L’Alternative für Deutschland : entre conflits internes et montée en puissance avant l’échéance électorale de 2017

Pierre-Adrien Hanania | 27 janvier 2016

afd allemagneL’Alternative für Deutschland : entre conflits internes et montée en puissance avant l’échéance électorale de 2017

Par Pierre-Adrien Hanania en partenariat avec l’Association du Master Affaires Européennes de Sciences Po

Des « crétins » et des  « pyromanes intellectuels » : c’est respectivement avec ces mots que le ministre de l’économie Wolfgang Schäuble (CDU) et le ministre des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (SPD) abordent le sujet de l’Alternative für Deutschland, parti populiste créé en 2013 et dont l’ascension est depuis constante.

La difficile et pourtant constante ascension de l’AfD

Si ces sorties font échos à la marginalisation de l’AfD par la scène politique allemande qui refuse de le percevoir comme un vis-à-vis crédible, le parti, lui, trace sa route depuis bientôt trois ans. En 2013, le défi fut celui de la création. À peine quelques mois avant l’élection générale, le parti y fit une entrée tonitruante dans le débat… mais échoua de peu (4,7%) et ne parvint pas à entrer au Bundestag.

En 2014 vint ensuite l’année de la consolidation de la ligne idéologique du parti. L’AfD cessa ainsi de ne se concentrer que sur les présupposés méfaits économiques de l’UE afin de couvrir toutes les thématiques. Comme jadis Le Parti des Verts et contrairement au Parti des Pirates, l’AfD aura de cette manière réussi à s’affirmer comme un potentiel parti de gouvernement, condition pour rester présent à long terme et sur tout le territoire allemand.

2015 aura été l’année d’affrontement interne bouleversant la hiérarchie au sein du parti : Bernd Lucke, créateur et co-leader du parti, annonce en janvier vouloir diriger le parti seul – un plan auquel s’oppose l’autre dirigeante Frauke Petry. Ce sera le début d’un combat qui connaîtra une issue en juillet avec le départ, tout simplement, de Lucke et de ses soutiens. Derrière la question de la direction se cachait une autre opposition entre les deux poids lourds de l’AfD : d’un côté Lucke, ex-professeur d’économie à l’Université d’Hambourg, dont les arguments politiques s’axaient autour du système politico-économique ; et de l’autre Petry, dont la proximité avec Pegida et l’appui sur les thématiques identitaires et sécuritaires ne font aucun doute depuis longtemps. C’est finalement le contexte propice à la seconde qui aura eu raison du fondateur, dont le manque de leadership était sévèrement critiqué. Avec ses soutiens, Lucke a créé un nouveau parti nommé Alfa, la « renaissance d’une AfD » qui se serait perdue en chemin. Une alternative à l’alternative, destinée à mettre à terre l’AfD selon Hans-Olaf Henkel, membre d’Alfa et eurodéputé.

L’AfD s’est-elle tirée une balle dans le pied ?

Dans la lutte pour être le parti antisystème, l’avantage a très clairement tourné en faveur de l’AfD. Alors que l’on annonçait la perte de crédibilité et la chute du parti, le départ d’à peu près 10% des membres n’aura pas eu l’effet que les observateurs lui prêtaient. C’est finalement au parlement européen que l’AfD aura fait face à la conséquence la plus néfaste de ces affrontements internes, avec la perte de 5 de ses 7 euro-députés, ces derniers ayant emboîté le pas à Bernd Lucke.

Si la balance penche du côté de l’AfD, c’est aussi parce que l’électorat promis au parti n’a pas suivi Lucke dans sa démarche. Il ne s’agit pourtant là aucunement d’une surprise car il était devenu depuis longtemps apparent que le profil politique du créateur de l’AfD ne correspondait plus à la base électorale qui alimente le parti. Au final, Lucke n’aura fait que mettre sur pied une plate-forme d’extrême-droite, bateau qu’il aura délaissé une fois qu’il en aura aperçu la dérive.

En effet, l’AfD, tout en maintenant le cap populiste, a connu avec cet épisode une droitisation couronnée par l’élection de Frauke Petry à sa tête. Délaissant quelque peu la thématique économique de la crise grecque, l’AfD se concentre aujourd’hui autour de la question des réfugiés et du pan identitaire de son discours. La catégorisation d’un autre, étranger au peuple et donc à en écarter, reste la raison de vivre du parti. Cet autre, qui met en danger l’homogénéité et la pérennité du peuple, n’est dans le schéma actuel plus le grec vidant les caisses de l’État allemand mais plutôt le réfugié, potentiel terroriste, dont l’arrivée met en péril l’essence de l’identité allemande.

Ce développement s’inscrit d’ailleurs dans la logique d’un rapprochement effectué par l’AfD et Pegida. Alors que Lucke condamnait sans équivoque le mouvement social, Petry a elle organisé des rencontres avec des responsables de Pegida, tout en excluant toutefois une coopération. Le vice-président du parti, Alexander Gauland, assume pour sa part participer à une « promenade » du mouvement et voyait en octobre en ses participants des « alliés naturels » de l’AfD.

2016 – des succès en régions avant l’échéance de 2017 ?

