La droite française : une histoire au long cours
21 août 2013
La droite française : une histoire au long cours
Olivier Tort, La droite française. Aux origines de ses divisions 1814-1830, CTHS, juin 2013, 28€
Dans ce livre, Olivier Tort revient sur la naissance de la droite en France, concomitante de la Restauration. L’analyse de l’auteur, au-delà de son caractère historique passionnant, donne aussi à réfléchir sur les permanences dans le positionnement de la droite dans le champ politique. A ce propos, le sous-titre indique que, dès son origine, les divisions se révèlent constitutives de la structure de cette famille politique. Le constat est d’ailleurs judicieusement mis en parallèle avec la situation actuelle rencontrée par la droite française.
Revenir sur la tripartition de René Rémond
La réflexion d’Olivier Tort est une remise en cause partielle de la célèbre tripartition de René Rémond entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes[1]. Cette remise en cause s’explique tout d’abord chronologiquement. En effet, les familles orléaniste et bonapartiste n’ont pas encore d’existence concrète lors de la période 1814-1830. Elles ne sont alors qu’en puissance et n’ont pas encore trouvé le moyen de s’exprimer.
Un autre argument, cette fois-ci sur le plan théorique, vise à nuancer l’explication de René Rémond. Comme l’écrit l’auteur à la page 15 : « ce schéma [celui de René Rémond], pleinement adapté à la réalité politique des années 1830 aux années 1880, et prolongé ensuite, non sans artifices, à des périodes ultérieures, […]. La configuration qu’on a vu resurgir et progressivement s’imposer depuis trente ans est, en vérité, plus simple. Un cœur majoritaire, qui se veut pragmatique, prend régulièrement la défense de valeurs de droite, mais sans vouloir trop se compromettre, surtout en actes : c’est la « droite modérée », souple dans ses convictions rêvant – toujours en vain – de phagocyter l’ensemble de la droite, sans parvenir à jamais absorber les deux fractions qui l’entourent ». Ces deux fractions sont l’aile gauche (ce qu’on appellerait aujourd’hui le centre-droit, MODEM y compris) et l’aile-droite (que l’on pourrait aujourd’hui assimiler à la « Droite forte », c’est-à-dire le courant UMP créé en Juillet 2012 par Guillaume Peltier et Geoffroy Didier et représentant l’aile droite du parti)
Ce schéma, privilégiant le positionnement pratique des acteurs à leur culture politique, est la clé de lecture retenu par Olivier Tort. Il permet d’expliquer les divisions de manières plus fines ainsi que de rendre compte des alliances sur un plan plus politique. Il s’agit en effet moins d’alliances liées aux idéaux que de regroupements conjoncturels motivés par un intérêt commun.
Une droite, des droites, des hommes de droite : la division en héritage
Pour mener à bien sa démonstration l’auteur procède en quatre temps :
1) Il définit ce qu’il entend par la droite à l’époque de la Restauration. En effet le vocabulaire employé pour désigner ce courant politique n’est pas le même (« ultras », « royalistes », « pointus », etc.). Ensuite il s’attelle à rendre compte du nombre de députés, de leur provenance et à fournir une géographie électorale du vote de droite.
2) Après avoir effectué cette pesée de la droite, il effectue une véritable enquête sur l’homme de droite de cette époque. Plus qu’une investigation d’ordre sociologique, c’est une véritable anthropologie de l’homme de droite que nous présente Olivier Tort. Sa description de l’homme de droite en Alceste, c’est-à-dire en homme fondamentalement pessimiste et misanthrope, fera notamment école.
3) La nature de l’homme de droite rend compte des divisions au sein de ce courant politiques. Ces dernières interviennent à tous les niveaux et concernent tous les membres de la famille politique. Surtout, ces fragmentations se donnent à voir. Elles s’affichent sur la place publique et aboutissent à décrédibiliser les actions des gouvernements de droite auprès des autres familles politiques mais aussi auprès de l’opinion comme l’illustre l’analyse poussée des journaux de droite.
4) Ces divisions sont d’autant plus fortes qu’il n’existe pas de programme fédérateur de la droite française. Tordant le cou à certains clichés historiographiques, l’auteur dément l’existence d’une droite unanimement cléricale. Sur le plan des rapports à l’économie (protectionnisme contre libéralisme), nous retrouvons aussi une importante série de divisions en fonction des intérêts des représentants. Ainsi, les défenseurs de la Restauration ne sont pas, par exemple, nécessairement favorables au protectionnisme.
Une réflexion sur le temps présent
Conscient du parallèle avec la situation actuelle rencontrée par l’UMP et d’une manière plus générale par la droite française, l’auteur conclut son livre en affirmant que l’ « union de la droite reste un slogan chimérique, d’autant que, comme il y a deux siècles, la définition des valeurs qui composent ce camp reste toujours aussi problématique : faut-il, oui ou non, s’opposer aux différentes facettes de la modernité [entendue ici comme l’ensemble des conséquences découlant de la Révolution ]… »
Selon Olivier Tort, l’ambition des hommes politiques explique en partie la récurrence des divisions au sein de la droite française. Sous la Restauration comme aujourd’hui, ces divergences aboutissent à des conflits s’étalant sur la place publique. Les factions s’entredéchirent, à la chambre, dans la presse, privilégiant le combat fratricide à la lutte contre un adversaire commune.
Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés :
– Un manque de dialogue structurel lié à une méconnaissance des processus participatifs
– Le mythe du chef qui pousse chacun à s’ériger en meneur de petite coterie
– La difficulté du positionnement idéologique, jamais totalement assumé
La clé libérale
Mais toutes ces raisons ne permettent pas de rendre suffisamment compte de ces divisions structurelles, liées en grande partie au refus d’accepter une part des idéaux portés par le libéralisme. Celui-ci apparait souvent comme un faire-valoir de l’économisme ou bien comme une variante du ‘permissivisme’. Dans les deux cas, il ne représenterait pas un projet politique à même de faire consensus à droite. Pourtant il offre, contrairement aux idées reçues, une vision forte du politique qui devrait et pourrait permettre de constituer un pôle de référence pour la droite. En tout cas, il permet d’esquisser une réponse aux problèmes qui se posent à la droite alors comme aujourd’hui et qu’Olivier Tort a exposé avec brio dans ce livre.
Jean Sénié
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