« L’affaire Nicolas Bernard-Buss » annonce t-elle le retour du délit d’opinion ?
08 juillet 2013
« L’affaire Nicolas Bernard-Buss » annonce t-elle le retour du délit d’opinion ?
Aujourd’hui, en 2013, chez nous, en France, un homme a t-il été jeté en prison pour ses opinions politiques et philosophiques ? Selon la Ministre de la Justice, la condamnation de Nicolas Bernard-Buss, activiste anti-mariage gay, à quatre mois de prison dont deux mois fermes avec mandat de dépôt à la barre ne serait, selon elle, que l’effet des « lois de l’ancien quinquennat » et notamment celle du 10 août 2007 relative aux peines planchers en cas de récidive.
Nicolas Bernard-Buss arrêté par la police
La Fondation pour l’innovation politique et le blog « Trop Libre », qui en est l’une des expressions principales, défendent une conception libérale de la société. Au nom de ce libéralisme, nous avons pris position en faveur du mariage gay lequel constituait l’une des propositions figurant dans notre document programmatique publié en 2011. Mais, c’est au nom de ce même libéralisme que nous considérons que l’emprisonnement dont Nicolas Bernard-Buss vient de faire l’objet est liberticide, et ce pour quatre raisons principales :
1/ De l’avis unanime des observateurs sérieux, cette sanction est d’une sévérité sans égale au vu des condamnations généralement relevées consécutivement à une manifestation sur la voie publique. Il y a une différence de traitement frappante avec tous les cas comparables au cours des années récentes : ni les destructeurs de plants OGM, ni les ouvriers d’Aulnay n’ont été sanctionnés ainsi. Même les saccageurs lors de la « fête » du PSG n’ont pas subi une telle sévérité ! Les seules condamnations à la prison ferme ces dernières années ont concerné des faits de violence avérée. Et de la prison prononcée à la prison effective, on connaît le grand écart dans notre pays…
2/ Le recours à la comparution immédiate dans le cas de Nicolas est une application limite de la législation car « la peine d’emprisonnement encourue doit être au moins égale à deux ans ; en cas de délit flagrant, cette peine d’emprisonnement doit être supérieure à six mois ; le prévenu ne peut être mineur et il ne peut s’agir d’un délit de presse, ni d’un délit politique, ni d’une infraction dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale. » Et c’est le Procureur de la République, donc le parquet soumis à l’autorité du garde des sceaux qui détient l’appréciation de la situation et l’initiative de cette procédure. Rappelons d’ailleurs au passage que la loi Perben en la matière ne date pas de « l’ancien quinquennat », mais de 2002.
3/ Toute référence à la loi de 2007 est irrecevable, car elle ne concerne que les cas de récidive pour des faits passibles de trois ans d’emprisonnement au moins. Tel n’est évidemment pas le cas puisque la rébellion n’est punie que d’un an d’emprisonnement et ne relève donc pas des peines planchers, comme d’ailleurs le refus de se soumettre à un prélèvement ADN. Par ailleurs la qualité de « récidiviste » de Nicolas, invoquée par la garde des sceaux est juridiquement infondée, puisque sa récente condamnation (à 200 euros avec sursis !) fait l’objet d’un appel en cours : qui plus est, à la demande du parquet ! Enfin, contrairement à sa légende noire, la loi de 2007 n’impose aucune peine minimum, le juge pouvant écarter, sous réserve de motivation, la peine-plancher prévue. Le juge ne peut envisager l’incarcération immédiate d’un jeune prévenu, s’il n’est pas un « récidiviste », que si les faits qui lui sont reprochés sont d’une extrême gravité. Quels sont donc ces faits d’une « extrême gravité » ? Est-ce porter un tee-shirt affirmant une opinion politique ? Est-ce refuser de subir un prélèvement ADN ?
4/ De toutes façons, dans le cas de Nicolas, le juge n’a pas utilisé sa latitude d’appréciation. Pour ce qui est de la peine prononcée, il a suivi strictement les réquisitions du Parquet, lequel est placé, rappelons-le encore, sous l’autorité du Garde des Sceaux. On remarquera que la ministre n’entend pas revenir sur ce lien de dépendance, malgré les condamnations régulières de la Cour européenne des droits de l’homme, malgré l’engagement n°53 du candidat François Hollande et nonobstant la réforme très marginale du CSM en cours. La ministre semble s’accommoder fort bien d’un système qu’elle dénonçait il y a peu comme liberticide et qu’elle promettait d’abroger ! Attitude adoptée en fait dans le but explicite de discréditer, par une sorte de démonstration par l’absurde – ou de cynisme ?- « les courtes peines de prison » qu’elle veut, on le sait, remettre en question.
La vraie question qui, espère-t-on, sera posée par la presse ou par l’opposition, devient donc, bel et bien politique : les opposants au mariage gay font-ils l’objet de mesures d’exception ? On a recensé, semble-t-il, près de 1000 gardes à vue décidées au seul motif que les personnes manifestaient, arboraient des signes de « la manif pour tous » ou en portaient le tee-shirt. Peut-on confirmer cette information ? Le caractère liberticide pris par la gestion du maintien de l’ordre face aux manifestations de ces opposants à un projet de loi, puis à une loi, n’est rien moins que préoccupant.
Le silence, presque complet et inhabituel qui accompagne cette dérive rend la situation proprement inquiétante. Assiste-t-on, en France, au retour du délit d’opinion ? La mise en garde très claire du Conseil de l’Europe au sujet de l’attitude des pouvoirs publics dans leur gestion de la contestation du mariage gay constitue un signal sérieux. Que se passe-t-il dans la « patrie des droits de l’homme » ?
Christophe de Voogd, responsable du blog « TropLibre » de la Fondation pour l’innovation politique.
Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (www.fondapol.org).
Tribune également publié dans « Le Figaro » du 6-7 juillet
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