Internet et les réseaux sociaux : que dit la loi ?
11 décembre 2017
« A partir de 2005, l’internaute s’est mis à exploiter des usages inédits, à adopter la « web attitude » en devenant un « actinaute ». Désormais, il s’enfonce dans l’épaisse végétation du web, de manière active et interactive. Isolé mais désinhibé, il se montre, il se signale, il se fait connaître, il s’exprime, il s’extériorise, il se singularise et se fait remarquer, il s’illustre, il influe…. Mais en s’agitant et en s’exhibant, il s’expose à des risques de toutes natures ». Dans son ouvrage, « Internet et les réseaux sociaux », Fabrice Mattatia , au-delà de l’essai, offre un décryptage méthodique des règles applicables au domaine de l’internet. Internet est-il soumis à un droit particulier ? Dans la plupart des litiges qui s’y rattachent, il est étonnant de voir que le droit « classique », s’applique aussi au numérique. Pour l’auteur, la raison de cette transposition naturelle est simple : une bonne loi est une loi universelle, qui vaut partout, et de tout temps, plutôt qu’une loi spécifique à une technologie, où une situation précise. Connaître ses droits et ses devoirs sur internet aide incontestablement à surfer avec plus de sérénité. Une problématique qui nous concerne tous, puisque l’internaute 2.0, celui qui télécharge, qui consomme, qui publie, c’est au fond chacun d’entre nous.
La liberté d’expression sur internet : un droit fondamental, mais pas absolu.
La liberté d’expression, consacrée par les articles 10 et 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, prévoit que « nul ne doit être inquiété par ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Un internaute français qui s’exprime sur un blog, un forum ou tout autre site, peut donc profiter de cette liberté d’expression, dans les limites prévues par la loi. Ces limites concernent l’injure, la diffamation, le respect de la vie privée, les propos interdits comme les déclarations racistes, sexistes, homophobes, ou les incitations à la violence. De nombreux tweets ont donné lieu à des condamnations, lorsqu’ils constituaient des délits d’incitation à la haine, à la discrimination, ou à la violence, comme les tweets antisémites par exemple. Par une ordonnance du 24 janvier 2013, le TGI de Paris avait contraint twitter à communiquer aux associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme l’identité des propriétaires des comptes émetteurs des tweets concernés.
La responsabilité de ses actes : un principe fondamental.
Si la déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit la libre communication des pensées et des expressions, elle pose par la même occasion, le principe de responsabilité : chacun doit répondre de ses éventuelles infractions. Pour l’heure, l’obligation d’identification concerne exclusivement les professionnels, car pour les particuliers, l’anonymat partiel est autorisé. Un éditeur de services web doit pouvoir être contacté et identifié en cas d’abus ou d’infraction. L’anonymat partiel permet aux particulier de ne publier sur un site que des informations « choisies ». Le nom et l’identité de l’internaute sont néanmoins connus de l’hébergeur et ces informations confidentielles protégées par une obligation du secret professionnel, dont l’infraction représente une infraction pénale.
De la vie privée aux données personnelles.
Quelle est la différence entre la vie privée et nos données personnelles ? « Toutes les données personnelles ne relèvent pas de la vie privée ». Par exemple, les informations concernant l’activité publique d’une personne constituent des données personnelles, mais ne relèvent pas de la vie privée. Le droit à la vie privée, consiste à pouvoir conserver une part d’intimité, ce qui doit certes s’entendre comme le droit à ne pas voir certaines actions surveillées ou divulguées, mais qui recouvre également le droit à ne pas recevoir certaines sollicitations ou des discriminations en fonction d’une vie privée que l’on ne souhaite pas divulguer ».
Le droit à la protection des données s’est construit en accompagnant le développement de l’informatique, comme une protection offerte aux citoyens, face à l’émergence des puissances du net. Elle résulte également d’une prise de conscience : celle d’imposer des limites aux moyens de surveillance, afin de protéger le droit à la vie privée. Car depuis les années 70, les entreprises ont acquis la capacité de collecter et de traiter les données personnelles de leurs clients ou de leurs prospects. Selon une étude publiée en 2012 par le Boston Consulting Group, « The value of our digital identity », la valeur globale des données personnelles de l’ensemble des citoyens de l’union européenne s’élèverait à 330 milliards d’euros par an, pour les organisations publiques et privées (gains de productivité et conquête de nouveaux marchés). Le respect des données personnelles et de la vie privée constituent même un argument compétitif commercial pour les nouveaux acteurs marchands.
La « e-réputation » et l’exposition sur les réseaux sociaux.
Internet ouvre la voie d’une mémoire illimitée et inaltérable de la réputation numérique d’un individu. Nos données personnelles constituent ainsi un nouveau carburant numérique. Tous les services dits gratuits, sont payés à coup de monétisation publicitaire de nos usages, de notre navigation : « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». La loi française offre un cadre qui permet notamment de condamner les publications, réalisées sur son compte par un tiers, ou la divulgation de données à l’insu de l’intéressé. Le « happy slapping », qui consiste à filmer et à publier les images d’une personne se faisant agressée sur les réseaux sociaux n’était pas un délit prévu par la loi. Ce qui n’a pas empêché les auteurs de telles vidéos, d’être condamnés pour non assistance à personne en danger et atteinte à la vie privée de la victime.
De l’usage privé à la vie professionnelle, de la cybercriminalité organisée aux publications injurieuses sur les réseaux sociaux, l’infraction numérique est aujourd’hui une réalité beaucoup plus généralisée et tangible que par le passé. Plusieurs sites permettent aujourd’hui de signaler une infraction, mais le dépôt de plainte se fera toujours dans un commissariat de police ou dans une antenne de gendarmerie. Pour les atteintes numériques, une grande réactivité s’impose, puisque pour les diffamations et les injures, le dépôt de plainte doit être réalisé dans les trois mois suivant la mise en ligne du contenu litigieux. Pour une plainte concernant les données personnelles, le responsable du traitement de ces données peut les rectifier ou les faire retirer. Si le délai de deux mois d’opposition ou de rétractation n’est pas respecté, l’intéressé pourra alors saisir la CNIL. Si l’internaute actif ignore l’ensemble de ces règles, le sentiment de sécurité, d’impunité ou d’anonymat de l’internet, ne doit pas lui faire oublier que ce nouvel espace de liberté s’inscrit dans un cadre légal qui n’en demeure pas moins tangible, dans l’intérêt de sa protection.
Farid Gueham
Pour aller plus loin :
– « Internet responsable : Droit pénal et Internet », Eduscol.education.fr
– « Liberté et droits fondamentaux sur internet », Diplomatie.gouv.fr
– « The Value of Our Digital Identity », BCG, novembre 2012 par John Rose, Olaf Rehse, and Björn Röber
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