La Restauration: retour sur une période clé
24 janvier 2014
La Restauration: retour sur une période clé
Benoît Yvert , La Restauration. Les idées et les hommes, CNRS éditions, octobre 2013, 262p, 22€
La Restauration, qui prend place entre la chute du Premier Empire le 6 avril 1814 et la révolution des Trois Glorieuses du 29 juillet 1830, et voit le retour de la maison de Bourbon sur le trône de France[1], est une période qui connait un récent regain d’intérêt[2]. La parution du recueil d’articles de Benoît Yvert, La Restauration. Les idées et les hommes, s’inscrit dans ce paysage historiographique. Il a vocation à mettre à la portée d’un public élargi des articles parus dans des revues de vulgarisation mais aussi des contributions plus rares ou plus confidentielles[3].
Des idées et des hommes
L’auteur affiche dès l’introduction son parti pris méthodologique. Il met en avant sa conviction que « la Restauration n’est pas un long fleuve tranquille et un peu rébarbatif mais bien une des périodes les plus riches et foisonnantes de notre passé où la qualité des acteurs répond à la puissance des idées toutes familles confondues. Elle ne pouvait qu’attirer un jeune historien passionné par l’histoire des idées politiques et notamment porté […] vers le genre biographique »[4].
Les articles ont la plupart du temps un caractère biographique. Il suffit de citer « la pensée politique d’Auguste de Staël » ou encore « le ministère Villèle » qui montre que le livre s’intéresse avant tout à l’action et à la pensée des principaux acteurs de la scène politique de la Restauration.
Il convient dès maintenant d’évacuer deux critiques possibles. La première forme du reproche serait le caractère suranné de cette façon de faire l’histoire. En effet, l’auteur ne s’intéresse pas aux conditions sociales de la pensée de personnages historiques. L’histoire des idées telle qu’il la pratique apparaît, d’une certaine manière, en lévitation dans le ciel de la Pensée. La deuxième forme, plus insidieuse, est que son écriture de l’histoire politique ne prend pas la peine d’interroger les conditions même du politique, c’est-à-dire selon quelles modalités s’opèrent les rapprochements, selon quels réseaux.
Toutefois, il ne faut pas prendre l’ouvrage pour ce qu’il n’est pas et surtout pas ce qu’il ne prétend pas être. Il s’agit d’une présentation claire et synthétique de l’histoire politique de la Restauration. Cette présentation intègre des développements pertinents, souvent éclairants sur des points précis de la pensée politique de certains auteurs, notamment en se livrant à une lecture suivie des textes. Il faut ainsi bien voir que ce recueil permet d’entrer dans la complexité de la Restauration et de son histoire politique.
Une politique impossible
L’ouvrage a d’autant plus de mérite que la vie politique sous la Restauration est extrêmement complexe et changeante. Les ministères se succèdent rapidement. Les intérêts au sein d’un même ministère peuvent être contradictoires. Enfin, les calculs politiques y sont difficiles à démêler ; ce qu’illustre le chapitre sur le comportement de Fouché pendant les Cent-Jours et lors de la deuxième restauration de Louis XVIII.
Toutefois, l’auteur parvient au fil des articles à dégager, de manière évidente, une opposition entre la position des ultras[5] et la position des doctrinaires[6] et des libéraux. Par une analyse très fine des textes politiques imprimés et des mémoires, Benoît Yvert parvient à illustrer les conclusions de Pierre Rosanvallon dans ses livres Le Moment Guizot[7] et La Monarchie impossible. Histoire des Chartes de 1814 et 1830[8]. Il développe l’idée selon laquelle un des grands sujets, si ce n’est le grand sujet, passe par le rapport à la charte de 1814.
L’enjeu est de savoir qui détient la souveraineté. C’est dans le refus de partager l’autorité législative avec la chambre des députés que Charles X, au-delà de ses maladresses et de ses vues archaïques, s’est heurté à une résistance qui a fini par l’emporter. Mais comme le montre la lecture des différents chapitres, celle-ci est déjà présente dès les débuts de la Restauration. La liquidation de la Révolution ne peut pas constituer un programme et c’est toute la difficulté des contre-révolutionnaires qui sont dans l’impossibilité de s’abstraire de ce discours.
Le fond sans la forme
Un certain nombre des détails viennent rompre le charme de cette lecture. Mentionnons tout d’abord quelques fautes qui disparaitront vraisemblablement lors de la réédition de l’ouvrage. Il en va de même pour la mise en page des chapitres. Ainsi le chapitre consacré au « ministère Villèle » est fondu dans celui intitulé « Decazes et la politique du juste-milieu : « Royaliser la Nation nationaliser la Royauté » (1815-1820) ».
Plus problématique est l’absence d’index et de bibliographie. Benoît Yvert est, en effet, un fin connaisseur des sources de la période est l’ouvrage aurait gagné à disposer d’une présentation, même succincte des sources. Ce problème, anecdotique, reflète une limite du livre à savoir l’absence de contextualisation historiographique et de présentation critique des enjeux de la période. Il est vrai que cette absence, comme souvent, peut-être due au choix de l’éditeur.
Ces défauts rappellent que le livre est avant tout une introduction –très reussies- à des lectures plus approfondies sur la période, mais ne contribue pas, en raison de ses limites intrinsèques, au renouvellement de l’histoire politique de la période.
Jean Sénié
[1] Avec les règnes successifs de Louis XVIII (1814 à 1815 et 1815 à sa mort, le 16 septembre 1824) et de Charles X (1824-1830). Sur Louis XVIII, voir en dernier lieu Philip Mansel, Louis XVIII, Paris, Perrin, 2013 (1ère éd. parue en 2004), 546 p. Sur Charles X, voir José Cabanis, Charles X : roi ultra, Paris, Gallimard, 1972, 522 p.
[2] Emmanuel de Waresquiel et Benoît Yvert, Histoire de la Restauration (1814-1830) : naissance de la France moderne, Paris, Perrin, 1996 (rééditée en 2002). ; Jean-Yves Mollier, Martine Reid et Jean-Claude Yon (dir.), Repenser la Restauration, Paris, Nouveau monde, 2005. ; Gilles Malandain, L’Introuvable Complot: attentat, enquête et rumeur dans la France de la Restauration, Paris, Editions de l’EHESS, 2011. ; Olivier Tort, La droite française : aux origines de ses divisions (1814-1830), Paris, CTHS, 2013.
[3] Benoît Yvert, La Restauration. Les idées et les hommes, Paris, CNRS éditions, 2013, p. 19 : « Le présent recueil, […], rassemble des textes destinés à des supports volontairement divers : revues spécialisées et grand public, colloques, livres collectifs. »
[4] Ibid., p. 19.
[5] Diminutif d’ultraroyalistes
[6] C’est le nom qu’on donne sous la Restauration aux royalistes qui essayent de concilier la monarchie et la Révolution. Ils sont aussi qualifiés de royalistes libéraux.
[7] Pierre Rosanvallon, Le Moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985.
[8] Id., La Monarchie impossible. Histoire des Chartes de 1814 et 1830, Paris, Fayard, 1994.
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