Je vapote, tu vapotes, il vapote… Nous vapot(er)ons

03 septembre 2013

03.09.2013Je vapote, tu vapotes, il vapote… Nous vapot(er)ons

La récente enquête Que choisir (N°517, Septembre 2013) dédiée au cas très polémique de la cigarette électronique, propose de démêler le vrai du faux sur ce gadget ayant déjà séduit près d’un million d’utilisateurs. C’est l’occasion, pour Trop Libre, de s’emparer d’un sujet de santé publique de première importance. Nocive, bénéfique, adjuvant au sevrage, addictive, depuis quelques mois, nous entendons tout et son contraire au sujet de la e-cigarette. Son interdiction n’est pas à l’ordre du jour et on peut s’en féliciter. Si l’artefact n’est pas exempt de défauts, il semblerait qu’il soit un moindre mal comparé à sa grande sœur, la bonne vieille clope…

Tabagisme et recettes fiscales : la grande bouffonnerie

Disons le franchement, la schizophrénie des politiques sanitaires concernant la cigarette ne fait pas honneur à la cause. L’article « j’ai du bon tabac… », publié ici-même le 15 juillet dernier, fait état des décisions gouvernementales insensées liées à l’augmentation du prix du tabac.

En ce qui concerne la question de ses recettes fiscales, une simple consultation du site du Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) révèle l’absurdité de la chose : si le montant des taxes prélevées sur la cigarette gonfle les caisses de l’État de 13 milliard d’euros et permet une économie de 5 milliards en retraites non versées suite à la mort prématurée des fumeurs et fumeurs passifs (donnée dont même la neutralité des chiffres parvient mal à cacher le cynisme), « le coût net du tabagisme en 2005 représentait en France plus de 47 milliards d’euros, soit 3 % du PIB. En somme, le tabac coûte l’équivalent d’un impôt indirect annuel de 772 euros à chaque concitoyen. »[1] Pour que la cigarette soit une recette réelle, il faudrait refuser de soigner les fumeurs et les victimes collatérales de la cigarette. Absurde ? En effet.

N’en déplaise aux hédonistes et autres philosophes amoureux des discours subversifs et complaisamment provocateurs, la priorité des politiques sanitaires concernées doit être l’accompagnement vers l’arrêt pour les fumeurs ET le respect des non-fumeurs. Si les méthodes d’arrêt progressif sont le moyen justifié par la fin, qu’il en soit ainsi, pourvu que l’on ne perde pas de vue les objectifs finaux !

L’alternative que représente la cigarette électronique mérite donc d’être analysée comme potentiel progrès de santé publique… et économique.

Tuera, tuera pas ?

Le rapport de l’Office Français de prévention du Tabagisme (OFT), rendu en mai 2013 est très clair à ce sujet, la cigarette électronique, « bien fabriquée et bien utilisée est en elle-même un produit qui présente des dangers infiniment moindres que la cigarette, mais les dangers ne sont pas totalement absents.

Le principal danger intrinsèque de l’e-cigarette est lié à la dépendance à la nicotine contenue, mais la forme du produit et sa gestuelle sont aussi des facteurs qui pourraient contribuer à entretenir la dépendance. Pour autant, la toxicité potentielle du propylène glycol et des arômes qui lui sont ajoutés est encore mal connue et mérite sans aucun doute d’être étudiée. »

Les deux principaux composants du liquide pour e-cigarette, le propylène glycol, qui sert notamment à produire la fumée blanche dans les concerts, et la glycérine végétale sont réputés inoffensifs mais on ne connaît pas encore les effets d’une inhalation quotidienne sur le long-terme. Les tests effectués sur les animaux ne révèlent aucun danger particulier mais ceux-ci doivent encore être effectués sur l’homme.

Puisqu’elle est pressentie pour devenir une alternative viable et relativement saine à la cigarette, la e-cigarette devra faire l’objet de contrôles très stricts. Le gouvernement devra prendre ses responsabilités et appliquer une politique de surveillance exemplaire des substances présentes dans les « e-liquides ».

L’interdiction de vapoter dans les lieux publics : une régression dans le progrès ?

Malgré les conclusions quelque peu alarmistes des tests réalisés par la revue 60 millions de consommateurs[2], toutes les enquêtes s’accordent sur les conclusions de l’OFT. Il est un point, cependant, qui divise très largement les experts : faut-il, en accord avec la recommandation n°22 du rapport de l’OFT, interdire le vapotage dans les lieux publics ?

Selon Luc Dussart, consultant en tabagisme, « dans un État de droit, il est interdit d’interdire sans motif valable et proportionné. Les vapoteurs sont des non-fumeurs, ils ne doivent pas être relégués dans des fumoirs à haut risque pour la santé »[3]. Jean-Yves Neau, journaliste et docteur en médecine, part, quant à lui, en croisade contre les « intégristes de la lutte anti-tabac » et affirme qu’un « nombre croissant d’expériences vécues et rapportées montrent que le  vapotage dans les lieux affectés à un usage collectif  constitue une redoutable publicité pour l’abandon de la cigarette-tabac au profit de la e-cigarette » et qu’ « étendre cette interdiction à l’ensemble des lieux affectés à un usage collectif  revient à assimiler tabac et e-cigarette. »

Nous ne serons pas aussi tranchés. La e-cigarette est un progrès de santé publique « en conditionnelle ». Tant que les tests nécessaires n’auront pas été effectués, il est plus sage (et non timoré, ou frileux) de soumettre le produit aux même restrictions que la cigarette (ceci répond également à la référence juridique de Luc Dussart : la méconnaissance d’un produit potentiellement dangereux sur le long-terme est un motif valable et proportionné). Il sera toujours plus aisée de lever une interdiction que d’en créer une a posteriori.

