Le christianisme est-il antilibéral ?

Fondapol | 07 juillet 2012

3782246033_0070d3c4ec_bJean-Pierre Denis, Pourquoi le christianisme fait scandale : éloge d’une contre-culture, Points Essais, Seuil, juin 2012, 352 pages, 8,5 euros

Dans Pourquoi le christianisme fait scandale, paru en 2010 et réédité récemment chez Seuil, Jean-Pierre Denis s’interroge sur la place du christianisme dans la société actuelle.  Au-delà des évidences – baisse de la pratique, absence relative des chrétiens dans le débat public – le directeur de La Vie tente d’expliquer pourquoi, en quoi la culture chrétienne devient périphérique, marginale. Il aboutit à la conclusion qu’en raison-même de cette marginalité, la religion du Christ est devenue subversive. Selon lui, le modèle « libéral », aujourd’hui dominant, est à l’opposé de toutes les valeurs du christianisme. On regrettera que l’auteur, dans son questionnement sur le christianisme en tant que vecteur de sens pour la société, associe, dans une confusion regrettable, libéralisme, libertarianisme, consumérisme, affaiblissant par là même son propos.

Le christianisme, nouvelle contre-culture

L’ouvrage s’ouvre sur une réflexion stimulante concernant les valeurs. Loin d’êtres des essences idéales, statiques et désincarnées, elles évolueraient  dans une dialectique incessante avec la société, qu’elles contribuent aussi à modeler. Aux yeux de l’auteur, ces valeurs n’ont pas le même statut selon qu’elles sont dominantes, centrales, ou sont marginales et se situent en périphérie culturelle. Dans ce cas, elles peuvent être dites « contre-culturelles » : elles procèdent d’une culture propre à un groupe d’individus développant une opposition consciente à ce qu’ils estiment être la culture dominante. Cette contre-culture n’est pas un dérivé de la culture dominante mais constitue une culture autonome qui présente des points d’achoppement, de friction et même d’opposition avec les schémas majoritaires.

Renversement des valeurs

En partant de ce cadre interprétatif de notre vie culturel, Jean-Pierre Denis étudie l’évolution de la  place du christianisme et de la contre-culture depuis le grand bouleversement des années des années 1960 et 1970, dates à partir desquelles les valeurs contre-culturelles s’imposent comme la norme même plaçant le christianisme dans une situation de marginalisation.

Mode et sexualité : de la libération à l’impératif

Deux exemples parlants sont cités pour illustrer ce renversement. Le premier est celui du dénudement des corps sous l’effet de la mode. Les minijupes, autrefois subversives sont désormais devenues banales.  La publicité qui vise les jeunes des années 1970 associent ce qui paraissait impudique à une libération.  « Leave unbuttoned » (« Vivez déboutonné ») clame la campagne Levi’s.

Rappelant le « jouir sans entrave » de Raoul Vaneigem, le slogan résonne comme un défi face à un ordre « collet-monté ». Cet ordre renversé, le slogan serait une injonction à dévoiler son corps toujours davantage. Le processus est le même en matière de sexualité : d’une libération sexuelle, on est passé, selon Jean-Pierre Denis, à un impératif de jouissance.

Jean-Pierre Denis montre ainsi avec une grande justesse que les messages subversifs de l’ancienne contre-culture sont désormais devenus dominants, au point d’être investi d’un caractère quasi-solennel. L’auteur voit dans le destin ironique de l’ancienne subversion devenue ordre établi « le succès d’un échec ».

Ce que peut le christianisme aujourd’hui

Après avoir dressé le constat de ce renversement des valeurs et de son échec relatif, l’auteur interroge l’évolution de position du christianisme, qui aurait selon lui suivi un chemin inverse. Bien plus qu’une antique croyance en voie de disparition ou reléguée dans une sphère de second rang, le christianisme est serait devenu la contre-culture majeure du vingt-et-unième siècle.

Pour Jean-Pierre Denis, c’est un juste retour au christianisme originelle, dont la nature est d’être subversif. Et l’auteur de rappeler Jésus chassant les marchands du temple (Jn 2, 13-22), ou les paroles du Christ disant : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. (Mt 10, 34-36).

Si Jésus n’a rien d’un guerrier, Jean-Pierre Denis rappelle néanmoins la radicalité de son message, son caractère révolutionnaire, édulcoré par les institutions ecclésiastiques pendant de longs siècles.  Selon le directeur de la Vie, cette radicalité est à même de répondre à l’épuisement actuel des valeurs.

 

Le libéralisme : voilà l’ennemi !

Au cours de sa réflexion sur le libéralisme, l’auteur en vient à se demander quel est actuellement son ennemi principal. Les totalitarismes, ayant déclaré forfait à la mort du communisme, le libéralisme serait devenu dominant. Jean-Pierre Denis s’engage alors dans une critique virulente du libéralisme, l’assimilant tour-à-tour au consumérisme le plus outrancier, au libertarianisme le plus exacerbé, à l’individualisme le plus total et allant jusqu’à affirmer qu’il offre une religion de substitution. Le parallèle filé tout au long de la réflexion, entre le libéralisme et Mammon, dieu de l’argent, est à cet égard exemplaire.

Double méprise

Pourtant les proximités entre libéralisme et christianisme existent.

Loin de faire la promotion d’une vie commune, la religion du Christ est avant tout une norme de salut personnel qui prend son sens dans la relation de chaque être humain avec son Créateur ainsi qu’avec ses « frères »[1]. En outre la parabole des talents (Mt 25, 14-30) rappelle que tous les hommes doivent s’accomplir, y compris en tant qu’entrepreneur[2]. Faire de l’économie de marché l’ennemi absolu du christianisme revient à nier une part profonde de son message.

Opposer libéralisme et christianisme revient par ailleurs à méconnaître l’existence des différens « niveaux de profondeur du libéralisme »[3]. Le progrès recherché par les libéraux et permis selon eux par le marché et la liberté individuelle, ne sont pas une fin en soi mais un moyen en vue de fins éthiques et eschatologiques supérieures. Si ce progrès est nécessaire, c’est pour « faire ce que Dieu nous commande, nourrir les pauvres, guérir les malades »[4]. Voir dans la main invisible un nouveau Dieu est donc une erreur regrettable, elle n’est qu’un instrument au service de fins supérieurs.

Il est ainsi dommage que la réflexion de Jean-Pierre Denis, pourtant stimulante verse dans la caricature. D’autre part, si le christianisme est subversif, que dire du libéralisme, dont le nom peut à peine être évoqué dans le débat public ?

Crédit photo: Flickr, Serlunar


[1] Mathieu Laine dir., « Christianisme », dans Dictionnaire de libéralisme, Paris, Larousse, 2012, p. 134.

[2] Ibid., p. 135.

[3] Philippe Nemo, La belle mort de l’athéisme moderne, Paris, Puf, 2011, p. 101.

[4] Ibid.

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