La droite d’Ormesson, antidote à la droite Zemmour

Romain Millard | 07 décembre 2014

Sans titreLa droite d’Ormesson, antidote à la droite Zemmour

Par Romain Millard, 21 ans, étudiant en Master Droit Economique à Sciences Po Paris, conseiller municipal

Alors que la droite s’est retrouvée un chef, elle doit redéfinir son identité. Les références intellectuelles de qualité ne lui manquent pas. Pour incarner une espérance susceptible de remobiliser les énergies du pays, elle devrait davantage s’inspirer du regard souriant et apparemment candide de Jean d’Ormesson plutôt que d’adopter la vision affligée et soi-disant lucide d’Eric Zemmour.

« Les traditions (…) sont faites pour être à la fois respectées et bousculées. »[i] Ces phrases coulant d’élégance et de malice, seul Jean d’Ormesson sait les concocter avec autant de superbe. Toute personnalité de droite songeant un jour aux plus hautes fonctions devrait se tatouer ces mots sur le bras. La synthèse entre la tradition rassurante et la modernité stimulante, voilà ce que devra réaliser la droite d’ici les deux prochaines années si elle veut réconcilier enfin la France avec elle-même et la sortir plus forte de la crise.

Eric Zemmour ou la tentation de la « mal-pensance »

On pourra objecter que les réflexions de ce fringant aristocrate presque nonagénaire sur Dieu et l’univers, aussi sympathiques soient-elles, sont bien éloignées des problématiques quotidiennes des jeunes au chômage, des travailleurs pauvres ou des retraités précaires dont Eric Zemmour se prétend désormais le porte-parole subversif.

Il faut dire que l’auteur du Suicide Français a tout pour plaire à une partie de la droite française : il utilise sa grande agilité intellectuelle pour casser au marteau toutes les idoles de la bien-pensance « de gauche » : le féminisme, l’antiracisme, le mondialisme etc… Bref, tout ce qui aurait contribué à saper les forces de la France d’antan, celle qui en imposait au monde entier, celle des livres d’Histoire, celle des grands héros. Eric Zemmour offre une légitimation intellectuelle bienvenue à tous ceux qui ne se sont jamais résolus à être ébranlés dans leurs habitudes et leurs certitudes. Il redonne du lustre à la tradition, au « bon sens » (certains diront au « sens commun »).

Le problème est que Zemmour nous entraine dans une logique intellectuelle problématique : brûler les totems de la bien-pensance ne conduira-t-il pas à un autodafé à la gloire de la mal-pensance ? Souligner les hypocrisies de l’antiracisme ne libèrera-t-il pas les pulsions xénophobes ? Peut-on ridiculiser le féminisme sans défaire de ses chaînes le machisme ? Eric Zemmour, en prétendant abattre les certitudes de la culture dominante, remet au goût du jour d’anciennes certitudes loin d’être moins sottes.

Ultime paradoxe, il brûle des idoles qui ont été forgées par cette même France qu’il aime avec tant de passion : l’esprit des Lumières, qui a lié le projet d’autonomie politique à l’économie de marché ; la « passion de l’égalité » décrite par Tocqueville qui pousse à trouver les inégalités de moins en moins supportables à mesure qu’elles diminuent ; l’ambition de se servir de l’Europe comme d’un horizon politique qui a animé des esprits aussi féconds et différents que Napoléon, Hugo ou De Gaulle… Qu’est-ce qui est moins français que tout cela ?

A un intellectuel pétri de certitudes, la droite doit préférer ceux qui s’interrogent

Eric Zemmour a péché par le même vice que ces intellectuels déconstructivistes qu’il combattait : il a remplacé les certitudes, les habitudes de pensée qui le précédaient par les siennes. Tout en appelant ses lecteurs à se libérer des carcans, il les invite à s’enfermer dans ceux qu’il a construits.

Si elle souhaite s’interroger sur les faiblesses de la société française, que la droite française préfère Alain Finkielkraut à Eric Zemmour. En effet, l’auteur de L’identité malheureuse a quelque chose que le pamphlétaire n’a pas : la main qui tremble.

Finkielkraut est un homme qui doute, qui prend des précautions, aussi bien langagières qu’intellectuelles. Ses constats sur le déclin de l’école ou la panne de la machine à intégrer n’en sont que plus percutants. Il veut alerter sans blesser alors que Zemmour veut dénoncer et provoquer. Finkielkraut a compris, contrairement à Zemmour, que pour attirer l’attention de l’opinion sur la situation de l’école, il n’est nul besoin de réhabiliter Vichy.

Quoiqu’il en soit, un constat, plus ou moins horrifié, sur la situation du pays ne fera pas une philosophie politique suffisante pour une future majorité politique de droite. Si le prochain Président de la République est élu, comme le fut François Hollande, sur un simple rejet, même de Marine Le Pen, alors il est condamné à échouer comme lui. Le futur Chef de l’Etat devra être porté par une adhésion. Or, de même que l’on n’attire pas des mouches avec du vinaigre, on ne mobilise pas les acteurs économiques et les citoyens avec le slogan décliniste « c’était mieux avant, retournons-y ».

Jean d’Ormesson, un homme de droite un peu particulier 

C’est là que Jean d’Ormesson est un exemple à suivre. Cet homme de lettres a réussi le tour de force d’être aussi aimé des jeunes générations que des plus anciennes et à être respecté par la gauche (cf les hommages de François Hollande et Jean-Luc Mélenchon) sans jamais renier ses amitiés de droite. A qui viendrait l’idée de dire que l’auteur de Comme un Chant d’espérance est un « bobo », un faux-homme de droite parce qu’il a reçu la Grand Croix de la Légion d’Honneur des mains d’un Président socialiste ? Parce qu’il affirme « je suis un homme de droite (…) qui a des idées de gauche : des idées d’égalité et de progrès, ce progrès qui est abandonné par la gauche à cause des écologistes »[ii] ?

Jean d’Ormesson est aimé pour une simple raison : il est authentique. Là où certains cachent leur âge sous le botox, il exhibe avec élégance ses vénérables rides. Là où certains cèdent à l’air du temps, il continue à écrire sur ce qui le passionne lui. Alors que tout le monde est infecté par l’épidémie de sinistrose, il ne se départit pas de son sourire. Bien qu’il soit passé à deux doigts de la mort, ses yeux bleus continuent de chanter la vie. Tout en disant mépriser les honneurs, il jubile sans le nier de recevoir des décorations de ses adversaires politiques.

La droite se perdra si elle suit Eric Zemmour dans son entreprise de déconstruction post-moderne. Elle revivra si elle garde en mémoire ces lignes de celui qui rappelle que la France est bien plus qu’un passé glorieux : « La plus haute tâche de la tradition est de rendre au progrès la politesse qu’elle lui doit et de permettre au progrès de surgir de la tradition comme la tradition a surgi du progrès. »[iii]

Crédit photo : vincentj

[i] Arnaud Ramsay, Jean D’Ormesson ou l’élégance du bonheur, Editions Toucan, 2009

[ii] Jean d’Ormesson, interviewé par Nicolas Ungemuth, « Jean d’Ormesson : « j’ai beaucoup d’admiration pour les athées » », Le Figaro Magazine, semaine du 6 juin 2014, pages 137-139

[iii]Extrait de la Réponse au discours de réception à l’Académie française de Madame Yourcenar

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