La Face cachée du numérique : l’impact environnemental des nouvelles technologies

Farid Gueham | 27 avril 2017

ecologie_numerique« Si le monde numérique semble virtuel, les nuisances, elles, sont pourtant bien réelles : que ce soit sur le plan énergétique (la consommation des centres de données dépasse celle du trafic aérien, une recherche sur Google produit autant de CO2 que le fait de porter à ébullition de l’eau avec une bouilloire électrique, etc. ), par l’utilisation d’une quantité considérable de matières premières pour la fabrication des appareils électroniques, notamment des minerais précieux dont l’extraction provoque des conflits armés, ou encore par l’accroissement permanent de la masse de déchets d’équipements électroniques particulièrement polluants ».

Avec l’arrivée des réseaux numériques et des autoroutes de l’information, dont les préfigurations remontent aux années 50 et 60, l’ensemble de nos sociétés modernes ne percevaient pas encore l’ampleur du basculement en cours. C’est la mesure de cette accélération que Fabrice Flipo, Michelle Dobré et Marion Michot tentent de saisir dans leur ouvrage collectif « La Face cachée du numérique : l’impact environnemental des nouvelles technologies ». « En 2008, l’entreprise américaine de conseil et d’analyse Gartner Inc, spécialisée dans les nouvelles technologies, révèle que le secteur des TIC est à l’origine d’une quantité de gaz à effet de serre comparable à celle produite par l’aviation : 2% des émissions globales ». Dès lors, que faire ? Sacrifier le dogme de la croissance pour sauver la planète ? C’est la conclusion de cette étude. Mais l’alternative technophile s’avère bien plus séduisante, « elle consiste à dire que la technologie fera tout et que les citoyens n’auront à s’occuper de rien ». Et qui oserait s’opposer aux promesses infinies des TIC sans courir le risque d’être montré du doigt ? Quant aux industriels, ils rejettent la faute sur les consommateurs « curieux retournement de situation, dans une société qui fait pourtant de la souveraineté du consommateur l’un des piliers de sa définition de la démocratie ». Les impacts environnementaux du numérique sont réels et les TIC induisent un certain nombre d’effets pervers. A ceux qui répondront que les politiques environnementales sont conçues grâce aux ordinateurs, le rapport de force paraîtra forcément déséquilibré.

 

Ecologie du numérique : matières toxiques, terres rares et déchets électroniques, les limites de l’innovation.

« En plus de la pollution occasionnée par les émissions de gaz à effet de serre, le secteur des nouvelles technologies produit aussi d’énormes quantités de déchets physiques. La production globale de déchets électriques et électroniques (DEEE) était estimée, en 2009, à environ 40 milliards de tonnes par an. Elle est essentiellement le fait de l’Europe, des Etats-Unis et de l’Australie ». Et la responsabilité de cette pollution n’incombe pas au seul consommateur : le produit final dont ce dernier dispose, ne représente que 2% de la masse totale des déchets qui seront générés tout au long du cycle de vie. Par ailleurs, les déchets engendrés par les TIC sont particulièrement toxiques et difficilement recyclables du fait de leur composition. Parmi les matériaux les plus utilisés : mercure, plomb, cadmium, chrome, diphényles polybromés et éthers dont la combustion peut former des dioxines. Et ces ressources ne sont pas illimitées : le programme des Nations unies pour l’environnement a publié un rapport alarmiste en 2011 afin d’attirer l’attention sur l’inefficacité des systèmes de recyclage des métaux. Conclusion du rapport « le passage à une économie verte ou circulaire suppose une progression spectaculaire des faibles taux actuels de recyclage des métaux ». 

 

Les illusions de la dématérialisation : des progrès pas si naturels que ça.

Il est pour l’heure impossible de parler de résorption de cette pollution. La croissance du secteur des TIC sera moins importante que prévue, et les émissions de CO2 des centres de données devraient simplement être multipliées par trois, au lieu de six. Dans son rapport « Votre cloud est-il net ? », Greenpeace livrait des chiffres impressionnants « si le cloud était un pays, il se classerait au cinquième rang mondial en terme de demande en électricité, et ses besoins devraient être multipliés par trois d’ici à 2020 ». Dans de telles proportions, la gestion de la production et du transfert de données semble plus que jamais une priorité. 

 

la-face-cachee-du-numeriqueEt si les technologies vertes permettaient de sauver la planète ?

En 2003, le PNUE, Union internationale des télécommunications, le WWF et plusieurs multinationales telles que AT&T, Bell ou British Telecom signaient la « Global e-Sustainability Initiative ( GeSI ) aussi appelée «  Initiative globale pour la e-durabilité ».  Pour les rapporteurs, l’urgence d’une transition d’un âge « industriel à un âge de la connaissance s’impose ». Mais il n’en reste pas moins probable que les sessions de travail organisées par les signataires suffisent à changer la donne. Une nouvelle gouvernance s’impose : celle de la « croissance verte ». Certains décideurs politiques, dont François Fillon, considèrent ce levier comme un moyen de sortie de crise. En 2009, l’ex-premier ministre déclarait dans son blog que « la croissance verte offre la possibilité de faire du développement durable une chance et non une contrainte ». Quant aux différentes solutions sectorielles envisagées pour réduire l’impact de cette tech-pollution (audio et vidéo-conférences pour réduire les déplacements, e-commerce, e-learning, e-book et e-administration), la solution miracle n’est toujours pas trouvée. Le rapport « SMART 2020 », se veut plus optimiste sur les capacités des TIC à répondre au défi écologique. Mais les émissions ne cessent de croitre et le marché du carbone en Europe et plus proche de l’échec que de la réussite. Pour les auteurs, les rapports et leurs recommandations ne sont rien d’autre que des vœux pieux « que peut-on tirer d’un rapport qui conclut finalement que ce qui devrait être fait devrait être fait, sans jamais tenir compte de ce qui peut effectivement être fait ? ».

 

Du côté des autorités publiques : priorité à la croissance. 

Les autorités publiques ont-elles seulement le pouvoir de réguler le consumérisme forcené de la data. Car les TIC sont présentes partout, dans le domaine de la recherche, de l’éducation nationale. Les TIC sont également déterminantes dans la modernisation du service public. Mais ici encore, peu probable que les timides campagnes publiques de l’ADEME puissent changer ce contexte. Entre alternatives utopistes et résignation, la pollution numérique est non seulement un enjeu international, mais aussi une responsabilité partagée, que les pays se renvoient « ce qui est consommation verte pour les pays du Nord est restriction d’accès au marché ou protectionnisme pour les pays du Sud, qui considèrent quant à eux qu’ils ne polluent pas encore assez ». 

 

 

Pour aller plus loin :

 

« Quel est l’impact environnemental d’Internet ? », Infographie, e-rse.net

– « Impact environnemental du numérique : il est temps de renouveler Internet », mce-info.org

– « L’impact environnemental de nos usages digitaux », le Huffington Post.

– « Internet est-il bon pour l’environnement et la planète ? », l’Expansion.

 

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