L’Asie du Sud-Est en quête d’identité collective

Fondapol | 24 mars 2015

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Par François Pravongviengkham 

Entre les hégémonies chinoises et indiennes, l’Asie du Sud-Est recouvre peu à peu son rôle millénaire de médiateur et de passeur, au cœur d’une mondialisation de plus en plus centrée sur l’Asie. Cet espace pétri d’imaginaires, d’opportunités et d’impossibles, appréhendé durant plus d’un siècle par le genre littéraire et les récits prolifiques de Jean Hougron et Marguerite Duras, s’est aujourd’hui normalisé en se soumettant aux forces de la mondialisation. Cette région[1]représente aujourd’hui un territoire d’environ 600 millions d’habitants et s’affiche comme une puissance économique en devenir au PIB nominal de 2310 milliards de dollars[2].

Un panaché de civilisations

L’Asie du Sud-Est est une mosaïque de civilisations, dotée d’une myriade de langues, d’écritures, et d’ethnies. Carrefour migratoire et religieux – Bouddhisme, Islam, Christianisme, Hindouisme –, le sous-continent asiatique étonne par son éclectisme et sa diversité culturelle. C’est un ensemble hétérogène, malgré une trame historique commune.

L’hétérogénéité de la zone prend racine dans sa géographie. La région se subdivise en deux sous-ensembles identifiables. Un bloc continental qui absorbe l’Indochine dans son acception large[3], et un ensemble « insulaire » composé des archipels philippins et indonésiens, auxquels s’ajoutent la Malaisie et le Timor.

L’histoire ensuite différencie les pays d’Asie du Sud-Est. Le bloc continental, précédemment identifié a vécu sous domination culturelle chinoise et s’est montré peu perméable à la culture indienne. La Chine a imposé par sa culture mandarinale, son mode de pensée et ses valeurs à ce sous-ensemble. A contrario, la culture indienne a irrigué en profondeur les mondes malais et indonésiens. Ce morcellement et ses divisions qui travaillent l’Asie du Sud-Est, n’offrent pas un terreau propice à l’émergence d’un bloc unifié et monolithique. C’est paradoxalement la période coloniale – française, britannique et néerlandaise – qui a permis la naissance d’un ersatz de sentiment d’appartenance.

Ayant récemment conquis leur indépendance, les pays d’Asie du Sud-Est n’ont pour volonté, que de la chérir et la préserver. L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN)[4] naît alors même que la plupart de ses membres fondateurs sort de siècles de domination extérieure. Il s’agit pour ces jeunes Etats-Nations, de ne brader pour rien au monde leurs prérogatives nationales. Tandis qu’en Europe, il y a désir de restreindre ou mutualiser les souverainetés, le processus régional de l’ASEAN tend lui, à cristalliser et affermir un système westphalien[5], où la souveraineté nouvellement acquise est préservée et intangible.

La stabilité de la zone à l’épreuve d’une société civile en gestation

Le développement d’une Asie économiquement plus dynamique a un impact majeur sur la modernisation des sociétés. Les villes du sud-est asiatique croissent à un rythme sans précédent.[6]Ces bouleversements font naître de nouveaux défis pour les pays de la zone.

Il s’agit, d’abord, d’articuler urbanisation échevelée d’un côté, prospérité et viabilité écologique de l’autre. Une attention particulière des pays doit être portée à l’éducation. Le sous-investissement dans le capital humain est frappant[7]. Un chômage structurel de la jeunesse, conjugué à une pauvreté chronique et au maintien d’inégalités socio-économiques fait le lit d’une phase de haute instabilité dans la région.

In fine, la principale gageure en Asie du Sud-Est, c’est l’adaptation de vieux régimes sclérosés, aux velléités émancipatrices de sociétés civiles qui se dessinent. Les succès économiques et l’amélioration de la santé a fait naître chez les populations urbaines – reliées aux autres mégalopoles globalisées par internet – une conscience sociale et politique.

Conjuguer stabilité et affermissement démocratique en Asie du Sud-Est : le défi de l’ASEAN

Les malversations politiques et la corruption gangrènent et corrodent les processus de transition démocratique en Asie. Dans ce contexte imprévisible et volatile, il n’est pas surprenant que les printemps arabes aient suscité beaucoup d’inquiétude au sein des gouvernements en place. Comment ces régimes peuvent-ils absorber cette demande accrue de libertés politiques, tout en évitant un chaos social généralisé ? Quel rôle pour l’ASEAN ?

En 2008, l’association adopte une Charte, qui marque la relance de l’intégration régionale. Elle consacre la primauté du droit, la bonne gouvernance et le respect fondamental des libertés. Si ces droits sont formellement garantis, l’absence de mécanismes de protection et de sanctions les rend concrètement illusoires.

L’expérience européenne a montré qu’un mécanisme contraignant de protection des Droits de l’Homme constitue un instrument efficace d’intégration et de légitimité. Les citoyens perçoivent ainsi la réalité et les bénéfices tangibles du processus régional. Une réalisation de ce type renforcerait à la fois, la légitimité de l’ASEAN aux yeux des populations, tout en posant les jalons d’une identité régionale commune.

Les pays du sud-est asiatique ont pris conscience que la croissance économique seule, ne pouvait produire de stabilité et d’harmonie. L’expertise européenne – empreinte d’humilité – sur cette thématique pourrait favoriser des transitions politiques calmes et viables, vers des régimes plus respectueux des libertés publiques.

Crédit photo : Kevin Hale

[1] Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viêt Nam, Laos, Birmanie, Cambodge

[2] Le PIB de l’ASEAN poursuit sa croissance, Vietnam Plus, 22 octobre 2013 : http://fr.vietnamplus.vn/Home/Le-PIB-de-lASEAN-poursuit-sa-croissance/201310/35715.vnplus

[3] Les anciennes colonies françaises, l’ancien Siam et la Birmanie

[4] L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEAN) est une organisation politique, économique et culturelle regroupant dix pays d’Asie du Sud-Est. Elle a été fondée en 1967 à Bangkok (Thaïlande) par cinq pays dans le contexte de la guerre froide pour faire barrage aux mouvements communistes.

[5] La paix de Westphalie (1648) et le système « westphalien » qui en découla introduisirent les concepts directeurs des relations internationales modernes : l’équilibre des puissances, l’inviolabilité de la souveraineté nationale et le principe de non-ingérence dans les affaires d’autrui.

[6] En 2010, 250 millions de personnes (soit 41, 8%) vivaient dans les zones urbaines, un chiffre qui est fixé à 50% d’ici 2025 : Sophie Boisseau du Rocher ? “The EU’s strategic offensive with ASEAN: Some room left but no time…” , 2014

[7]  Education in Southeast Asia; investments, achievements and returns in preparation for Routledge Handbook of Southeast Asian Economics, July 2013. See also Lorraine Pe Symaco ed. Education in Southeast Asia, London, Bloomsbury Publishing, 2013

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