« La sortie du tunnel » ? Et si on parlait de Soumission du point de vue littéraire ?

Harry Bos | 25 février 2015

mh« La sortie du tunnel » ? Et si on parlait de Soumission du point de vue littéraire ?

Par Harry Bos

Christophe de Voogd a abordé pour «Trop Libre » les aspects politiques et philosophiques du roman  « Soumission » de Michel Houellebecq.

Mais le livre mérite aussi qu’on se penche sur ses aspects proprement littéraires, souvent oubliés dans les articles et commentaires. Une approche qui permettrait de percevoir la vraie cohérence, mais aussi les quelques faiblesses du roman.

Théorie littéraire

« (…) Seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain (…). Seule la littérature peut vous permettre d’entrer en contact avec l’esprit d’un mort (…) ; un auteur est avant tout un être humain, présent dans ses livres, qu’il écrive très bien ou très mal  (…). De même, un livre qu’on aime, c’est avant tout un livre dont on aime l’auteur, qu’on a envie de retrouver, avec lequel on a envie de passer ses journées. »

« L’auteur présent dans ses livres » est ici Joris-Karl Huysmans, sur lequel François, le narrateur du roman, a écrit sa thèse sous le titre,bien peu universitaire, « La sortie du tunnel ».

Que fait cette théorie littéraire, très en vogue dans la critique internationale d’avant guerre, dans ce roman controversé sur l’avènement d’un régime musulman en France ?

Dialogue avec Huysmans

En dehors de l’autodérision de cette citation – qui aurait envie de « passer ses journées » avec cet écrivain à la posture de déprimé alcoolisé, qui fait à peu près tout pour nous dégoûter ? – elle nous rappelle tout d’abord que Soumission parle de littérature et de lecture. C’est la lecture de Huysmans et notamment le cheminement d’un auteur dandy et cynique vers la conversion au catholicisme qui obsède François, universitaire à la Sorbonne. Ce dialogue est le vrai fil rouge du livre. Huysmans, dans son A rebours, emploie d’ailleurs le même procédé et nous amène dans un long parcours à travers la bibliothèque du personnage principal du roman, Jean des Esseintes.

Voyage

« Cheminement », « parcours » ces deux mots disent de quoi il s’agit dans Soumission. Mais François n’est pasDes Esseintes, qui s’est retiré hautainement du monde. Bien que doté du même mépris pour la médiocrité de ses contemporains –mais un mépris dont il ne s’exempte pas – François se plonge dans le réel, à sa façon, et entame une enquête, un voyage. Un voyage qui passe par la lecture et la littérature bien évidemment, mais qui l’amène aussi à rencontrer ses contemporains, témoins de ce qui se passe dans le pays :« J’aurais probablement dû parler de cela, de cet étrange pouvoir de la littérature, je décidai pourtant de continuer à parler politique. »

Personnages à la Gogol

François rencontre ainsi Godefroi Lempereur, universitaire comme lui, membre du Bloc identitaire, la force secrète de l’extrême droite qui met le feu au pays. François parle avec lui, enfin, il laisse surtout l’autre parler, il écoute, pose des questions, tel un nouveau Candide dans ce conte philosophique qu’est aussi Soumission. Pareil procédé avec Alain Tanneur, l’homme de la DGSI et surtout avec Rediger, le puissant universitaire converti à l’Islam. Si Lempereur disparaît très vite du récit – tel un personnage de Gogol, dont on pense à tort qu’il va prendre de l’ampleur dans le livre – et que Tanneur n’existe que pour donner des détails confidentiels de la situation, Rediger est, lui, une véritable figure, la plus fascinante et dérangeante de Soumission. Son ombre plane sur tout le roman, avant même sa rencontre avec François, décisive.

