La droite, par et pour ceux qui n’aiment pas ça
22 octobre 2013
La droite, par et pour ceux qui n’aiment pas ça ?
Gaëtan Gorce, Histoire de la droite pour ceux qui n’aiment pas ça, Fayard, 2013, 265 pages, 19 €
L’histoire de la droite française depuis la Révolution de 1789 est une question complexe, maintes fois abordée. Depuis l’incontournable classique de René Rémond Les Droites en France, écrit en 1954, jusqu’à la somme supervisée par Jean-François Sirinelli L’Histoire des droites en France publiée en 1992, le sujet pouvait paraître suffisamment balisé. Et pourtant, c’est avec originalité et non sans talent que Gaëtan Gorce, sénateur socialiste depuis 2011 après quatorze ans à l’Assemblée Nationale, relève cette gageure.
Les bienfaits du subjectivisme et de la partialité
Dans ce petit précis historique, l’auteur fait preuve d’érudition, d’ironie parfois mordante et d’un sens de la synthèse appréciable. Toutefois, l’originalité de l’ouvrage réside surtout dans la subjectivité et la partialité (au sens positif du terme) de l’homme politique. C’est en effet l’analyse d’un socialiste engagé qui s’adresse à des lecteurs, a priori de gauche. Il ne faut donc point s’offusquer de quelques raccourcis idéologiques ou des piques politiciennes qui ponctuent ce livre : plus qu’un long manuel se voulant objectif, c’est un ressenti, une expérience et une pratique politique qui forgent la tonalité du livre.
Vue de gauche
Néanmoins, il convient de souligner que certains passages auraient gagné à être (beaucoup) plus nuancés et plus détaillés. Parallèlement, et malheureusement, les derniers chapitres analysant les droites actuelles, leurs leaders et leur (absence de ?) doctrine, paraissent trop détaillés et biaisés au regard de l’intérêt général du livre. Cette volonté de critiquer le précédent gouvernement et l’actuelle opposition amène, parfois, Gaëtan Gorce à travestir les faits et à en tordre l’interprétation.
En réalité, concernant la vie politique contemporaine, Gaëtan Gorce est bien plus convaincant lorsqu’il critique la neurasthénie du parti socialiste, ou la dévitalisation des partis dits « de gouvernement ». Expliquant par ailleurs sa marginalisation au sein de son propre parti, le sénateur ne mâche pas ses mots sur l’évolution des structures politiques, leur embourgeoisement, leur absence de vision, leur manque de courage… Cet appel à un ressaisissement politique national, à de profondes réformes socio-économiques et institutionnelles dépasse les clivages politiques.
Des droites sans nuances
Gaëtan Gorce reprend au fil de l’ouvrage la summa divisio des droites françaises définie par René Rémond : droites légitimiste, bonapartiste et orléaniste. Chacune hantée par son « démon » (sic), soit respectivement l’aristocratisme, l’amour de l’autorité et le culte de la propriété ; sans oublier les dérives nationalistes caractérisées par une représentation organiste et fermée de la nation, vers lesquelles la droite semble dériver de façon atavique. Seule le gaullisme paraît trouver grâce aux yeux du sénateur. En effet, le général serait parvenu à chasser les démons traditionnels de la droite dans une sorte de syncrétisme patriote et républicain.
On regrettera que l’auteur ne s’interroge pas plus sur la nature du gaullisme : ne pourrait-on pas le caractériser comme une quatrième droite et non comme une synthèse des trois autres[i] ? Plus provocateur, ne pourrait-on pas penser que le gaullisme a empêché la création d’un véritable courant chrétien-démocrate comme ailleurs en Europe, ou l’émergence d’un grand parti conservateur libéral[ii] ?
Finalement, la description de ces droites laisse peu de place à la nuance. Rien sur les alliances ou les stratégies politiques, peu sur les synthèses idéologiques, beaucoup sur les dérives et les échecs… Enfin, il n’y a aucune comparaison avec les autres droites européennes (notamment la philosophie conservatrice anglaise[iii] ou l’ordo-libéralisme allemand). In fine, il ressortirait presque de l’ouvrage que l’homme de droite (s’il existe) n’est qu’un pessimiste, décliniste, angoissé, individualiste…
Pour ceux qui n’aiment pas les clichés
Malgré une belle plume acérée par la pratique militante, le sénateur tend parfois à travestir les faits. Ainsi de l’importance démesurée accordée à Charles Maurras, figure politique maléfique, sans aucune explication de sa pensée politique (hormis son antisémitisme) ou de son audience. La collaboration résiderait dans la participation active des droites, qui auraient, seules, voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain[iv]. On passera également sous silence l’approximation historique et juridique qu’est la comparaison entre le « bouclier fiscal » de 2007 et la loi dite du « milliard des émigrés » de 1825.
On s’étonnera de la critique constante de la propriété privée, pourtant un des piliers de la philosophie libérale européenne, et fondement essentiel de notre système juridique[v]. On admirera, en revanche, la capacité du socialiste à moquer l’anticommunisme (parfois primaire certes) des droites et à critiquer leur manque d’ouverture, tout en excipant la pensée de Sartre[vi] et en minimisant les dérives révolutionnaires et totalitaires des gauches.
Enfin, on ne peut que rejoindre l’auteur sur l’indigence économique des hommes politiques de droite actuels. Mais faire croire que la gauche a, historiquement, su bien gérer l’économie est stupéfiant : l’arrivée du cartel des gauches en 1924, du Front populaire en 1936, et du parti socialiste en 1981, se sont toutes terminées par des dévaluations, des rigidités sur l’offre productive et, in fine, un affaissement de la croissance potentielle française.
La droite est-elle réellement définissable ?
Si l’ouvrage a de nombreuses qualités et mérite d’être lu, il n’aborde pas non plus suffisamment d’autres angles d’analyse politique : libre-échange/protectionnisme, individualisme/ collectivisme… Finalement, l’auteur ne parvient que difficilement à éviter la regrettable propension des hommes de gauche à décrire ce à quoi les idées à de droite devraient ressembler, et à définir le cadre du bien et du mal à leur avantage.
Malheureusement, ce procédé masque d’intéressantes pistes de réformes économiques, politiques et institutionnelles distillées dans le livre qui mériteraient d’être développées et débattues dans un cadre plus propice.
Louis Nayberg
Crédit photo: Flicker: y.caradec
[i] René Rémond, Les Droites aujourd’hui, 2005
[ii] François Huguenin, Le conservatisme impossible : Libéraux et réactionnaires en France depuis 1789, 2006
[iii] Voir : http://www.trop-libre.fr/le-marche-aux-livres/le-conservatisme-britannique-ou-la-philosophie-de-la-prudence-2
[iv] Simon Epstein, Un Paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, 2008
[v] Article 17 de la DDHC, article 1 du 1er protocole additionnel de la CEDH, article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
[vi] Auteur, ne l’oublions pas, de cette sentence poétique, preuve d’une immense ouverture : « tout anti-communiste est un chien »
Aucun commentaire.