Illuminer un monument national : hommage ou politique étrangère ?
Elizaveta Turgeneva | 15 mai 2017
Comment un hommage aux victimes du terrorisme est-il devenu un sujet de discours, d’indignation, et pour certains, la mesure de la valeur de la vie et la marque d’une émotion sélective ? Avec l’attaque terroriste de Paris, le choc et la peur s’exprimaient à travers les médias et sur les réseaux sociaux. On se souvient que les couleurs du drapeau français s’étaient retrouvées partout dans le monde, des monuments nationaux aux photos de profil sur Facebook. Depuis ce jour, se pose alors la même question macabre à chaque attentat ou catastrophe entraînant un nombre important de victimes. Illuminer ou non tel ou tel monument est devenu un vrai sujet politique, bien au-delà de la simple volonté de rendre hommage et d’exprimer solidarité et compassion envers une nation et un peuple. On s’en doute, c’est un sujet particulièrement sensible sur lequel l’erreur n’est pas permise. Exprimer sa solidarité : réalisme et sélectivité Par exemple, pour le cas de Saint-Pétersbourg, une des villes récemment touchée par un attentat terroriste, le nombre de victimes a été plus grand qu’au Royaume Uni, une semaine avant. Pour autant, il a fallu plus de 24 heures à la Mairie de Paris pour décider d’éteindre les lumières de la Tour Eiffel, en hommage, quand, pour Londres, la décision a été prise le jour même. A l’inverse, pour les attaques en Turquie ou au Liban, rien n’a été décidé. Le cas de l’illumination des monuments nationaux montre un constat déjà connu : l’indignation et l’émotion semblent sélectives. Si l’attaque de Paris, en Novembre 2015 a eu autant de force émotionnelle, c’est avant tout parce que le lieu touché, le nombre de victimes et le mode opératoire des terroristes étaient nouveaux. Idem pour Nice avec l’attaque au camion fou un jour de fête nationale. C’est d’ailleurs sur cet impact émotionnel fort que compte le terrorisme. Le terrorisme, en s’attaquant aux individus, vise à avant tout des symboles. A l’inverse, on constate une certaine résilience : la population s’habitue au terrorisme, y compris lorsque cela survient sur son propre territoire. Par exemple, en Russie, l’émotion en réaction à l’attaque de Paris a été plus forte que pour l’avion russe Vol 9268 Metrojet qui a explosé en vol une semaine avant au dessus du Sinaï. La France étant perçue, dans l’imaginaire collectif international, comme étant la « patrie des droits de l’homme » avec des valeurs fortes, l’impact d’un attentat y est d’autant plus fort et relayé médiatiquement que pour une attaque dans un autre pays, d’autant plus que la France a pendant longtemps été considérée comme un pays sur et éloigné du terrorisme. De manière générale, il n’a y pas de règles concernant l’illumination des monuments nationaux. Paradoxalement, face à des actes d’une grande portée sur le plan émotionnel, l’hommage rendu est soumis à une rationalité parfois mal comprise du grand public. C’est un hommage rationalisé qui est en place depuis ce moment-là : chaque mairie ou gouvernement est responsable de décider. Par exemple, c’était le cas avec la porte de Brandebourg, qui est resté éteinte aussi au motif que «Berlin et Saint-Pétersbourg ne sont pas des villes jumelles», a expliqué un porte-parole de la municipalité berlinoise. On s’en doute, à Saint-Pétersbourg, cette décision a été très mal perçue. Car c’est placer la Russie dans la liste des pays où les attentats sont la réalité du quotidien, c’est aussi exclure ce pays de la liste des Etats européens, y compris dans le sens géographique du terme. Implicitement se pose alors la question concernant le sentiment d’appartenance à une civilisation commune. Illuminer un monument en hommage aux victimes d’un pays en particulier plutôt que d’un autre, c’est reconnaître cette nation comme amie, comme partageant un socle commun de valeurs, d’une culture partagée, en somme, comme faisant partie d’un même ensemble civilisationnel. De facto, ne pas rendre cet hommage pour d’autres, c’est exclure de ce groupe. Un enjeu de plus face au terrorisme Le monde occidental traverse une période délicate de son histoire sur le plan de la sécurité, avec l’émergence de nouvelles menaces. La question de l’hommage rendu à un pays étranger suite à une attaque reste particulièrement complexe. Soit on considère qu’à chaque attaque doit suivre une manifestation de soutien équivalente, peu importe le pays touché, soit on continue à faire cette « sélection » qui se fonde sur des critères parfois peu compréhensibles, au risque de voir une partie de l’opinion critiquer une décision. Les hésitations sur ce point montrent bien que les Etats n’ont pas encore réussi à répondre à toutes les questions que la menace terroriste peut soulever.
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