La France, paradis du capitalisme familial?

Fondapol | 05 octobre 2011

Gabriel Milesi, Les dynasties du pouvoir de l’argent, Paris, Editions Michel de Maule, 2011
5.10.2011Le monde des affaires n’est pas aussi immatériel que la finance : il est avant tout de chair et d’os, incarné dans des familles que préoccupe la transmission du patrimoine. C’est du moins l’une des caractéristiques les plus marquantes de l’économie française. Gabriel Milesi, ancien journaliste économique à France Inter et Europe 1, s’efforce de le démontrer dans son dernier ouvrage.

Situé à mi-chemin entre le roman du pouvoir et le dictionnaire biographique, ce livre analyse le parcours de ces dynasties anciennes ou récentes, survivantes ou émergeantes, qui règneraient aujourd’hui sans partage, plus que jamais.

Les 200 ? Non, les 500 familles !

Dans cette version actualisée de l’étude qu’il publia en 1990 [1], l’auteur revient sur le mythe des « 200 familles qui tiennent la France », selon l’expression utilisée par Edouard Daladier en 1934. Le président du Conseil désignait par là les deux cents plus gros actionnaires de la Banque de France (en réalité 53 familles seulement), considérés comme les détenteurs du pouvoir industriel, financier et politique, tant ils occupaient de postes d’administrateurs de sociétés et de mandats électoraux.

Un candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012 reformulait il y a quelques temps cette dénonciation en confessant « ne pas aimer les riches ». Qui sont ces « riches »-là ?

Si l’on en croit le classement annuel du magazine Challenges, ce ne sont plus 200 mais 500 familles qui  constitueraient un nouveau « mur de l’argent », pour reprendre le vocable du Cartel des gauches. Et leurs fortunes ont décuplé puisqu’elles varient de 60 millions d’euros pour la « petite » famille Petzl (héritiers de l’inventeur de la corde en nylon) à 21 milliards d’euros pour Bernard Arnault, P-DG de LVMH.

A l’origine des grandes fortunes familiales… l’innovation !

Gabriel Milesi s’efforce de dessiner une typologie de ces dynasties, en distinguant les anciens des « nouveaux riches ».

Parmi les fortunes nées à la fin du XVIIIème et au XIXème siècles, certaines sont toujours présentes (Wendel, Dietrich ou encore Schlumberger), mais beaucoup appartiennent désormais au panthéon industriel de la France – les Schneider, les Darblay, etc.

Ces dynasties, qui ont largement bénéficié du protectionnisme, de la colonisation, de la cartellisation (grâce au Comité des Forges), n’ont en effet pas toutes su anticiper l’évolution future et rester innovantes. Ont survécu celles qui ont su prévoir que le XXème siècle verrait le règne de la consommation, après celui de l’ « Etat-client ». Ainsi en est-il d’Edouard Michelin, inventeur du pneumatique mais aussi du « Bibendum » chargé d’en assurer la promotion commerciale, dès 1898.

Apparaît après la Seconde Guerre Mondiale une nouvelle génération de créateurs, parmi lesquels Francis Bouygues, pape du bâtiment, mais aussi les premiers représentants de la grande distribution – Edouard Leclerc, les Fournier et Defforey (Carrefour), ou bien encore les Mulliez (Auchan) et leurs cousins Leclercq (Décathlon)… en réalité issus d’une dynastie roubaisienne du textile.

Le tournant de la mondialisation

Les années 1980 et la mondialisation ont accouché d’ « une nouvelle race de patrons », celle des Bernard Arnault, François Pinault et consorts. Habiles financiers, partis de peu, ces « néo-capitalistes » qui « ont la planète pour horizon », ont bâti un empire en un temps record. A leur tour, ces nouveaux capitaines d’industrie s’inscrivent dans une perspective dynastique, en réservant des places de choix à leur progéniture au sein du groupe qu’ils ont créé.

Ces nouvelles fortunes permettent du moins à la France de tenir son rang dans certains classements internationaux!

Ainsi, en 2010, le premier milliardaire européen du classement Forbes était un Français, Bernard Arnault, arrivant en septième position. Aussi détrônent-ils les grands noms de l’industrie hexagonale : première fortune de France en 1987, les Schlumberger-Seydoux sont aujourd’hui relégués à la cinquantième place. Il y a vingt-cinq ans, plus de 60% des grandes fortunes avaient moins de quarante ans d’existence, et cette dynamique n’a fait que s’accentuer.

Manuel de survie à l’égard des dynastes

Mais ces nouvelles lignées sauront-elles observer la « loi de survie des dynasties » ?

L’auteur suggère en effet aux dynastes de donner la priorité au consommateur, de conserver le contrôle du capital, de maintenir une cohésion familiale et d’assurer la continuité du sang. Sans quoi… C’est en effet bien souvent le manque d’innovation conjugué aux mésententes entre héritiers – conduisant à la dispersion du capital – qui provoque la chute de certaines entreprises familiales.

Si la règle avait été respectée, peut-être les Vilgrain seraient-ils toujours maîtres des Grands Moulins de Paris, les Lur Saluces du Château d’Yquem et les Bouriez de la chaîne d’hypermarchés Cora ?

L’Etat, pire ennemi du capitalisme familial ?

Certes, nombres de disparitions sont imputables à l’Etat, personnage central de ce « roman vrai du capitalisme dynastique ». De la réforme de la Banque de France par Léon Blum aux nationalisations de l’après-guerre puis des années Mitterrand, de la politique néo-colbertiste des champions nationaux (visant à créer de grands groupes publics) à l’instauration de l’ISF, etc. : les gouvernements de gauche comme de droite ont précipité la chute de nombreuses entreprises familiales.

Pour autant, la proximité qu’ont entretenu tous les présidents de la Vème République (hormis de Gaulle, mais Mitterrand en particulier) avec les milieux d’affaires interdit de penser que l’Etat ait jamais été en guerre contre ces entreprises.

Des bienfaits du capitalisme familial

Au reste, et dans un environnement économique chaotique, ces entreprises « familiales »  ne sont-elles pas d’ailleurs le meilleur gage de stabilité ?

Elles peuvent développer une vision de long-terme, s’efforcent de créer de la valeur durablement, en entrant le moins possible dans une logique pure et simple de satisfaction d’actionnaires exigeants. En dépit des inévitables querelles qu’engendre la vie de famille, « ici », comme l’explique Benjamin de Rothschild, « l’objectif, c’est une génération ».

Sans doute séduits par ce modèle, certains énarques finissent même par sauter le pas. Jean-Charles Naouri, ancien directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy, a ainsi racheté la société Rallye puis le groupe Casino, désormais dirigé par son fils…

Où est passé le politique ?

A ceux qui en douteraient ou qui l’auraient oublié, ce livre rappelle donc que la France demeure un pays d’entrepreneurs. Ce triomphe de l’entreprenariat se ferait au détriment du politique. S’il était autrefois indispensable et de bon ton pour un patron-chef de famille de siéger au Parlement, il semble qu’à l’heure de la mondialisation, le poids d’un député ou d’un ministre soit devenu bien faible.

Pour Gabriel Milesi, le pouvoir aurait donc définitivement changé de mains. On peut trouver que l’auteur sous-estime ce faisant le poids maintenu des dirigeants politiques dans la France d’aujourd’hui… Mais l’apport de son ouvrage à la compréhension des spécificités du « capitalisme à la française » n’en est pas diminué.

Crédit photo : Google Images, domaine public


[1] Gabriel Milesi, Les Nouvelles 200 Familles. Les dynasties de l’argent, du pouvoir financier et économique, Paris, Belfond, 1990

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