Israël : la nation start-up

Fondapol | 12 juillet 2014

11.07.20148Israël : la nation start-up

Dan Senor et Paul Singer, Israël, la nation start-up. Les ressorts du miracle économique israélien, Editions Maxima, 2014, 376 p, 24,8€.

« Le plus prudent, c’est d’oser ». Shimon Pérès

D’où provient l’énergie d’entreprendre d’Israël ? Pourquoi cet Etat est-il qualifié de terre d’innovation et de start-up ? Quels enseignements peut-on en tirer à l’étranger ?

Telles sont les principales interrogations auxquelles tentent de répondre Dan Senor et Saul Singer, dans cette deuxième édition augmentée de leur ouvrage intitulé : « Israël : la nation start-up ».

De prime abord, cette étude pourrait s’apparenter à une analyse purement quantitative d’Israël, dont le boom économique ne date que des années 1990. Il s’agit en réalité d’une analyse sociologique, retraçant le parcours type des jeunes israéliens, et tentant d’expliquer, à travers des exemples concrets de succès entrepreneuriaux, les raisons pour lesquelles Israël s’impose aujourd’hui comme pays avant-gardiste. Le tout agrémenté d’anecdotes politique, historique et religieuse. Un ouvrage instructif plongeant au cœur de la culture israélienne, pour une rétrospective concise mais efficace, retraçant l’histoire d’un pays ayant multiplié son PIB par 50 en l’espace de 60 ans.

Instiller une culture d’innovation

Nombreuses sont les start-up israéliennes qui ont réussi à s’imposer comme de véritables entreprises, et à dépasser – au moins un temps –  les frontières de la terre sainte : Better place, Fraud sciences ou encore ICQ, start-up qui ont toutes en commun des entrepreneurs aux caractéristiques individuelles similaires : ténacité, questionnement insatiable, absence déterminée de formalisme, vision positive de l’échec, audace, créativité, motivation. Autant de qualificatifs résumés par  une expression unique : la chutzpah (yiddish), en français le culot, le courage mais surtout une présomption arrogante – la norme pour les israéliens. La chutzpah est présente dans toutes les organisations : des étudiants vers leurs professeurs, des employés à l’égard de leurs patrons, des sergents face à leurs généraux. En Israël, la confiance en soi est la norme, et toute retenue est mal perçue. A ces aspects comportementaux s’ajoute un goût du risque sans limite, encadré par le rosh gadol, soit l’attitude constructive et responsable de chacun : l’improvisation est très souvent privilégiée par rapport à la discipline. Défier son supérieur apparait comme naturel, en dépit du respect de la hiérarchie.

Le service militaire obligatoire apparait également comme un élément structurant du modèle économique israélien, en plus d’être la pierre angulaire du système éducatif. Cette période de conscription (deux ans pour les femmes, trois ans pour les hommes) fait office de centre de formation pour la jeunesse israélienne. Le lecteur y apprend que le passé militaire est presque plus important que le cursus universitaire. Tout au moins, il détermine la future carrière professionnelle, en fonction de l’unité – plus ou moins prestigieuse – intégré par chaque jeune diplômé. Cette période de conscription apprend à endosser jeune de fortes responsabilités, à travailler en équipe, à se défier mutuellement, à se construire un réseau permettant de vivre dans l’interconnexion perpétuelle et à atteindre un point d’excellence technologique.

Le débriefing et le séminaire sont des techniques au cœur de l’activité militaire et entrepreneuriale israélienne. Elles permettent un véritable débat stimulant l’innovation. Dov Frohman, fondateur d’Intel Israël, considère que « la peur de la perte se révèle plus forte que l’espérance de gain ; l’objectif d’un leader devrait être d’optimiser la résistance, en encourageant le désaccord et les dissensions. Lorsqu’une organisation est en crise, l’absence de résistance peut être considérée en elle-même comme un gros problème. Cela peut vouloir dire que le changement que vous souhaitez engager n’est pas assez radical ou bien que l’opposition est cachée. Si vous n’avez même pas conscience que les gens de votre organisation sont en désaccord avec vous, alors vous avez un problème ».

Depuis le début des années 1980, Israël multiplie les innovations. Au départ néanmoins, l’Etat israélien rencontrait des difficultés pour commercialiser et exporter ces nouvelles technologies du fait d’un manque de financement. Le programme Yozma, l’initiative gouvernementale, a permis d’injecter 100 millions de dollars au sein de 10 nouveaux fonds de capital risque, créés entre 1992 et 1997 et qui gèrent aujourd’hui près de 3 milliards de dollars. A la même époque, un virage libéral a également été amorcé par Benyamin Netanyahou, alors ministre des Finances : baisse des taux d’imposition, réduction des salaires des fonctionnaires, privatisations, suppression de 4000 postes gouvernementaux. Le début des années 1990 est ainsi considéré comme le point de départ de l’essor économique israélien, qui s’est concrétisé avec la multiplication des pôles de compétitivité et l’utilisation toujours plus systématique du mashup – l’interdisciplinarité. Ces succès à répétition ne sont pas sans compter sur les compétences acquises par la diaspora juive à l’étranger, rapatriées en Israël.

La résultante de l’ensemble de ces éléments serait donc de facto une innovation permanente. Cette dernière est d’autant plus centrale et fondamentale pour Israël que l’Etat vit sous une menace permanente, incitant à repousser toujours plus loin les limites de la technologie. Ce contexte imprévu et précaire ont d’ailleurs conduit les israéliens à passer outre le danger et à continuer d’honorer leurs engagements commerciaux  quel que soit le degré de sécurité régnant sur le territoire.

Pourquoi Israël ?

Pays des start-up, Israël peut en réalité lui-même se voir attribuer ce statut. Les auteurs considèrent en effet que l’idée sioniste présentait à l’époque un caractère on ne peut plus novateur, et paraissait aussi improbable que de nombreux business plan aujourd’hui développés par des entrepreneurs. Cet Etat fait désormais partie des « usines à idées » et son modèle a tenté d’être repris pas de nombreux autres pays, tels que Singapour ou l’Irlande.

Selon Dan Senor et Saul Singer, la combinaison israélienne est aujourd’hui performante car elle intègre un mélange de patriotisme, de motivation, de conscience constante du manque et de l’adversité, de curiosité et d’impatience qui prend ses racines dans l’histoire juive et israélienne. Actuellement confronté à de nombreuses difficultés – dont celle liée à une fuite des cerveaux de plus en plus criante – Israël doit trouver les clés afin de pouvoir conserver l’originalité de son système et maintenir sur son territoire les entrepreneurs de demain.

« L’avenir de la région dépendra de la formation à la création d’entreprises que nous proposerons à nos jeunes » (Fadi Ghandour).

« Israël : la nation start-up » cible et explique les origines des réussites et des échecs du modèle économique israélien. Elle en souligne également les limites et les incertitudes à moyen terme. Il en résulte une analyse originale, objective et éclairante.

Par Sarah Nerozzi-Banfi

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