D’autre part, s’il est évidemment plus facile de communiquer sur l’existence d’un produit lorsque celui-ci est largement diffusé dans l’espace public, ne sombrons pas pour autant dans le catastrophisme marketing : médias, bouche à oreille, rue et terrasse dans le pire des cas, la e-cigarette bénéficiera largement de la visibilité nécessaire à son expansion. Et qu’on ne vienne pas parler d’espace public aseptisé par les tyrans de l’hygiénisme, les particules fines, les rejets de CO2 ou encore les pollutions sonore et visuelle se chargent largement de nous rappeler que notre environnement n’est pas neutre comme un couloir d’hôpital.[4]

Puisqu’il faut (encore) parler argent

Indépendamment des considérations sanitaires, la cigarette électronique représente un avantage économique pour les vapoteurs. L’enquête Que Choisir informe que « le budget mensuel d’un utilisateur avoisine les 50€ (par exemple, six fioles de liquide à 5,90€ et deux atomiseurs à 6€). A quoi il faut ajouter le coût de départ, soit 40€ pour un modèle de base d’e-cigarette. Fumer un paquet par jour de Marlboro (6,80€ le paquet) revient à 204€ par mois ».

Si le succès de l’appareil continue de grandir et que l’épreuve du temps confirme son statut de substitut bénéfique à la cigarette, il sera crucial que les autorités n’augmentent pas son prix par le biais de taxe en tout genre afin de ne pas décourager les convertis et futurs convertis.

Le médicament gadget ou la techno-addiction

Qu’il faille, avec Jacques Ellul, placer la technologie en dehors du champ de la morale ou, au contraire, la présenter comme la clé de voûte d’un bienêtre illimité et, à terme, absolument bon, un produit technique peut, à l’heure actuelle, être analysé sous deux angles différents : l’un positif, l‘autre négatif. Le but n’est pas ici de sombrer dans un relativisme poisseux quant à la nature dualiste de la Technique mais plutôt d’en connaître les potentiels pour favoriser un usage raisonné -et libre !- de nos inventions.

La cigarette électronique renferme un pouvoir de fascination propre aux objets high tech. Elle transporte vers « un nouveau territoire imaginaire de fans de SF, entre narguilé digital et cigare laser » comme en témoigne un utilisateur sur Slate.fr[5]. « Les différentes pièces qui composent cet instrument, atomiseurs, cartomiseurs, batteries, chargeurs et j’en passe sont délicieusement décourageantes pour un novice, donc addictives. On commence avec un modèle de base puis, au fur et à mesure des essais et découvertes, on allonge le dispositif […], on améliore l’engin avec passion, cette même passion qui m’animait gamin lorsque je montais un nouveau PC ou kittais mon scooter.

Vapoter, c’est un peu s’improviser ingénieur. Chaque composant peut être changé, transformé, « customisé », on peut choisir le liquide que l’on fume et modifier jusqu’à l’apparence de l’artefact (logique d’omnipotence). De quoi exciter notre appétit –ontologique ?- pour la maîtrise et, paradoxalement, notre attrait pour l’inconnu et ce qui nous dépasse. La cigarette électronique est bel et bien ce que l’on nomme un gadget : un objet technique qui n’a pas d’autre utilité que de créer du superflu (ce qui n’est pas un mal, soyons tous rassurés !). C’est un énième appendice de l’intelligence humaine, au même titre que le portable, le mp3 ou, plus délicieusement suranné, le couteau suisse.

Là où l’analyse devient particulièrement intéressante c’est lorsque ce superflu se révèle potentiellement capable de contrer les ravages de la cigarette classique et qu’il devient possible de contrer une addiction par une nouvelle addiction, de combattre le superflu par le superflu. Faut-il parler de jeu à sommes nulles ? Nous n’irons pas jusqu’à dire qu’il s’agit de soigner le mal par le mal (si le temps donne raison aux conclusions de l’enquête Que Choisir, les vapoteurs resteront infiniment moins dangereux pour eux-mêmes et leur entourage que les fumeurs) mais il ne faudra pas perdre de vue une vérité devenue ringarde à une époque où le tout-technique floute l’idée même d’effort –et d’autonomie ?- : c’est la volonté qui détermine l’indépendance et la pérennité de nos choix et actions.

C’est là un axe de réflexion qu’on a peu ou pas relevé dans les commentaires sur la cigarette électronique. Peut-être par mépris de la réflexion philosophique ou par peur des considérations abstraites. Ces questions devront pourtant être posées pour favoriser l’émergence d’un humanisme technologique où la liberté de chacun doit être respectée et exercée pleinement, en connaissance de cause.

Julien De Sanctis

 

Crédit photo, Flickr: homard.net

 


[4] La cigarette électronique doit donc être accueillie avec enthousiasme. Émettre des réserves n’a jamais « arrêté le progrès » si les actions nécessaires sont mises en œuvre pour les dissiper. Ne prêtions-nous pas des vertus destressantes à la cigarette classique ? A présent, les autorités sanitaires et les professionnels de santé combattent ce préjugé bien enraciné dans la pensée commune.

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