La Pologne, entre success story et retenue : quel rôle pour l’UE ?

Pierre-Adrien Hanania | 27 novembre 2015

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Par Pierre-Adrien Hanania et Pawel Wiejski, en partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences Po

Fin 2014, et alors que soufflait un vent d’apathie interminable en Europe, l’UE nommait son deuxième Président du Conseil Européen. C’est assez unanimement que la candidature de Donald Tusk fut retenue et ainsi, l’ex-premier ministre Polonais embarquait pour Bruxelles afin de succéder à Herman Von Rompuy, consacrant ainsi l’importance indéniable de l’acteur polonais au sein de l’édifice européen.

Un an plus tard, la Pologne vient de connaître des élections qui ont été marquées par la défaite du parti libéral de la Plateforme Civique (PO), dont est issu l’ex-premier ministre Tusk. Le PO (24% contre 39% en 2011) n’a pas résisté dans les urnes face au retour en force du parti Droit et Justice (PiS, 38% contre 30% en 2011), porté par son leader Jaroslaw Kaczyński.

Pour ce pays, modèle de la politique d’élargissement opérée par l’Union Européenne dans les années 2000, l’europhilie qui avait succédé à l’atlantisme polonais est aujourd’hui mise à l’épreuve. Quelle relation entretient aujourd’hui la Pologne avec l’UE – et quelle en est la perspective ?

De l’atlantisme à l’europhilie : une transition progressive

Il n’est pas du tout surprenant qu’après 1989, la Pologne entretenait de très bons rapports avec les États-Unis. Pour l’ancienne opposition démocratique, cette politique s’inscrivait dans la continuité, le mouvement Solidarność ayant bénéficié du soutien du gouvernement américain pendant les années 80. Pour les post communistes, les arguments économiques étaient décisifs. Outre les moyens financiers, les États-Unis offraient le know-how et l’expérience nécessaires pour une économie émergente. Pareillement, on ne peut négliger l’importante influence de la population polono-américaine, estimée autour de 10 millions de personnes.

Toutefois, la raison capitale derrière la ligne atlantiste de la Pologne depuis le début des années 90 était géopolitique et avait pour enjeu central de se mettre en sécurité vis-à-vis du Bloc de l’est. L’OTAN était dans ce cadre la solution évidente et la rejoindre passait par le fait de fonder de bonnes relations avec les États-Unis. L’atlantisme en Pologne aura persisté, au-delà de la simple adhésion à l’OTAN, comme l’illustre l’engagement polonais aux opérations américaines pendant la guerre contre le terrorisme. L’armée polonaise était présente durant la mission en Afghanistan, mais aussi en Irak. Une des prisons secrètes de la CIA était d’ailleurs située à Kiejkuty.

Pendant ce temps, l’adhésion à l’UE en 2004 ne signifia donc pas la transition immédiate d’atlantisme à l’europhilie. Au contraire, les deux sphères d’influences exercées sur la politique étrangère n’étaient pas perçues comme des idées s’excluant mutuellement. Le référendum sur l’adhésion fut un grand succès pour les supporters de l’intégration européenne, avec plus que 77% pour le oui, pour lequel tous les partis polonais majeurs avaient fait campagne.

L’Eurobaromètre nous permet d’observer que l’attitude des Polonais à l’égard de l’UE était beaucoup moins enthousiaste que le référendum sur l’adhésion l’avait laissé penser. En octobre 2004, seuls 50 % de la population pensaient que la participation à l’UE est une bonne chose. Ce chiffre évolua et connu un pic de 72 % en 2007 : depuis, il perd chaque année en valeur, revenu à 53% en 2011.

Evidemment, l’atlantisme continue à imprégner la politique polonaise, particulièrement pendant le premier mandat du PiS (2005-2007) et durant le règne du président Lech Kaczyński (2005-2010). Mais c’est bien l’Europe qui reste désormais l’intérêt principal, tout aussi bien pour le PO que pour le PiS.

La Pologne, un rôle prépondérant à jouer au sein de l’UE

Si la Pologne a recentré sa politique étrangère autour de l’intégration européenne dans les années 2000, l’édifice européen le lui a bien rendu et s’efforça de lui reconnaître un poids particulier : la Pologne est en effet le plus grand des pays adhérents en 2004 ; et même avant l’adhésion, le pays avait de grandes aspirations concernant l’influence sur les décisions au sein des institutions. La déclaration mémorable « Nice, ou la mort » prononcée par Jan Rokita pour la préservation du vote à la majorité qualifiée au Conseil en est un parfait exemple. Depuis, et alors que la Pologne s’est fait une place au sein de l’équilibre étatique de l’Union, il y a plusieurs arguments qui démontrent que la Pologne peut jouer un rôle central sur la scène européenne.

