La très éveillée
Fondapol | 18 février 2011
Caroline PUEL, Les trente ans qui ont changé la Chine, Paris, Buchet-Chastel, 2011.
Qui ne s’intéresse pas à la Chine aujourd’hui ? Alors que de plus en plus de jeunes Européens apprennent le chinois, que des centres culturels chinois ouvrent par centaines dans le monde, que la planète économique regarde avec admiration ce pays dépasser le Japon pour devenir la deuxième économie mondiale, qu’au sein des nations, grâce entre autres à sa réserve de plus de 3 000 milliards de dollars, la voix de Pékin devient plus dominante, que ce soit en Afrique, en Amérique du Sud, ou encore en Europe, la nécessité de connaître et comprendre cette nouvelle puissance se fait tous les jours plus forte.
La Chine moderne a 30 ans
En sinophile avertie, Caroline Puel s’attache à démontrer dans son dernier ouvrage la validité d’une des citations de Confucius : « mieux que connaître une chose : l’aimer ». La journaliste et écrivaine, installée depuis plus de trente ans en Chine, a collationné ses notes pour offrir un panorama général sur ce pays qui la fascine, du maoïsme jusqu’à nos jours. L’ambition est immense. L’ouvrage, pour y répondre, foisonne d’anecdotes et de courts récits épousant les méandres que purent prendre les politiques et la société chinoise pour arriver si rapidement à devenir la deuxième économie mondiale et pour offrir une prospérité égale ou supérieure à l’Occident à quelques quatre cents millions de Chinois, soit un quart à un tiers de la population totale.
La créatrice des bureaux « Chine » de Libération, puis aujourd’hui du Point, rassemble dans ce livre l’expérience d’une vie de reportages. Elle a du reste reçu le prix Albert Londres en 1997. Répondant, dit-elle, à un souhait du journaliste et écrivain Henri Amouroux de retranscrire et synthétiser la rapide modernisation de la Chine, Caroline Puel tente de dégager les faits et forces majeurs qui transformèrent le pays. Comme a pu le dire l’écrivain Yu Hua, « en trente ans on passe de conditions de vie très frustes aux excès d’une consommation triomphante, tandis qu’en Europe de tels changements se sont produits en plusieurs siècles ». On retrouve en ligne de fond du livre de Caroline Puel la relative brutalité avec laquelle ces mutations s’imposèrent au peuple et à la société chinoise, ainsi que l’étonnement qu’elles suscitèrent.
Deng Xiaoping, père de la Chine contemporaine
Caroline Puel esquisse un portrait rapide de la Chine aux XIXe et XXe siècles pour faire ressortir le fossé qui sépare le chaos d’alors des réalisations d’aujourd’hui : les successeurs de Mao sont en train de réussir son pari et de restaurer la grandeur de l’Empire du Milieu. A cet égard, l’homme providentiel est bien plus la « Petite Bouteille » Deng Xiaoping (Ping signifie « paix » mais aussi « bouteille ») que le Grand Timonier. Doué d’une solide vision, d’un pragmatisme d’acier, et d’une grande finesse, Deng Xiaoping restera sans doute comme l’un des politiques qui aura le mieux servi son pays. La mise en place de ses réformes durant les années 1980, mènera à l’ouverture économique à partir de 1992. Son succès permettra le renouveau de la puissance chinoise dans les années 2000. Même si ces évolutions accélérées se firent au prix de gigantesques sacrifices humains et écologiques, les résultats économiques et politiques tendent à confirmer la voie choisie par Deng et ses successeurs. Une redistribution des cartes a eu lieu, la Chine influe à nouveau sur le monde.
Pour décrypter cette évolution, le livre déroule chronologiquement les éléments qui ont pu peser sur la société chinoise : événements politiques, économiques, sociaux et culturels. La densité des informations avancées impressionne. Mais elle laisse parfois un goût d’inachevé. Il faut ainsi de la patience au non-initié pour reconstruire et retrouver les qualités et carrières derrière les noms de chacun. L’expert se posera au contraire quelques questions sur la chronologie choisie par l’auteur. Pourquoi ne pas commencer en 1978 à l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping ? Pourquoi s’arrêter en 2010 ? La seconde moitié des années 2000 n’est-elle pas trop proche pour être correctement analysée ?
Les bons connaisseurs de la Chine s’interrogeront aussi sur la pertinence de certains choix ou de certaines omissions. Ils relèveront un biais très favorable à l’histoire officielle. Quelques détails historiographiques pourront aussi gêner. Mme Puel considère par exemple, à l’instar de l’histoire officielle, que la Révolution culturelle a duré dix ans, jusqu’à la mort de Mao (1966-1976). Or, nombre d’historiens contemporains préfèrent la limiter à une plus courte période (1966-1969). D’autres remarques, qui touchent plus à la forme, peuvent être formulées. Simon Leys rappelle que l’étiquette des hauts fonctionnaires chinois au XVIIe siècle requérait qu’ils laissassent une faute ou une coquille dans les deux première pages de leurs rapports afin que l’Empereur puisse démontrer sa vigilance sans avoir à lire le dossier jusqu’au bout. On aime à imaginer que Caroline Puel use du même stratagème par courtoisie envers son lecteur.
La Chine et le monde
Reste que ce livre propose une lecture attentive des évolutions du régime de Pékin, et offre une ouverture précieuse à l’état d’esprit des Chinois. Revenant régulièrement sur le cas de la France, Caroline Puel montre les liens particuliers qui lient ces deux pays. De la double année de la Chine en France et de la France en Chine (2003-2005) à la gestion de la crise tibétaine lors du passage de la flamme olympique à Paris (2008), les relations avec l’Hexagone permettent d’aborder plus globalement l’établissement de rapports de force ou de séduction avec l’Occident. On remarque d’autant plus nettement certaines maladresses des gouvernements français. En outre, la lourdeur du fonctionnement des institutions européennes handicape tant la France que l’Union. Les dirigeants chinois profitent de la faiblesse et de l’impéritie des nations européennes, peu capables de garder un cap politique et de parler d’une même voix.
A l’heure où s’annonce un changement de génération de dirigeants en Chine, Xi Jinping se préparant à succéder à Hu Jintao, Caroline Puel estime que la Chine devrait poursuivre à l’avenir ses restructurations et son « ascension pacifique ». Elle note d’ailleurs la prise en compte par Pékin de la nécessité de réformes politiques après les réformes économiques, même si le souci de contrôler les libertés est peu remis en cause. Sans nier les difficultés auxquelles se retrouve confronté ce grand pays, l’auteure se montre très confiante dans la solidité du modèle chinois et la stabilité de son gouvernement. Elle se joint aux analystes qui, optimistes, prédisent que la Chine deviendra la première puissance mondiale dans les trente ans à venir.
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