. Plus grave, les politiques publiques entretiennent une « homophobie institutionnelle d’Etat » à travers la construction de complexes sportifs pour des populations principalement masculines ou la subvention de groupes de musique populaires et contestataires tel Sexion d’Assault dont les propos homophobes sont relativisés au prétexte qu’ils sont l’expression d’une contre-culture.

Pour son aspect parfois clivant, l’homophobie peut être aussi instrumentalisée au niveau politique au nom de la défense des valeurs de tolérances d’un Occident inclusif contre un Orient obscurantiste et excluant. La rhétorique « homo-nationaliste » qui s’entend de l’extrême droite hollandaise jusque dans les rangs du Front National se calque sur un modèle de « guerre des civilisations » cher à Samuel Hungtington.

Dans le cas des transsexuels et des inter-sexes, l’hostilité peut en outre venir des rangs des homosexuels eux-mêmes. Les transsexuels et inter-sexes remettent en cause de façon plus radicale le rapport de conformité sexe-genre hérité de la société patriarcale. Cela tient à leur combat pour la dépathologisation psychiatrique de leur état et l’affranchissement du dualisme homme-femme légitimant aux yeux des médecins des opérations chirurgicales d’assignation sexuelle avec les risques de stérilisation irréversible qu’elles impliquent. Difficilement acceptée dans les milieux gays et lesbiens, cette situation peut engendrer de vives réactions. Le sort réservé aux « butchs » (femmes aux manières d’homme) dans les milieux homosexuels mixtes attachés à l’expression d’une féminité des lesbiennes, ou le refus d’accueillir des transsexuels d’origine masculine (MtF) dans les milieux homosexuels féminins non-mixtes sont des exemples. Gays et lesbiennes sont souvent attachés à la conformité sexe-genre et peuvent exercer, à leur tour, sur les autres minorités sexuelles une domination sociale « cis-genre (à un genre correspond un sexe).

Les réactions à l’homophobie

–      Le développement d’une subculture gay

En réaction à l’homophobie ambiante, les victimes adoptent des comportement d’évitement, de fuite ou de regroupement afin de trouver une place loin de « l’interpellation hétérosexuelle ». La plage, les grandes villes anonymes sont des lieux privilégiés pour le développement d’une sub-culture gay. Toutefois les femmes et les hommes ne réagissent pas de la même façon. Les premières tendent d’elles-mêmes à se rendre invisibles au point que les lieux de rencontre lesbiens sont rares. Les hommes, au contraire, tendent à se concentrer dans les mêmes quartiers des grandes villes augmentant ainsi leur visibilité.

–      La recherche de l’entre-soi

La recherche de l’entre-soi se situe à l’intersection d’une fuite de la pression hétérosexuelle et d’une recherche du « même », de l’identique, pas seulement sexuel mais aussi social, racial ou ethnique. La culture de classe dans les milieux mixtes peut conduire à rejeter certaines homosexuelles pas assez féminines dans des termes hérités de la domination patriarcale et misogyne. Ainsi, la recherche de l’entre-soi peut entraîner paradoxalement une revalorisation des valeurs hétérocentristes dans un milieu homosexuel où l’homophobie a été intériorisée. Comme le dit un auteur: il n’y a pas de solidarité spontanée dans les milieux homosexuels.

–      La revalorisation du genre sur le sexe

La logique de déplacement des transsexuels et des inter-sexes est un peu différente. Ne pouvant se conformer à la règle « cis-genre », ils tendent à s’identifier ou bien au genre qu’ils auront choisis, ou bien à leur trans-identité ou leur androgynie. Si beaucoup d’entre eux vivent difficilement cette situation, d’autres sont fières de pouvoir exhiber une sexualité qui échappe à la catégorisation binaire homme-femme. Judith Butler, inspiratrice de la théorie du genre, se prend à imaginer une identité féminine purement subjective: est femme celui ou celle qui se dit femme. L’affirmation de soi fait l’économie d’une traduction biologique ; ainsi la libération sexuelle prisée par les gays se concilie avec le souci de la libre disposition – et préservation- de son corps, revendiquée plutôt par les féministes, les lesbiennes et les trans.

L’image de la « folle », c’est-à-dire l’homosexuel masculin qui imite la femme de façon théâtralisée et humoristique est incarnée aujourd’hui par les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence. En se réappropriant en apparence les codes religieux, notamment celui de la chasteté, cette communauté porte le combat des revendications des minorités sexuelles au delà de la sexualité, au niveau du genre. En faisant exploser le cadre de la conformité sexe-genre, les Soeurs contribuent à dépassionner le débat. En effet, comme être homme ou femme se réduit à une simple apparence dans une réalité  marquée par l’indistinction des genres et des sexes, le combat pour la libération sexuelle relève finalement de la fantaisie folklorique. Ainsi, une des réactions privilégiées face l’oppression homophobe dans le milieu trans passe par la mise en valeur du genre sur le sexe, de la culture choisie sur la nature contingente.

Une approche de l’homophobie insatisfaisante

Si l’approche en terme de territorialisation de l’homophobie est intéressante elle aurait dû s’accompagner d’une définition plus précise et invariable de l’homophobie et non large et changeante. Le pluriel utilisé pour parler de l’homophobie ne contribue par à clarifier la notion. De plus, en retenant une pareille définition, les auteurs se sont heurtés à une contradiction interne à leur raisonnement.

L’homophobie est certes une peur qui se traduit par un rejet de l’autre. Mais à lire l’ouvrage, il s’agit d’un rejet en raison de l’orientation sexuelle et non en raison de la dissociation sexe-genre. C’est pourquoi, si s’intéresser à l’homophobie est pertinent pour étudier les mouvements de populations gays et lesbiens, ce n’est pas vraiment le cas lorsqu’il s’agit des populations trans et inter-sexes. Pour les premiers, l’approche matérialiste et bourdieusienne se conjugue bien à une lutte pour la libération sexuelle dans un contexte d’oppression patriarcale sans remettre en cause le lien entre le sexe et le genre alors que pour les seconds, l’approche qui emprunte d’avantage au lexique de la théorie du genre et du féminisme structuraliste ouvre la voie à un dépassement de la règle de conformation sexe-genre au nom d’une dé-construction systématique et revendiquée du sexe et du genre. Autrement dit, il ne peut plus y avoir d’homophobie dans un contexte où il n’existe plus ni homme ni femme.

Une méthode d’enquête originale

La tentation de dépasser -pour mieux les ignorer- les frontières de la binarité homme-femme est une constante de l’ouvrage. Elle se reflète dans la méthode qui questionne les catégorisations faites entre expertise savante et profane, subjectivité et objectivité, intimité et extériorité à l’instar de ces personnes inter-sexes dont ce qui faisait leur honte, leur androgynie, peut désormais apparaître comme un champ de possibles. Si le combat, pour la libération sexuelle et la libre disposition du corps, de ces « militants-chercheurs » interrogés dans le cours de l’ouvrage n’est pas achevé, il en vaut bien la peine.

François de Laboulaye

Crédit photo : °°°paula°°°

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