« Une fin de vie sympa »

Le voyage de François passe aussi par des épreuves personnelles. Ces parents meurent, sa mère est même enterrée avant que le fils ne soit au courant.  De son père, il découvre avec étonnement que cet homme pétri des conventions de la vie bourgeoise « avait eu une fin de vie sympa » avec une maitresse. Et l’émotion humaine apparaît :

« Chez cet homme âgé, ordinaire, elle avait su, la première, trouver quelque chose à aimer. »

Du côté des femmes

Dans sa propre vie, il voit sa maîtresse Myriam le quitter. Myriam fait une brève apparition dans le livre, – elle part la veille de l’élection en Israël – mais elle nous émeut car c’est un vrai personnage de chair et de sang, non le porte-parole d’une opinion ou le transmetteur d’informations. On retrouve ici un trait houellebecquien par excellence, qui a toujours plus d’empathie pour les personnages de femmes.

Enfin, François perd son poste à la Sorbonne, transformée en université islamique. Même si sa retraite est confortable, c’est le début d’une période d’isolement et de questionnement : il se refugie brièvement dans un monastère, le même où Huysmans s’était retiré, se met à fréquenter des prostituées, encore comme Huysmans, mais il comprend que « la sortie du tunnel » devra être ailleurs.

Dix questions sur l’Islam

Cette sortie vient encore par la lecture. Encore et surtout à traversHuysmans, pour l’édition de la Pléiade qu’on lui propose de diriger. Un événement qui oblige François à relire sa propre thèse et à changer radicalement sa première interprétation de l’auteur (l’accuser de contresens, comme l’ont fait certains, est donc… un contresens !). Parallèlement, il lit les écrits de Rediger, sa brochure Dix questions sur l’Islam, mais aussi d’autres documents de sa main, bien plus polémiques. La preuve que, pour François et bien évidemment pour Houellebecq lui-même, il n’est pas meilleure connaissance du monde et des hommes que celle que donne la lecture.

Enigmatique

Tout cela est raconté avec cette écriture quasi-clinique et en apparence détachée, blanche, diraient certains, où l’émotion n’apparaît qu’au détour d’une phrase. Une écriture à la fois proche et énigmatique, familière et lointaine, où l’ironie et la désillusion s’entremêlent. Ce qui semble se dessiner à la fin du roman n’est pas très réjouissant :

« Je rentrai doucement à pied, comme un petit vieux, prenant progressivement conscience que, cette fois, c ‘était vraiment la fin de ma vie intellectuelle ; et que c’était aussi la fin de ma longue, très longue relation avec Joris-Karl Huysmans. »

Soumission donc ? En apparence oui.  Mais il reste un dernier chapitre à lire, chapitre étrange, éblouissant, fin énigmatique et ouverte d’un roman passionnant, qu’on lit d’un seul trait.

Manque de substance

Un roman hybride aussi, où le destin d’homme se mêle à celui d’une nation. Mais ce mélange n’est pas toujours réussi hélas, car le goût provocateurde Houellebecq pour l’actualité politique et sociale nuit quelque peu à la profondeur de l’ensemble. Il « colle » un peu trop à la réalité, notamment à celle des médias. Bien sûr, sa description de la vie politique et surtout médiatique française est féroceet surtout très drôle. Bayrou nommé premier ministre sous le président musulman : une blague sérieuse qui dénonce le caractère opportuniste de l’homme politique. Mais tous ces « effets de réel » font que la plupart des personnages fictionnels manquent singulièrement de substance ; ils deviennent des ombres, alors que certains parmi eux auraient pu et dû être plus développés. Du coup la portée véritablement littéraire de Soumission se trouve diminuée et c’est dommage pour un écrivain du talent comme Houellebecq.

Tabous

Il n’empêche, le roman reste une œuvre originale et courageuse ; nécessaire aussi car rompant avec le politiquement correct et les tabous. Mais il serait intéressant de savoir ce qu’il en restera, quand tout le monde aura oublié les noms des hommes politiques, journalistes et autres personnages médiatiques qui peuplent aujourd’hui les plateaux de télévision…

Crédit photo : Jeniadurer

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