La faillite des banques chypriotes : le « too big to fail » à la sauce Européenne
02 avril 2013
La faillite des banques chypriotes : le « too big to fail » à la sauce Européenne
Depuis deux semaines le cas chypriote illustre les limites et les incohérences des principes (ou l’absence de principes) qui président à la résolution des crises. Il fait apparaitre que les banques d’un petit pays comme Chypre ne bénéficient pas du principe du « too big to fail ». En outre, il semble que la question de la responsabilité soit enfin posée. Peut-être est-ce là une opportunité pour reconsidérer la responsabilité limitée des actionnaires des banques ?
Il ne fait pas bon être un petit pays de la zone Euro…
La crise politico-bancaire chypriote est riche d’enseignements et de réflexions si on parvient à passer outre les discordes politiques et économiques à propos de son mode de résolution. Voilà un petit pays membre de l’Euro affectée par une crise bancaire sévère qui vient de s’entendre dire que, finalement, compte tenu de son statut spécial de « paradis fiscal pour les Russes » et de sa petitesse, les Européens ne « mouilleraient leurs chemises » pour « sauver leurs banques » que si leurs déposants épongeaient une bonne part des pertes ; parce qu’après tout si les actionnaires ne peuvent être mis davantage à contribution en vertu de leur responsabilité limitée, les créanciers sont les suivants sur la liste. Si le discours se tient et que l’idée peut se défendre, c’est tout de même une première !
Les précédents irlandais et espagnols…
L’a-t-on jamais entendu dans le cas de l’Irlande et de l’Espagne ? L’urgence était plutôt de stabiliser le système bancaire et d’éviter l’effet de contagion. La Banque Centrale Européenne y a même contribué en prêtant à des conditions très favorables aux banques à la solvabilité très douteuse (notamment à travers les opérations de refinancement à long terme). Changement de doctrine : la banque centrale dans son rôle de prêteur en dernier ressort, devrait prêter UNIQUEMENT aux banques solvables. Si l’on reprend la chronologie des événements, dans le cas de l’Irlande, les contribuables irlandais ont été mis à contribution puisque l’Etat a renfloué les banques mettant en péril les finances publiques. Les banques irlandaises ont eu accès au refinancement de la Banque Centrale Européenne afin d’empêcher que des problèmes d’illiquidité viennent affaiblir des banques déjà en difficultés. En outre, l’opération de refinancement exceptionnelle à long terme de 3 ans lancée par la BCE en décembre 2011 et Février 2012, a permis aux banques irlandaises d’avoir accès à des financements devenus impossibles à obtenir sur le marché obligataire. Fort de l’expérience, lors de la crise espagnole, il est apparu urgent de découpler la crise bancaire de la dette publique étant donné la situation difficile des finances publiques espagnoles. Les membres de la zone Euro ont alors appelé de leurs vœux la constitution de l’union bancaire pour que la résolution des problèmes bancaires soit gérée par les autorités bancaires européennes compétentes et que le coût ne repose plus sur les Etats et sur les contribuables.
Alors pourquoi pas Chypre ?
Chypre est, semble-t-il, frappé par deux malédictions : celle d’être un petit pays et d’être un paradis fiscal… pourtant jusque-là largement toléré. Dans le cas de la crise bancaire chypriote, il est soudain apparu intolérable que les pertes bancaires soient épongées par des tiers comme les contribuables chypriotes, voire Européens. Les autorités Européennes et le Fonds Monétaire International ont donc trouvé urgent dans le plan de sauvetage de faire payer les créanciers des banques. Etant donné la responsabilité limitée les banques, il est certain qu’une fois l’état de faillite déclaré, il ne reste plus que les créanciers de la banque pour éponger les pertes. Cependant c’est la première fois que ces derniers sont invoqués comme potentiels payeurs, sous prétexte qu’une part importante des créanciers des banques sont russes. Si les déposants russes sont sans aucun doute des déposants avertis, ils ne sont pas pour autant responsables des décisions d’investissement hasardeuses prises par les dirigeants des banques permettant une rémunération importante de leurs dépôts. Cependant en proposant la taxation des déposants afin de punir Chypre d’être le paradis fiscal des Russes les autorités européennes et internationales ont manqué cruellement de discernement et, sans surprise, ont provoqué une levée de boucliers.
La fin de la mutualisation des dettes et de la privatisation des gains ?
Même si le plan initial de taxer les déposants n’a pas abouti, est-ce à dire que c’est la fin du principe de la mutualisation des dettes et de la privatisation des gains ? Ce n’est pas certain. Dans le cas de Chypre, on a plutôt l’impression d’une action punitive envers un petit pays. Le principe du « too big to fail » s’appliquerait-il non seulement aux banques mais également aux pays dans lesquelles les banques se situent? Et la banque centrale Européenne a-t-elle toujours prêté assistance à des banques solvables ? Rien n’est moins sûr lorsqu’on se souvient des banques comme Dexia, Bancia…
Et la morale dans tout cela ?
Evidemment le cas chypriote pose une question morale : un pays, paradis fiscal au sein d’une zone qui les a condamnés officiellement dans le cadre du G20 dont les faillites des banques mettent en péril la stabilité. Qui doit payer dans ces conditions ? Les contribuables comme dans toutes les crises précédentes ? Non, parce que les banques chypriotes vivent davantage grâce aux dépôts russes. Il semble incongru que les contribuables paient pour des non-résidents. Il semblait donc juste de faire appel aux créanciers. Dans la liste des créanciers, il faut aller par degré décroissant de priorité. Le problème dans le cas des banques chypriotes est que les principaux créanciers sont des déposants, la dette obligataire représentant une infime part. C’est pour cette raison que les autorités internationales ont favorisé dans leur premier plan la solution qui consistait à taxer des dépôts. Mais au risque d’une fuite des capitaux qui s’en suivrait lorsque les banques ré-ouvriraient…
La responsabilité limitée des actionnaires des banques : un concept inadapté ?
Cependant le cas chypriote ne montre-il pas la limite de la responsabilité limitée des actionnaires ? N’est-ce pas eux qui devraient être mis à contribution ? Ils sont responsables des décisions prises par les dirigeants des banques et qu’ils exercent effectivement ou pas leur responsabilité. Heureusement le denier plan approuvé va dans ce sens. Il n’en demeure pas moins que le principe de la responsabilité limitée des actionnaires pose de sérieuses questions de gouvernance et des problèmes lors de la résolution des crises. Ne serait-il pas le moment de s’interroger sur l’opportunité d’envisager la responsabilité élargie des actionnaires des banques en particulier des « too big to fail »?
Nathalie Janson
Crédit photo : Flickr, ImAges ImprObables
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