La France accro à l'emploi public?

12 juillet 2012

12347308845_9bb22f08d2_bÀ l’heure où les pays européens, et notamment la France, sont amenés à réduire leurs déficits publics et leur niveau d’endettement dans le cadre du traité budgétaire, la question du nombre de fonctionnaires en France prend toute son ampleur : selon le projet de loi de finances 2012, les dépenses de personnel représentent quasiment un tiers (31,4%) des dépenses de l’Etat, ces dernières s’élevant à plus de 50% du Produit Intérieur Brut (PIB).

 

Un salarié sur cinq est fonctionnaire

En 2008, le nombre d’agents de la fonction publique était de 5,28 millions. On peut analyser ce dernier chiffre de trois façons différentes :

1/l’emploi total étant d’environ 26 millions de personnes, un salarié sur cinq (20,1%) est employé par la fonction publique. (Source INSEE, calcul de l’auteur)

2/Le taux d’administration est d’environ 88 emplois publics pour 1000 habitants.

3/Par rapport à la population en âge de travailler (15-64 ans), l’emploi public contribue pour 14 points au taux d’emploi total (64% en 2008).

Mais, un chiffre en cachant d’autres, l’effectif total de la fonction publique ne peut décrire à lui seul la réalité de la situation. On distingue en effet les trois fonctions publiques suivantes. La fonction publique d’État (FPE) qui regroupe l’ensemble des emplois des administrations centrales de l’Etat et les services déconcentrés (préfectures, rectorats, etc.). La fonction publique territoriale (FPT) qui regroupe l’ensemble des emplois des collectivités territoriales (la commune, le département, la région) et de leurs établissements publics. La fonction publique hospitalière (FPH) qui regroupe l’ensemble des emplois des établissements publics de santé et des établissements publics sociaux ou médico-sociaux.

L’effectif total de la fonction publique en 2009 se répartit entre la FPE, la FPT et la FPH comme suit :

Effectif Effectif en % de l’effectif total de la FP
FPE 2,39 millions 45,1 %
FPT 1,81 million 34,1 %
FPH 1,1 million 20,8%

Ainsi, l’Etat, avec un effectif d’environ 2,39 millions de personnes, est le premier employeur de France. Mais plus intéressant que le nombre de fonctionnaires en France, c’est l’évolution de ce nombre et de la répartition entre les trois fonctions publiques qui sont intéressantes à analyser.

L’inflation bureaucratique

Sur la période 1996 – 2009, le nombre de personnes employées par la fonction publique est passé de 4,52 millions à 5,30 millions, soit une augmentation de 17,2%. Cette hausse peut être imputée à une hausse des effectifs de la FPT (+47,7%) et de la FPH (+24,3%), tandis que l’effectif de la FPE a baissé  de très peu (- 0,9%).La répartition des effectifs des 3 fonctions publiques a évolué sur cette période, en défaveur de la FPE (de 53,4% en 1996 à 45,1 en 2009) et en faveur de la FPT (de 27% en 1996 à 34,1% en 2009). Quant à la FPH, ce chiffre passe de 19,6% à 20,8%. Dans le même temps, il est intéressant de noter que l’emploi total n’a augmenté que de 12,8%. Ainsi, la part de l’emploi public dans l’emploi total a légèrement augmenté (+0,8 point) passant de 19,6% à 20,4%. (Source : INSEE, calculs de l’auteur).

Notons que la hausse des effectifs de la FPT concomitante à la baisse des effectifs de la FPE est largement due à la décentralisation territoriale opérée par le gouvernement Raffarin, notamment avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

La période 2007 – 2009 est particulièrement intéressante à analyser puisque c’est la seule période de notre étude qui a vu l’effectif public total  quasiment stagner (+ 23.000). Cela est dû à la baisse de l’effectif de la FPE. Cette évolution est la conséquence directe de la règle du « un sur deux » pour le non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, mise en place dans le cadre de la révision des politiques publiques (RGPP). Un petit bémol : le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’Etat Exercice 2011 de la Cour des Comptes (page 139) a pointé du doigt le fait qu’à périmètre constant, si on neutralise les transferts d’agents de l’Etat vers les opérateurs (comme les établissements d’enseignement supérieur accédant au régime RCE), la masse salariale a augmenté de 1,72% (+2,02 Md€) en 2011.