Après l’année des turbulences vient donc 2016, période de rodage électoral avant la grande échéance que l’Allemagne connaîtra en 2017 avec l’élection générale, à l’issue d’un troisième mandat consécutif d’Angela Merkel.

Loin des prophéties concernant l’implosion prévue de l’AfD à la suite de l’année passée, les sondages placent au contraire le parti populiste en très bonne position. Selon le sondage ZDF de janvier, l’AfD bénéficierait ainsi de 11% des voix, soit +2 par rapport à décembre et +8 par rapport à août 2015 : l’AfD a bel et bien survécu à l’épreuve de feu que fut 2015. Avec ce sondage, le parti se place même en troisième position nationale, derrière la CDU et la SPD mais devant Die Grünen et Die Linke.

En attendant l’élection nationale, plusieurs scrutins régionaux attendent l’AfD cette année, à commencer par trois régions dans deux mois. Car si l’AfD a le vent en poupe dans les sondages, tout reste encore à faire. Ainsi, le parti n’a participé qu’à 6 élections régionales et ne dispose actuellement que de 41 parlementaires régionaux, sur 1857. La seule élection où le parti n’a pas obtenu de députés remonte à 2013, les autres scrutins s’étant soldés par des scores entre 5,5% à Brême et 12,2% en Brandebourg. Il y aura cette année quatre autres scrutins régionaux qui devraient donner le ton quant à la présence à long terme de l’AfD sur la scène politique allemande. L’élection de Sachsen-Anhalt, notamment, sera particulièrement suivie. Dans cette région ou le parti néo-nazi de la NPD faisait 4,6% lors du dernier scrutin en 2011, l’AfD est créditée de 15% dans les sondages.

Il apparaît donc assez difficile d’imaginer l’ascension du parti populiste être freinée en 2016 tant le timing et le contexte européen se prêtent à un climat anxiogène favorisant la montée d’un tel discours, alors qu’Alfa ne semble pas en mesure de jouer les trouble-fêtes, sa ligne politique s’étant trop rapprochée de franges d’ores et déjà présentes au sein de la CDU. De même, il suffit à l’AfD de dépasser à chaque élection la haie des 5% afin de rentrer dans les parlements régionaux respectifs, ce qui constituerait à chaque fois une première. Comme tout parti populiste, l’AfD n’a nul besoin d’une victoire électorale pour croître et se nourrit même au contraire de défaites, amplifiant par là même sa nature antisystème qui fait recette.

Le débat social en Allemagne, frein ou catalyseur pour l’émergence du populisme ?

Toutefois, l’AfD ne semble pas non plus être en mesure de venir bouleverser l’équilibre politique allemand comme le FN y parvient aujourd’hui en France. La différence capitale réside dans le fait que même après trois mandats consécutifs, Angela Merkel n’est que peu atteinte par l’usure du pouvoir, tandis que son leadership est relativement incontesté, faisant ainsi défaut au schéma populiste qui prospère dans un environnement où le leadership est à reprendre.

Un autre vecteur d’analyse quant à la nécessaire précaution à prendre au moment d’analyser les chances de l’AfD est le lourd passé allemand. À chaque nouvelle apparition d’un parti d’extrême droite, les démons du passé resurgissent et ainsi le souvenir national socialiste allemand est rapidement mentionné. Cette attention particulière va jusqu’à étudier la sémantique utilisée par les membres de l’AfD : ainsi naquit une polémique lorsqu’Alexander Gauland utilisa le terme Volkskörper dans un discours début janvier défendant les actions récentes du gouvernement polonais. Le mot fut en effet outrancièrement conceptualisé durant la période nazie, notamment dans le Mein Kampf d’Adolf Hitler et n’est plus utilisé dans le discours politique depuis.

Cette sensibilité spécifique au contexte allemand va main dans la main avec une situation actuelle qui met le gouvernement allemand face à l’énorme défi de gérer la crise des refugiés. Alors que plusieurs foyers de réfugiés ont été incendiés durant l’année 2015, les incidents de Cologne au Nouvel-An viennent s’ajouter à un climat extrêmement tendu. La scène politique allemande peine à répondre à ce chaos et l’éclosion de l’AfD s’inscrit elle-même finalement dans le cadre d’un bouillonnement populaire que ses créateurs ne contrôlent pas eux-mêmes. La trajectoire de Bernd Lucke en est l’exemple même, et il est intéressant d’analyser l’évolution quasiment parallèle au sein du mouvement Pegida en 2015 : Kathrin Örtel, alors co-dirigeante du mouvement, quitte le mouvement en janvier et s’excusera, en avril, auprès de « tous les immigrés et particulièrement les musulmans » pour la campagne de dénigrement à laquelle elle avait contribué au sein d’un mouvement à la dérive.

Örtel tout comme Lucke se sont tous deux exfiltrés d’un bâtiment en flammes lorsqu’ils ont reconnu le danger qu’il représentait. L’ex-chef de l’AfD, dans un interview d’août 2015, qualifiait le parti populiste de « zombie ». C’est bien là aussi la marque d’un irresponsable politique et des monstres qu’il enfante avant de les laisser en roue libre et à l’abandon dans un environnement qui n’en avait pas besoin.

crédit photo : dtom.fr

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