L’avenir incertain du gaz de schiste en Europe

04 novembre 2013

4.11.2013L’avenir incertain du gaz de schiste en Europe

L’exploitation massive de gaz de schiste a démarré dans les années 2000 avec l’avènement de nouvelles techniques d’extraction et la montée des prix des hydrocarbures. Aux Etats-Unis, de nombreux investissements ont été réalisés afin de financer les quelques 200,000 puits du pays. Le résultat fut spectaculaire pour l’économie américaine : les ressources en gaz naturel ont constitué plus du quart de l’énergie primaire consommée en 2011, ont créé 600,000 emplois en 2010 selon IHS Global Insight (plus de 900,000 prévus en 2015) et ont généré 75 milliards de dollars en recettes fiscales. A ce rythme, l’indépendance énergétique d’ici 2020 est un scénario plausible pour les Américains.

Ces bénéfices ne sont pas passés inaperçus en Europe, en temps de crise économique et de dépendance énergétique croissante, notamment envers la Russie. Cependant, le contexte n’est pas la même sur le Vieux Continent, comme le soulignent certains analystes, où les facteurs techniques, politiques et économiques brident les espoirs d’une énergie moins chère et plus accessible.

Des enjeux géopolitiques

Alors que les ressources en gaz conventionnel se concentrent dans quelques régions du monde, telles que la Russie ou l’Amérique du Nord, les réserves en gaz de schiste sont plus diffuses à travers l’Amérique, l’Asie et l’Europe, même si la Chine, l’Argentine, l’Algérie et les Etats-Unis se taillent la plus belle part du gâteau. Une étude récente de l’Agence de l’Information Énergétique aux Etats-Unis estime que les réserves non-prouvées s’élèvent à 7 299 mille milliard de pieds cubiques (32% des réserves totales de gaz naturel)[1]. A titre de comparaison, la consommation mondiale annuelle de gaz était de 113 000 milliards de pieds cubiques en 2010[2]. Pour ce qui est de l’Europe, une étude de l’IHS Cambridge Energy Research Associates, qui conseille l’industrie pétrolière, a estimé en 2011 que ses réserves non-conventionnelles de gaz atteignaient 6 155 mille milliards de pieds cubiques[3].

En parallèle, la production de gaz naturel a décliné de plus de 25% dans l’Union Européenne entre 1999 et 2009, passant de 226 à 171 milliards de mètres cubiques. C’est le cas en particulier pour les sites maritimes britanniques alors que la Norvège (hors de l’UE) a doublé sa production durant la même période. Le vrai problème que soulève cette tendance est la dépendance croissante envers les sources extérieures, à commencer par la Russie. En 2010, l’Europe des 27 a importé 62,4% de sa consommation énergétique, dont 30,1% de provenance russe[4]. Comme l’a déjà prouvé la Russie avec l’Ukraine, elle maîtrise l’art d’utiliser ses ressources gazières comme arme politique puissante. Dans un tel contexte, l’exploitation de sources énergétiques alternatives, telles que celle de schiste, serait plus que bienvenue en Europe et ce n’est certainement pas une surprise si la Pologne (qui disposent des réserves les plus vastes en Europe avec la France) fut l’un des premiers pays à octroyer des permis d’exploration.

Des craintes pour l’environnement

La question est délicate en Europe. Même si le gaz naturel est une énergie fossile, elle est « plus propre » à consommer que le charbon ou le pétrole et offre un compromis certain entre ressources énergétiques et conservation de l’environnement. Mais contrairement au gaz conventionnel, le gaz de schiste est plus difficile à extraire. L’exploitation par fracturation hydraulique requiert de forer verticalement jusqu’à la couche de schiste, en général à plus d’un kilomètre sous terre, puis de forer horizontalement sur un kilomètre ou plus. Afin de récupérer les dépôts de gaz, l’on injecte de l’eau, du sable et des éléments chimiques à haute pression sous terre, qui génère des fractures dans le schiste, que les grains de sable dans l’eau maintiennent ouvertes alors que les éléments chimiques stimulent l’extraction du gaz de la roche, jusqu’à sa remontée à la surface.

C’est justement cette technique d’extraction qui est pointée du doigt, plutôt que le gaz de schiste même. Alors que cette ressource est relativement « propre », la fracturation hydraulique peut polluer les nappes phréatiques et relâcher du méthane, un gaz à effet de serre plus nocif que le CO2. Bien que ces risques soient bien connus aux Etats-Unis, ils semblent avoir suscité plus de rejet en Europe (dans le sud de l’Angleterre et en France en particulier), où les débats sont très polarisés entre les défenseurs de l’industrie gazière et militants écologistes.

Controverse politique

En France, c’est un véritable tabou[5]. Le Conseil Constitutionnel a récemment confirmé le bannissement de la fracturation hydraulique en France voté en 2011, alors que la Bulgarie et la République tchèque ont également avancé dans cette direction[6]. Le mois dernier, le Parlement européen s’est penché sur la question et a approuvé une loi imposant des études d’impact avant tout forage exploratoire, ce qui a été dénoncé par les industriels comme une règle « lourde et complexe » pour le début des recherches exploratoires[7].

Derrière cette loi pourrait également se dessiner la protection des énergies renouvelables, par crainte qu’une énergie moins chère réduise leurs investissements : « Si le gaz de schiste en venait à devenir aussi peu cher qu’aux Etats-Unis, nous aurions un problème. Nous sommes de fervents défenseurs des renouvelables. Il est très important que nous continuions à investir dans ces technologies » a ainsi rapporté récemment Jos Delbeke, directeur général de la commission action-climat[8].

Des obstacles économiques

En plus de ce contexte politique, les analystes ne manquent pas de souligner les différences significatives en Europe qui limitent l’importation du modèle américain. En premier lieu, les réserves estimées par l’Agence de l’Information Energétique ne reflètent pas le potentiel de production. Les structures géologiques sont plus complexes et à ce jour, aucune étude européenne sérieuse n’a déterminé la quantité de gaz qui pourrait être recouverte. Même si l’on atteignait une moyenne de 10% de taux de recouvrement, scénario optimiste, sa production durerait 25 ans et ne couvrirait que 5% de la consommation énergétique européenne actuelle[9].

Contrairement aux Etats-Unis, la population européenne est plus dense, ce qui limite géographiquement les sites de forage potentiels. De même, le contexte juridique est plus favorable chez l’Oncle Sam où les riverains sont les propriétaires légaux de leurs sous-sols et sont donc incités financièrement à céder leur exploitation. En Europe, ces dispositions ne sont en vigueur et les réserves appartiennent à l’Etat.

Enfin, les analystes soulignent que l’industrie pétrolière et gazière n’est pas aussi développée en Europe qu’en Amérique. Par conséquent, le Vieux Continent n’a pas le même savoir-faire et ne dispose pas des mêmes infrastructures pour extraire le gaz de schiste de manière efficiente. Au total, tous ces facteurs se traduisent par des coûts de production plus élevés qui ne peuvent être couverts par les cours actuels du gaz.

En dépit de ces incertitudes, il est regrettable que le débat politique en France et en Europe campe sur des positions réactionnaires et n’approfondisse pas la question au-delà des désinformations[10]. Car si le potentiel n’est pas le même qu’aux Etats-Unis, l’Europe dispose tout de même de vastes réserves. En ces temps de marasme économique, se priver de l’aubaine de schiste, ou à tout le moins de recherches exploratoires pour en mesurer la faisabilité, est incompréhensible.

Jonathan Pinet
Crédit photo: Flickr: Pixelicus


Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.