Jean-Noël Kapferer : "L'enjeu du redressement de la France c'est avant tout l'international"

Fondapol | 26 septembre 2014

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Jean-Noël Kapferer, chercheur, professeur de marketing à HEC et expert des marques de renommée internationale connu pour ses travaux de haut niveau portant sur l’identité des marques,  répond aux questions de Trop-Libre.

Trop Libre : Vous avez publié « quelle stratégie pour la marque France, demain ? » Quelle est votre principale conclusion ?

Jean-Noël Kapferer : Nous avons en effet dirigé un numéro spécial de la Revue Française de Gestion consacré à la Marque France ( Vol 37, N° 218/219 , 2011) et écrit plusieurs articles sur ce sujet. Rappelons ce qu’est une marque aujourd’hui : une force de proposition créative, à fort capital symbolique, appuyée sur des valeurs et incarnée dans des produits et services, tangibles et intangibles. La marque apporte une valeur ajoutée aux produits , elle est donc un accélérateur de succès et rend insensible au prix. Rappelons aussi le contexte qui détermine les enjeux liés à la marque: Le contexte est celui de la crise . L’enjeu du redressement de la France sur le plan économique c’est avant tout  l’international  (car cela impacte notre balance commerciale). Cela concerne donc notre capacité à exporter des produits et services et notre culture , mais aussi à importer des étudiants, des investissements financiers,etc.. La question est donc quel contenu de marque pour la « marque France ». Il faudra à ce titre distinguer le « made in France » (quelles sont les vertus réelles ou imaginaires attachées à une production dans notre pays) et l’image France ou Paris . Ainsi le luxe français est fabriqué en France , mais les Renault sont fabriquées partout dans le monde , près des marchés de destination, pourtant elles expriment la conception Française de l’automobile .

Trop Libre : En quoi consiste la marque France ?

Jean-Noël Kapferer : Or dès que l’on quitte l’hexagone on se rend compte que France jouit d’un fort capital symbolique qu’il faut donc nourrir et revitaliser en permanence. Or l’Allemagne est la patrie de l’ordre, donc du travail bien fait donc des produits de qualité mais quelque peu imaginatifs. L’Italie quant à elle est la patrie de l’imagination mais -toutes les études d’image le démontrent- à l’international on ne lui attache pas la notion de qualité élevée (ce qui n’empêche pas Ferrari d’être le sommet de ce qui peut se faire en matière automobile). Le créneau de la marque France est clair : en anglais il se dirait « creative technologies for a life of quality » . Or en matière de management  de la marque, il est  inutile d’aller à contre courant. Je dirais donc aux chefs d’entreprise , au Medef, au Ministre de l’industrie comme à celui de l’agriculture : devenons ce que nous sommes. Devenons ce que les gens à l’international pensent déjà de nous . De toutes façons ils ne changeront pas d’avis avant des années car la marque jouit d’un potentiel d’inertie. En revanche si après quelques expériences ils se rendent compte que la réalité de nos offres de produits, de services (incluant le tourisme) sont loin de cette représentation , celle-ci sera sérieusement érodée .
Il est donc temps de se mettre tous sur les marchés haut de gamme (ce qui ne veut pas dire luxe) . De toutes façons nos coûts de production sont tels que nous ne pouvons pas lutter ailleurs.

Trop Libre : Existe-t-il réellement une identité « économique » des produits français ?

Jean-Noël Kapferer : Tout produit qui s’exporte porte en lui l’identité de son pays d’origine. mais tous les pays d’origine ne sont pas des marques : encore faut il qu’ils  jouissent d’un fort capital symbolique . Samsung réussit mais la Corée n’est pas une marque. La difficulté de la marque France réside dans la capacité d’insuffler cet esprit haut de gamme dans tous les secteurs : cela commence par la formation elle même. Nos BTS , nos baccalauréats techniques , insufflent ils le goût du beau, de qualitatif aux apprentis ? Dans les usines, insuffle ton l’esprit de la marque ?

Trop Libre : Que serait la marque « Europe » dans cette hypothèse ?​

Jean-Noël Kapferer : Europe est une zone géographique, le lieu qui a façonné l’histoire du monde pendant quatre siècles porté par les lumières mais qui ne le fait plus. Aujourd’hui c’est  un conglomérat économique, un marché ouvert à la concurrence sans une vision claire des finalités.  Europe n’est pas un système de valeurs très identifié qui s’incarnerait dans des produits et services. Ce n’est donc pas une marque.

 

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