« La nouvelle école capitaliste »

12 mars 2013

12.03.2013Christian LAVAL, Francis VERGNE, Pierre CLEMENT et Guy DREUX, La nouvelle école capitaliste, Paris : La Découverte, réédition de 2012

Les auteurs sont issus de l’institut de la recherche de la FSU, principale fédération syndicale enseignante. Dans leur ouvrage, ils proposent une analyse militante, issue d’un séminaire consacré aux mutations contemporaines des systèmes éducatifs. Au fil des pages, se dessine une critique sévère – mais juste – de l’influence des codes managériaux et entrepreneuriaux sur l’école d’aujourd’hui. Peut-on pour autant voir dans ce « nouveau libéralisme » la cause de tous les maux de l’école ?

La salle de classe malade du capitalisme ?

Le titre est un hommage à deux ouvrages majeurs de l’intelligentsia de la gauche.

Il fait d’une part allusion à L’Ecole capitaliste, publié en 1971 qui dénonçait une institution scolaire reproductrice et clivée entre filières pour les élites et filières pour les couches populaires. Il se réfère d’autre part au Nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello, qui décrit la mutation du système capitaliste d’un modèle traditionnel et hiérarchique à une culture plus libertaire, attachée à un vocabulaire progressiste – « réseaux », « accountability », «évaluation », « travail d’équipe ».

Cette nouvelle culture capitaliste aurait diffusé dans les pratiques scolaires y imposant l’impératif de performance et une logique marchande, au risque de creuser les inégalités scolaires.

La performance scolaire dans le discours officiel

Indéniablement, les auteurs frappent juste quand ils soulignent l’influence croissante des travaux de l’OCDE et de l’Union européenne sur les systèmes éducatifs : le succès croissant de l’enquête PISA dans les opinions européennes en général et française en particulier (2003, 2006 et 2009) en est une preuve difficilement discutable.

Au niveau national, une partie des institutions reprend ce discours d’une école « performante », qui se voit fixer des objectifs évaluables. La multiplication des dispositifs, processus et institutions consacrées à la « performance » et à la « réussite » marque ainsi l’institution scolaire depuis une vingtaine d’années.

Sur le terrain, l’affirmation du besoin de développer les « compétences » des élèves traduit selon les auteurs une évolution vers les théories de « capital humain ». L’éducation n’est plus une ambition collective mais traduit d’abord un outil de développement personnel dont on est en droit d’attendre  un retour sur investissement (travail, revenus, positions sociales).

De ce point de vue, les fondements idéologiques de l’école française, et son ambition civique très spécifique – laïcité, culture républicaine, volonté émancipatrice – sont érodés par le développement d’un discours utilitariste, tant de la part des familles et des élèves que des institutions.

Le « marché scolaire », sous-produit d’une école sous tensions.

Aussi, les pratiques des « usagers » du système éducatif ont évolué vers un rapport plus marchand. Les classes moyennes et « l’élite » des classes populaires ont tendance à surinvestir les parcours scolaires de leurs enfants. Cela les conduit à des stratégies d’évitement des populations et des établissements vus comme « problématiques ».

Les auteurs soulignent à juste titre que, contrairement aux idées reçues, cette démarche sélective des familles n’est pas en cause dans les inégalités de niveau entre établissements : celles-ci préexistent largement et remontent d’ailleurs à la fondation même de l’école publique française au 19ème siècle.

Ils voient par ailleurs des raisons objectives à ces stratégies des familles. Au premier rang de ces raisons figurent les incivilités et les violences scolaires, sujet qui suscite un malaise dans une partie de la gauche dont les auteurs dénoncent « le discours officiel lénifiant, quand ce n’est pas un aveuglement volontaire sur l’anomie dans laquelle est tombée une partie de la jeunesse populaire » (P.137).

Fermeté et sanctuarisation de l’école

Le développement d’un tel discours parmi les militants de la FSU, est le signe que les violences scolaires sont devenues un phénomène préoccupant et une des causes des difficultés du système éducatif.