Premièrement, la Pologne est connu pour sa success-story économique ces dernières années. Pendant la crise économique, c’était par exemple le seul pays de l’UE à connaître la croissance de son PIB en 2009 (+1,9%). Le succès économique est dans une certaine mesure le fruit des bienfaits de l’adhésion à l’UE. La Pologne est l’un des plus grands bénéficiaires de l’argent européen avec notamment une grande utilisation de ces fonds européens pour la modernisation des infrastructures. De même, la Pologne constitue une « porte d’entrée vers les marchés d’Europe centrale et orientale » tandis que son commerce extérieur est solide car diversifié. Avec un déficit public de 3,2% et une dette publique de 58,2% du PIB, la Pologne fait preuve d’une discipline saine et rare en Europe.

Deuxièmement, le poids alloué à la voix polonaise en Europe fut consacré par la nomination de personnalités politiques. Avant Donald Tusk, ce fut Jerzy Buzek qui servit de président du Parlement Européen (2009-2012). Bien sûr, la position actuelle de l’ex-premier ministre est encore plus importante. Et pourtant, il n’est même pas assuré que le nouveau gouvernement polonais supporte Tusk pour un potentiel deuxième mandat consécutif.

Troisièmement, la Pologne exerce un rôle de leader régional en Europe avec le Groupe de Visegrád. Avec trois autres pays d’Europe Centrale (Slovaquie, Hongrie et République Tchèque), cette alliance possède un levier d’influence non-négligeable sur le processus décisionnaire de l’UE. Le nouveau parti au pouvoir PiS est d’ailleurs particulièrement engagé sur ce dossier. La proximité politique entre Viktor Orbán et Jarosław Kaczyński, notamment, rend le rapprochement naturel.

La montée en force de l’importance polonaise au sein de l’UE est donc chose certaine. Il est toutefois incertain que cette influence agira en faveur ou contre une dynamique d’intégration européenne : l’euro, dont 68% de la population ne veut pas, symbolise l’image d’une Pologne qui n’est pas prête à risquer la bonne dynamique qu’elle soigne depuis plusieurs années. Ainsi, sa position tend plutôt vers la réalisation par défaut d’une UE à deux vitesses. La Pologne pourrait dans ce cadre devenir le chef d’orchestre de la deuxième vitesse. La mise en pratique du programme du parti nouvellement élu nous livrera des éléments de réponses fondamentaux quant à cette question.

Le retour de Kaczyński change-t-il la donne?

C’est précisément sur la question de l’euro que le nouveau parti au pouvoir pose sans ambiguïté les limites de la dynamique d’intégration européenne en Europe : “Mon gouvernement ne va certainement pas travailler sur l’introduction de l’euro en Pologne” déclarait ainsi Beata Szydlo, candidate pour le PiS, avant l’élection.

Le reste du programme électoral, s’il n’est pas marqué d’un euro-scepticisme tel que caractérisé par les populismes de droites en Europe, confirme cette position d’efforts minimalistes que le nouveau gouvernement est prêt à faire en direction d’une intégration européenne plus ample. L’élection n’a ainsi que très peu tourné autour d’enjeux européens, mis-à-part la question – inévitable – des réfugiés : le ministre aux affaires européennes, K. Szymanski, affirmait ainsi que la Pologne ne participerait pas au plan de quotas établi par la Commission Européenne, tandis que le ministre de l’Étranger, W. Waszczykowski, estimait que les réfugiés ne sont pas aussi désespérés que les médias le disent avant de proposer que l’Europe les aide à retourner en Syrie pour combattre sur place.

Si le succès de PiS a su catalyser une retenue dans l’europhilie des Polonais, il faut toutefois modérer la perspective d’un euroscepticisme ambiant : c’est surtout l’usure du pouvoir qui semble avoir poussé un parti en perte de renouvellement vers la sortie, permettant ainsi le retour de conservateurs à l’heure où la Pologne profite pourtant du travail fournit.

Il conviendra toutefois de scruter avec attention la ligne politique du PiS, qui domine la scène politique nationale comme aucun parti n’avait pu le faire depuis la fin du communisme en Pologne. En effet, le PiS a non seulement seul la majorité au Parlement et au Sénat, mais dispose aussi du soutien du président Andrzej Duda, issu du parti. Cette constellation conférera aux conservateurs polonais une marge de manœuvre qui peut soulever l’hypothèse d’une dynamique qu’a connu un autre poids lourd de l’élargissement 2004 : la Hongrie. En effet, le parti a notamment directement critiqué la liberté jugée trop large de certains médias et vient de voter en une nuit la possibilité de remplacer cinq des quinze juges constitutionnels.[1] Si Kaczynski laisse transparaître une affinité certaine pour la voie qu’a emprunté Orbán dans son pays, son parti ne dispose toutefois pas d’une majorité capable de réviser la Constitution tel que le chef d’État hongrois l’a fait.

Véritable vitrine des bienfaits de l’UE, la Pologne tergiverse : entre exploitation de son potentiel au sein de l’UE et retenue en ces temps d’apathie générale sur la question de l’avenir de l’intégration européenne, sa politique européenne peut avoir un impact important sur les grandes décisions à venir.

Sources:

crédit photo : flickr Kancelaria Prezesa Rady Ministrów

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