La force dans la faiblesse: l'Église selon le Pape François
14 mai 2013
La force dans la faiblesse: l’Église selon le Pape François
Jorge Mario Bergoglio – pape François, Amour, Service et Humilité, Magnificat, 2013, 144 p., 14€50
En 2006, face aux évêques espagnols, le cardinal Jorge Mario Bergolio, devenu le Pape François, prêchait une retraite à la manière des Exercices Spirituels de Saint Ignace[1]. Le souverain pontife a donné son aval pour que cette intervention soit publiée. S’il s’adresse aux évêques, ce texte donne, en ce début de pontificat, une première idée de la vision qu’a ce nouveau Pape de l’Église et de son rôle dans le monde.
Une Église proche des fidèles…
Comme le laissait entrevoir les premiers actes de son pontificat, le pape François souhaite qu’un lien de proximité soit établi avec les fidèles mais aussi les autres hommes. Le souverain pontife a choisi de faire « descendre » l’Église parmi les fidèles en simplifiant notamment le protocole ou en demandant à la foule, le jour de son élection, de prier pour lui.
Dans ce texte, l’évêque de Rome se montre partisan d’une Église « de terrain ». Il appelle les hommes d’Église à vivre concrètement leur foi sans craindre de se laisser déposséder de leur temps ou de leur vie privée, à l’image d’un Christ « que la foule écrasait ». Selon lui, les prêtres et évêques ne doivent pas trouver refuge « dans l’imaginaire » mais répondre aux sollicitations concrètes des fidèles. Si le travail pastoral suppose réflexion et travail intellectuel, « la majeure partie du temps doit être consacrée aux œuvres de charité ».
…mais sûre de son rôle éminent
L’ancien jésuite n’en reste pas moins attaché au principe hiérarchique et au rôle éminent du prêtre. Le pape condamne ainsi « la dichotomie absurde [de ceux qui] prétendent aimer le Christ sans aimer l’Église ». L’exigence de présence au monde ne signifie pas que l’Église doive se « fondre » dans le monde.
En s’appuyant sur un bon discernement, le prêtre doit aussi être un homme de décision. Il ne doit pas craindre de propager la foi dans un monde qui la rejette, afin de ne pas devenir le rouage d’une Église devenue une «ONG pieuse » comme le Pape l’a rappelé lors de sa messe d’intronisation.
Le pape invite les prêtres et évêques, à l’instar du Christ des Béatitudes (Mt 5,9) à accepter l’humiliation, le mépris et l’opprobre qu’implique le fait de suivre la Croix. Ce « chemin de pauvreté » les aidera à renoncer à « tout bien acquis ». En d’autres termes, le prêtre à ses yeux n’est pas un homme de pouvoir mais il ne doit pas renoncer à se montrer exigeant vis-à-vis de lui-même et des fidèles. Deux attitudes sont à éviter : « le peuple ne sait rien, je sais tout », « le peuple sait tout, je ne sais rien ».
Le pape rappelle ainsi combien les comportements autocratiques mais aussi démagogiques de certains prêtres peuvent entraîner le départ de fidèles excédés ou déboussolés.
Un pape loin de tout « progressisme »
Il semble donc que l’humilité affichée et requise par le nouveau pape n’ait rien à voir avec le « progressisme » que certains souhaitent voir adopter par l’Église.
En fait, s’il souhaite que l’Église rejoigne le monde, sa vision « dramatique » de l’existence le fait ressembler à ses prédécesseurs plus conservateurs. Pour lui, l’Église comme le chrétien sont au cœur d’un combat entre le Démon et les Anges. L’Église catholique ne doit donc pas tant s’adapter que combattre sans trêve « l’ennemi de l’homme » qu’est le diable, jusqu’à l’instauration en son cœur et dans le cœur de tous les hommes du Royaume de Dieu.
Les hommes d’Église doivent prêcher la paix…
« État habituel » de l’homme d’Église, la paix vient de son attachement premier « aux biens d’en haut ». A ses yeux, les « antéchrists » sont ceux qui « parmi [les pasteurs et a fortiori les chrétiens] se sont lassés de l’humilité du Christ ». Il est possible qu’en écrivant ces lignes sur les antéchrists ce Pape argentin ait en mémoire les théologiens de la libération et les prêtres guérilleros qui, au nom d’un retour à l’Évangile n’ont pas hésité à prendre les armes.
…sans rien perdre de leur combativité
Pour autant, la recherche de la paix des Béatitudes ne doit pas conduire à l’évitement des conflits. Les hommes d’Église mais aussi les fidèles doivent au contraire faire preuve d’une certaine combativité.
Pour s’affermir, l’homme d’Église doit revenir à la source de l’Église-institution que sont les sacrements (baptême, confirmation, sacrement de réconciliation…) sans pour autant verser dans les excès d’un « sacramentalisme » exclusif de l’évangélisation. Le recours fréquents aux sacrements permet de combattre les attitudes velléitaires, la pusillanimité et l’acédie[2], péchés communs à ceux qui exercent une charge d’autorité dans l’Église.
Condition de sa foi, l’homme d’Église doit aussi accepter l’autorité de l’Église. « La discipline n’est ni un élément de décoration ni une gymnastique de bonne manière » explique le Pape. La source de cette discipline se trouve en réalité dans le mystère de cette Église sainte, mais composée d’hommes pécheurs.
Trouver la force dans l’humilité
A travers ce texte le nouveau Pape exprime sa conception du rôle de l’Église.
C’est en définitive à une exigence dans l’humilité, à un combat pour faire triompher la paix que les hommes d’Église sont invités.
La foi que le pape prône est pratique, reposant sur un discernement approfondi et systématique. C’est une foi de terrain et une foi de combat. C’est aussi, à l’image de celle d’un François d’Assise, une foi humble et confiante dans l’Église et ses sacrements. Le livre « Amour Service et Humilité » rappelle ainsi la vocation de l’Église catholique dans le monde à occuper, à l’instar du Christ, la place la plus humble au service des hommes. De cette faiblesse acceptée et choisie viendra la force de son message de salut.
François de Laboulaye
[1] les Exercices Spirituels édités par Saint Ignace de Loyola en 1548, permettent à travers la contemplation et la méditation personnelle de textes de l’Évangile et à l’aide d’un directeur de conscience d’approfondir son discernement sur le chemin à prendre en vue de suivre le Christ. Le retraitant doit d’abord reconnaître ses péchés, puis en se laissant « reformer par le Seigneur » il fait mémoire des dons qu’il a reçus avant de choisir à nouveau le chemin paradoxal de la Croix. Il s’agit donc de faire l’expérience de Dieu par un cheminement éminemment personnel.
[2] Un des 7 péchés capitaux qui s’apparente à la paresse
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