La France : accro à l’emploi public ? [1] 

Malgré les difficultés des comparaisons d’emplois publics entre pays développés du fait de l’hétérogénéité des modes de gestion, des statuts, des principes budgétaires, etc., le CAS dans son   tableau de bord de l’emploi public  (décembre 2010) a fait des comparaisons internationales en centrant son analyse sur le concept d’emploi « financé » sur ressources publiques, quel que soit son statut juridique.

Les conclusions qui ressortent de ces comparaisons sont les suivantes :

Concernant son taux d’administration (90 emplois publics pour 1000 habitants), la France se situe en position moyenne haute. Elle se situe en sixième position (sur 19 pays étudiés), loin derrière le Danemark, la Norvège et la Suède (160 emplois publics pour 1000 habitants), la Finlande (quasiment 120) et juste derrière le Canada (environ 100). Notons que ce taux passe à 40 pour le Japon et 50 pour l’Allemagne.

Concernant le poids de l’emploi public dans l’emploi total, la France se distingue des autres pays puisque en moyenne dans les pays de l’OCDE, l’emploi public représente environ 15% de l’emploi total, contre environ 20% en France. La France est derrière les quatre pays Nordiques de l’étude : Finlande (24%), Danemark et Suède (29%) et Norvège (30%).

Tout en gardant à l’esprit que la réduction du nombre de fonctionnaires n’est qu’un objectif intermédiaire (l’objectif final étant la réduction de la dette publique), il apparaît nécessaire que cette règle du « un sur deux » soit poursuivie, voire amplifiée (on pourrait imaginer une règle du type « deux sur trois »). Cela passe donc par une redéfinition du périmètre de l’État (à travers l’externalisation par exemple) et de ses fonctions (voir les 12 idées pour 2012 de la Fondapol).

Des politiques déraisonnables

On peut avancer deux explications théoriques alternatives. 

D’une part, cette augmentation du nombre de fonctionnaires par habitant peut être vue à travers la « loi de Wagner » du nom de l’économiste allemand Adolph Wagner. Selon cette loi, datant de la fin du 19e siècle, le progrès économique s’accompagnerait d’une hausse de la part des dépenses publiques dans le PIB. Deux raisons peuvent être invoquées. Premièrement, le développement de nouveaux besoins pour le fonctionnement de l’économie tels les infrastructures. Deuxièmement, l’importance de plus en plus grande donnée par la population à l’éducation ou la santé. La hausse des effectifs dans l’emploi public peut être vue à travers ces besoins.

Une explication contraire peut être apportée par l’école des choix publics. Une des 3 directions des recherches entreprises par cette école a été, avec le processus de décision démocratique et le comportement des instances représentatives, le rôle de la bureaucratie. Selon cette école, contrairement à l’électeur, le bureaucrate ne peut pas personnellement s’approprier les conséquences de ses actions. La maximisation de son utilité (satisfaction) passe donc par la recherche de pouvoir au sein de la bureaucratie. Or, son pouvoir est en général corrélé à la taille de son administration. Pour maximiser leur utilité les membres des administrations publiques cherchent à donc maximiser la taille des budgets dont ils ont la charge.

Au regard de la faible évolution du progrès économique en France au cours des quinze dernières années, la première explication est à exclure. L’ensemble des données ci-dessus aboutit donc à la conclusion suivante : la hausse de l’effectif de la fonction publique est  l’effet des stratégies des décideurs, au niveau des communes, départements et autres, régions…

Julien Monardo

Crédit photo: Flickr, albert.centet


[1] Les pays étudiés par le CAS sont les suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royame-Uni et Suède.

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