La laïcité au quotidien - Guide Pratique
Romain Millard | 03 mars 2016
La laïcité au quotidien – Guide Pratique
Par Romain Millard
La laïcité au quotidien – Guide Pratique, Régis Debray et Didier Leschi, Folio, 2016, 154 pages, 7,10 euros
Le flamboyant intellectuel et l’ex-préfet de Seine-Saint-Denis unissent leurs compétences pour examiner notre concept si français de « laïcité », à travers 38 cas pratiques. Leur mot d’ordre : « Ni paranoïa, ni laxisme. Ni stigmatisation, ni démission ».
Références juridiques et comparaisons internationales à l’appui, Régis Debray et Didier Leschi reprennent à leur compte le double-objectif des républicains qui ont rédigé la fameuse loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat : « permettre à une Cité de se rassembler par-delà ses différences sans les nier ni les brimer. Reste à préciser comment intégrer ce beau principe dans notre vie quotidienne ».
Des aumôneries aux services publics, des bureaux de vote aux cantines, du calendrier civil au blasphème, ce sont trente-huit éléments fondamentaux de notre vie quotidienne que ce guide pratique analyse. Ses auteurs se tiennent à distance tant des postures gauchistes faisant de la laïcité le faux-nez de « l’islamophobie » que des rodomontades droitières vouant aux gémonies les « accommodements raisonnables ».
« La laïcité a sa doctrine ; la France a son passé »
Contrairement à de nombreux politiques et intellectuels, Régis Debray et Didier Leschi ne font pas l’erreur de vendre la laïcité comme une posture intransigeante face aux accommodements raisonnables, vis à vis par exemple de la religion catholique.
Ils rappellent utilement un fait peu connu : la loi de 1905 n’est pas applicable sur des pans entiers du territoire national. Le Concordat d’Alsace-Moselle du 15 juillet 1801 demeure, et les ministres des cultes catholiques, juifs et protestants sont salariés par le ministère de l’Intérieur.
Il en va de même en Guyane pour les seuls ministres du culte catholique depuis l’ordonnance de 1828 de Charles X. A Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie Française, la loi de 1905 n’est pas appliquée. Dans le département de Mayotte, il demeurera même des juges du droit musulman salariés par le conseil départemental pour arbitrer les litiges entre couples polygames jusqu’à la disparition de ces situations.
Ces droits locaux ont l’adhésion d’une grande majorité de la population et si des ajustements sont possibles, il serait très dommageable à la concorde civile de tenter de mettre à bas ces régimes dérogatoires devenus éléments d’identité régionale.
« Ne pas accepter le détournement d’un outil d’intégration raisonnée en un outil d’exclusion »
Fidèles à la conception libérale de la laïcité, Debray et Leschi refusent qu’elle ne soit récupérée par ceux qui voudraient restaurer une préférence chrétienne et en profiter pour exclure les musulmans de la communauté nationale.
S’ils appellent à réduire le nombre d’imams étrangers qui représentent deux-tiers des ministres du culte musulman aujourd’hui, ils souhaitent que soit créé un institut supérieur de théologie musulmane reconnu d’utilité publique dans le cadre de l’article L. 732-2 du Code de l’Education, qui délivrerait à la fois des formations en théologie islamique et des formations en sciences sociales.
Sur le voile à l’université, les auteurs préconisent de ne pas toucher au présent statut quo de la non-interdiction, craignant de causer plus de désordre que de concorde par une réforme qui appliquerait à des adultes les mêmes restrictions qu’à des enfants et des adolescents.
De même, s’agissant des « jupes longues » qui ont été perçues comme un contournement de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes ostentatoires à l’école, ils appellent à la modération et à les accepter dans la mesure où les jeunes filles satisfont par ailleurs à leurs obligations d’assiduité en cours de sport et aux cours de sciences naturelles.
« Nul ne peut se prévaloir de ses obligations religieuses pour nuire à la bonne marche de l’entreprise »
Les auteurs savent parfaitement que le souci de protéger la concorde civile implique certes de protéger la liberté de conscience mais aussi d’en prévenir les dérives, notamment dans la sphère professionnelle où les litiges se multiplient.
Selon eux, toutes les entreprises et les services publics devraient adopter le réflexe de se référer dans les contrats de travail à un règlement intérieur régissant les règles de savoir-vivre et de neutralité confessionnelle.
Ce document serait une protection utile pour les employeurs face aux revendications religieuses de leurs employés qui mettraient en danger le bon fonctionnement de l’entreprise, à l’image de ce qui s’est passé dans la crèche privée Baby Loup où l’employeur a dû attendre que la Cour de Cassation reconnaisse en juin 2014 que licencier une puéricultrice refusant d’ôter son voile n’était pas un acte discriminatoire.
Un ouvrage à mettre en toutes les mains
Les tenants d’une « laïcité intransigeante » et autres contempteurs de « la politique du filet d’eau tiède » seraient bien inspirés, grâce à ce guide pratique, de revenir aux fondements de la laïcité, qui prescrivent bon sens et pondération plutôt que dogmatisme et radicalité, tant à l’égard des religions installées que des religions des nouveaux arrivants.
Ce guide répond également aux procureurs de la laïcité qui ne ratent jamais une occasion de dépeindre la République française comme un régime raciste, apostat et sans valeur morale. Même sur les sujets où l’on peut débattre de la pertinence de leurs conclusions – tolérer des horaires aménagés pour les femmes dans les piscines, laisser le choix du sexe du soignant en hôpital public, condamner les crèches dans les mairies et les hommages aux Présidents de la République défunts à Notre-Dame – on ne peut que saluer la solidité des raisonnements des auteurs au fil des 154 pages.
Cet article est publié en partenariat avec Les Républicains de Sciences Po
crédit photo Flickr: Outlandos [ym]
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