Interview de Markus C. Kerber
Fondapol | 29 janvier 2015
Interview Markus C. Kerber
Par Markus Kerber, économiste et professeur de droit à la Technishe Universität de Berlin
Trop Libre – Quel regard portez-vous sur l’économie française aujourd’hui ? Quelles sont ses faiblesses et ses forces ?
Markus Kerber : Le problème de l’économie française est l’absence d’une politique gouvernementale consciente de la reconquête de compétitivité industrielle et de sa volonté d’investissement. Tant que M. Hollande comme son prédécesseur, faute d’expérience industrielle, parle de problèmes de compétitivité sans comprendre les conditions préalables de son amélioration, le monde d’entreprise a raison de craindre la politique.
Trop Libre – La Banque centrale européenne vient d’engager un programme de « quantitative easing ». Est-ce un bon signe pour les réformes en Europe et particulièrement en France ou jugez-vous au contraire que cela va lever la pression sur les Gouvernements ? Comment cette décision est-elle reçue en Allemagne ?
M. K : Les mesures annoncées par la BCE le 22 janvier manifestent son désespoir. Depuis 2007 aucune des mesures dites non-conventionnelles s’est avérée susceptible d’encourager les banques à prêter aux investisseurs. Croire que l’achat de la dette souveraine d’une banque aura un autre effet positif sur l’investissement est une erreur de jugement palpable. M. Draghi et M. Coeuré sont trop intelligents pour méconnaitre cela. Le seul objet de leur politique est le transfert des risques nationaux à la BCE. Leur Leitmotiv c’est de faire de la BCE une grande mutuelle. Les allemands observent avec vigilance cette évolution de d’instrumentaliser la BCE aux fins politiques des pays latins. La réaction est unanime. Les Allemands pensent : Nous avons été trompés.
Trop Libre – La victoire de l’extrême-gauche en Grèce est-elle une mauvaise nouvelle pour l’Allemagne ? Si la dette grecque était renégociée (qui reste énorme et un poids pour le pays), ne serait-ce pas une récompense aux moins vertueux ? A l’inverse, ne serait-ce pas un signe que la stratégie vertueuse de l’Allemagne paie … pour financer les autres ?
M. K : La victoire de M. Tsipras et des alliés de droite l’extrême est surtout un triomphe de la déraison et la démagogie. Résultat : C’est l’escroc qui veut faire chanter l’honnête homme. Si l’exemple de la Grèce devient un cas d’école, les autres pays débiteurs (Chypre, Portugal, Irlande) seront tentés de suivre cette voie. Vous verrez vite les conséquences.
Trop Libre – En France, l’exemple allemand exerce à la fois un effet d’attirance (l’Allemagne serait le modèle industriel et productif qu’il faudrait suivre) et de répulsion (les exigences économiques rigoureuses qu’imposeraient l’Allemagne seraient injustifiées). Comment l’expliquez-vous ? La France est-elle toujours considérée comme un partenaire économique et politique fiable ou est-elle un sujet de préoccupation pour l’Allemagne ?
M. K : Il faut que les élites françaises se décomplexent par rapport à l’Allemagne. Chaque pays doit trouver son chemin. J’espère que la France retrouve rapidement son élan et je souhaite que ses élites nous épargnent leur conseil en le gardant pour leur propre pays.
Trop Libre – Un thème « à la mode » est celui de la fin de la croissance. Thomas Piketty fonde son analyse sur cette hypothèse. Patrick Artus vient de publier un livre à ce sujet. Ces débats font la suite de débats qui existent depuis des années aux Etats-Unis, portés par Robert Gordin, Erik Brynjolfsson et d’autres, comme Jan Vijg que Trop Libre avait interrogé (voir ici). Aux Etats-Unis, la croissance repart pourtant. Qu’en est-il de l’Europe ?
M. K : Le problème abordé par M. Piketty présuppose l’existence d’une notable croissance permettant à discuter la juste répartition de ses fruits. Or l’Europe reste scindé entre les pays du nord qui gardent une économie compétitive et les pays latins qui, dû à leurs politiques inadaptées, sont à la traine.
Trop Libre – Absence de croissance, système éducatif fatigué, marché du travail dans un mauvais état … la France est-elle condamnée à gérer la pénurie ou peut-elle espérer rebondir dans la croissance ?
M. K. : Bien sûr, la France à la capacité de rebondir. Son économie reste fondamentalement vigoureuse, mais son problème c’est l’Etat. C’est un monstre qui gaspille l’argent des contribuables et qui tient les entreprises dans leurs fers. Quand les Français vont-ils se révolter contre l’état ?
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