L’Asie centrale, « milieu des empires »
Fondapol | 30 septembre 2014
institut Jean Lecanuet présente sa prochaine conférence du 16 octobre :
« Asie centrale, une région stratégique d’avenir ? »
«Tantôt le pays, en proie aux dissensions, s’affaisse sur lui-même […], tantôt une vague mystique, née dans le creux de ses déserts, fond ensemble toutes les passions, pour faire un moment du Farghestan une torche aux mains d’un conquérant ambitieux. » (Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes)
L’Asie centrale nous intrigue, nous interroge et nous interpelle, à mi-chemin entre le mythique « Farghestan » sortie de l’imagination romanesque de Julien Gracq dans son inoubliable Rivage des Syrtes, et l’énoncé plus ou moins imprononçable des noms des nouveaux Etats, nés en 1991 des « républiques musulmanes » de l’ex-URSS, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan… Une Asie centrale dont ni les géographes ni les historiens ou les politologues ne donnent la même définition…
L’institut Jean Lecanuet propose précisément, le jeudi 16 octobre, au Sénat, de débattre de ce vaste espace sous l’intitulé : « L’Asie centrale, une région stratégique d’avenir ? » En vérité, le point d’interrogation, placé au terme de ce titre, n’est-il pas superfétatoire, tant cet avenir est assuré ? Tout, en effet, se conjugue pour faire de l’Asie centrale un espace géopolitique de première importance au cours des prochaines décennies : sa situation géographique entre, au nord, le monde russe, à l’est, le monde chinois, au sud, l’Iran et le Moyen-Orient (et une Europe qui s’en rapproche), ses ressources énergétiques et naturelles, son immensité. Sans oublier le trait d’union culturel que représente l’Asie centrale entre l’islam, la pensée occidentale et l’Extrême-Orient… Et, à bien des égards, cet avenir est déjà un présent comme l’illustrent les sollicitations multiples dont font l’objet ces nouveaux Etats par tous les grands de ce monde.
La question posée à l’Asie centrale ne semble pas tant celle de son avenir stratégique, fait acquis, que celle de la forme que cet avenir prendra et notamment de la capacité de ces pays à exister comme acteurs souverains et maîtres de leur destin : le futur de l’Asie centrale sera-t-il maîtrisé par ses populations elles-mêmes ou, au contraire, dicté, voire préempté, par d’autres puissances ? Sera-t-il marqué par la cohésion et la solidarité des peuples ou, au contraire, par leur division ? Reposera-t-il sur des gouvernances de plus en plus démocratiques ou, au contraire, sur les gouvernances coutumières d’aujourd’hui ? Ces questions sont sérieuses car, d’un certain côté, l’histoire parle pour l’avenir.
Dans les années 1960/1970, on parlait de l’Asie centrale comme du « milieu des empires », tant son histoire a été marquée par les conquêtes et les invasions successives des grandes civilisations voisines : Perses, Grecs, Turcs, Arabes, Russes (et Soviétiques). Même la grande Amérique s’en est approchée prenant ses quartiers dans l’Afghanistan voisin. L’Asie centrale est une frontière du xxie siècle, mais le sera-t-elle au bénéfice de ses habitants ? La force des identités nationales sera l’une des clés de l’appropriation de leur destin par ces cinq États ; or, elle n’est pas écrite. Les résistances d’une russophonie exacerbée ici, un islam qui pourrait se radicaliser ailleurs sont quelques-unes des multiples inconnues. Comment se réaliseront les transitions avec les dirigeants, les fonctionnaires et les réflexes hérités du bloc soviétique ? Quels rôles pourront ou voudront jouer l’Amérique et l’Union européenne ? Et la Chine dont le président revient justement d’une tournée en Asie centrale ? Face à ces pressions, pas toutes si amicales, et ces manifestations empressées d’intérêt, l’union de ces cinq Etats pourrait-elle en faire la force ? On peut en douter aussi car leur histoire récente est davantage jonchée de conflits frontaliers, ethniques ou économiques que de coopérations fraternelles.
Méconnue, l’Asie centrale est aussi souvent dénigrée. Cette conférence vient donc à point nommé pour dissiper quelques idées reçues ou, plus exactement, permettre d’évaluer en meilleure connaissance de cause. Il est vrai aussi que l’objet étudié est hautement complexe. Beaucoup de spécialistes de cet espace le soulignent, l’Asie centrale s’est construite, et est toujours marquée, par un mélange de nomadisme et de sédentarité qui a produit des gouvernances et des modes de relations sociales si étrangers à nos canons habituels, si éloignés de notre civilisation. C’est aussi cela qui rend cet avenir à la fois si certain et si imprédictible. S’ajoute l’extrême hétérogénéité des Républiques qui la composent. Leurs noms se terminent tous en stan (qui signifie « lieu, endroit » dans les anciennes langues indo-européennes), mais cette phonie uniforme ne serait-elle pas, en définitive, une sorte de piège destiné à éloigner et à faire renoncer l’observateur qui ne voudrait porter qu’un regard superficiel à cette région. Celui qui, au contraire, consent à s’immerger dans cet espace de steppes et de montagnes s’aperçoit vite que l’Asie centrale n’est, en réalité, que différence et diversité : ethnique, religieuse, économique, démographique et culturelle. Quoi de commun, par exemple, entre les Tadjiks persanophones et les Ouzbeks turcophones ? Quoi de commun entre les 30 millions d’habitants du puissant Ouzbékistan et les 5 millions du petit Tadjikistan ? Quoi de commun entre le nord du Kirghizistan, à majorité russophone et industriel, et le sud, traditionnel et pauvre ? Dès lors, peut-on encore parler d’Asie centrale comme s’il s’agissait d’un ensemble cohérent ? C’est l’une des questions, et non des moindres, à laquelle devront répondre les intervenants de cette conférence. Pour notre part, nous considérons cette diversité et ce métissage comme une forme d’identité et même comme une possible force.
Crédit photo : Dieter Zirnig
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