De même, une charge sabre au clair est faite contre « l’usage perverti de la sociologie », qui remettrait en cause la légitimité de l’école. Cette attaque, qui n’est pas précisément attendue du côté de militants de la FSU, trouvera un écho au sein de la famille « républicaine », voire au sein d’une droite traditionnelle attachée à la sanctuarisation symbolique et pratique de l’institution scolaire. Sur les débats éducatifs, le clivage droite-gauche n’explique pas tout, tant certaines positions se retrouvent dans la plupart des familles politiques[1].

Les auteurs critiquent ainsi durement l’alliance qui existe, selon eux, entre les managers nouveau genre du système éducatif et certains courants pédagogiques, qui communieraient ensemble dans une novlangue éducative aussi optimiste que lénifiante.

Une dénonciation du néolibéralisme qui suscite le débat

Ces réflexions pertinentes glissent un peu rapidement vers la dénonciation du « néolibéralisme », terme qui en lui-même est au fond difficilement définissable, comme seule cause des problèmes de l’école.

En effet, si les mutations de l’économie contemporaine ont indéniablement joué sur les structures scolaires, celles-ci connaissent des difficultés propres ou des débats qui ne peuvent être réduits au « néolibéralisme ».

Le rapport PISA (2009) et la Cour des comptes (2010) rappellent que la France a l’école qui relie le plus fortement les inégalités sociales et les inégalités scolaires. Dans des pays plus libéraux, cette corrélation est moins marquée, signe que les difficultés de l’école française ne sont pas réductibles à cette explication.

Davantage que le libéralisme, les choix de politiques scolaires sont en cause

En fait, c’est moins la prégnance d’une idéologie « néo-libérale »  que les choix de politiques scolaires qui sont en cause.

Ainsi des politiques de financement à l’œuvre dans le système éducatif restent un sujet d’étude largement en jachère, malgré des travaux pionniers dans le domaine des finances publiques[2]. Les filières socialement les plus favorisées – lycée général, classes préparatoires aux grandes écoles, grandes écoles et IUT sont ainsi largement privilégiées en matière de financement[3]. Ces disparités ont objectivement peu à voir avec un « nouveau libéralisme », tant elles s’inscrivent dans une stratégie historique des classes dirigeantes françaises utilisant le service public éducatif à leur profit.

Il s’agit d’un choix des élites hexagonales de faire payer par la collectivité (y compris les plus modestes) leurs études et celles de leurs enfants qui utilisent non seulement le plus longtemps le système éducatif, tout en empruntant le plus souvent les filières les plus coûteuses. Le service public éducatif payé par tous profite de manière disproportionné aux élèves les plus favorisés. De ce point de vue, ces élites sont parfois, dans tous les sens du terme, fort peu libérales…

Débarrasser l’école du poids de trop grandes attentes

En réalité, le fond du problème est souligné par les auteurs eux-mêmes : une large partie du monde politique français attend tout de l’école, souvent parce qu’elle est devenue le dernier lieu d’élection de l’utopie de la tabula rasa. L’institution scolaire devrait régler les questions de justice sociale et scolaire (ce qui n’est pas la même chose), participer à la lutte contre la ségrégation, distinguer les bons élèves des moins bons, fournir une formation citoyenne et une insertion dans la vie professionnelle… La dernière strate des missions, qui ajoute « l’employabilité », les « compétences » et « la performance » alourdit encore plus les injonctions contradictoires faites à l’école. Et si la meilleure ambition pour l’école était précisément de reconnaître qu’elle ne peut tout faire ?

Ismaël Ferhat

Crédit photo: Fickr, BiblioArchives / LibraryArchives



[1] Cf. par exemple la tribune du Professeur Jean ROBELLIN, «  La gauche et l’éducation », L’Humanité, 10/03/2013, qui  reprend plusieurs analyses de Jean-Claude BRIGHELLI et du syndicat de professeurs SNALC (classé à droite) sur la baisse du niveau scolaire.

[2] Cf. l’ouvrage d’Alexandre SINE, L’ordre budgétaire, Paris : Economica, 2006

[3] Référé de la Cour des comptes, « Égalité des chances et répartition des moyens dans l’enseignement scolaire », 11.07.2012

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