La démocratie contre elle-même

François de Laboulaye | 21 février 2017

demokratie-1536654_960_720« La démocratie est le pire régime… après tous les autres » sauf « Si la démocratie fait faillite » répond Raffaele Simone au premier Ministre britannique Winston Churchill dans son livre (ed : Gallimard, 2017). L’universitaire italien, convaincu que la démocratie est devant une crise sans précédent, tente d’en comprendre les causes pour dessiner des scénarios futurs.

Libéralismes contre libéralisme : faillite ou suicide démocratique ?

La vraie démocratie n’existe pas rappelle l’auteur qui cite Rousseau. Toutefois, même imparfait ce régime repose, selon lui, sur trois piliers  qui lui donnent corps: les institutions, les mentalités et les mythologies.

R. Simone estime qu’aujourd’hui, sans ignorer les attaques antilibérales du camp « antidémocratique » et « hyper-démocratique »,  la démocratie est menacée par les offensives libérales qu’elles soient « néolibérales », « conservatrices »  ou « droitistes ». Ce paradoxe s’explique, selon l’auteur qui cite Tocqueville, par le fait que la démocratie, avant d’être un régime, est un « mode de vie » qui  diffuserait par capillarité, une mentalité individualiste, égalitariste et matérialiste d’inspiration plutôt libérale chez des gens même très éloignés de cette pensée. La démocratie serait donc, en partie, menacée par le libéralisme qu’elle aurait elle-même contribué à propager. La thèse de l’auteur est, sur ce point, surprenante puisque l’analyse de la crise historique de la démocratie reviendrait à comprendre les causes d’un suicide. Dans quelle mesure la démocratie est victime d’elle-même?  Telle est la question à laquelle l’auteur tente de répondre.

Fictions et mentalité causes intrinsèques de la faillite démocratique

En effet, selon R. Simone, les causes de la crise sont avant tout intrinsèques. D’abord, l’opinion générale perçoit la démocratie comme faisant le jeu d’un individualisme forcené. Ensuite, faisant l’hypothèse que la démocratie se distingue non pas  tant parce qu’elle respecte des règles que parce qu’elle s’appuie sur un ensemble de fictions constitutives qu’on doit tenir pour « vraies », les citoyens, oubliant leur caractère irréel au nom de leurs revendications, tourneraient « la démocratie contre elle-même ».De fait, en prenant l’idéal pour la réalité ils exigeraient de la démocratie qu’elle réponde à tous leurs désirs au risque d’être déçus et de se détourner d’elle faute d’y croire encore. Enfin les expériences de démocratie directe du début du XXIe siècle et les flux migratoires achèveraient de « détruire » la démocratie de l’intérieur.

imagesC’est clairement dans le chapitre où il énumère les « principes-fictions » et celui où il décortique le mécanisme mental de la « fée démocratie » que l’auteur se montre le plus généreux dans l’étayage de concepts utiles pour analyser les symptômes de cette  crise endogène. C’est, en effet,en analysant  comment les principes, pour ne citer que ceux-là, de « souveraineté », de « représentation », « d’inclusion illimitée » sont aujourd’hui profondément remis en question, divisés et pervertis, qu’il livre,en même temps, une observationchirurgicale et pertinente de cette fatale décomposition de la démocratie.

Une coalition de causes extérieures destructrice de la démocratie

Pourtant, l’auteur concède qu’il y a également des causes extrinsèques coalisées en « une tempête presque parfaite » contre la démocratie. Et, même s’il s’étend moins dans cette partie de l’ouvrage, il ambitionne pourtant de compléter le catalogue des groupes dominants de Wright Mills[1], par les agences, les magnats financiers et les oligarchies qui étendent leur réseau au dépend des démocraties à la faveur d’un capitalisme sauvage, d’un consumérisme infantilisant et d’un antipolitisme excédé.

Requiem pour une crise historique

La perspective qu’il dresse est, sans surprise, plutôt pessimiste. Selon l’auteur, la démocratie sera ou bien accaparée par des minorités, ce qui entraînera l’émergence d’une démocratie « à basse intensité » caractérisée par un fort taux d’abstention, ou bien « volatile », en but à l’ambition de groupes politiques avides, de partis personnels, de corrompus de tous genres profitant d’une baisse de vigilance citoyenne  pour nourrir une instabilité politique chronique. Nul ne sait où cela va conduire. Telle une rencontre avec la mort, c’est cette impossibilité de prévoir le monde « post-démocratique » qui donne à la crise sa portée historique.

 

[1]Charles Wright Mills(1916-1962) est un sociologue américain qui s’est intéressé aux groupes dominants dans les démocraties, à leurs mécanismes de prise de décision et à leurs liens d’interdépendance. Méfiant à l’égard de tout déterminisme essentialisant, il développe sa thèse dansL’élite au pouvoirparu en 1956 aux Etats-Unis etréimprimé en France, en2012, aux Éditions Agone, coll. « L’ordre des choses ».

 

 

 

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