Le libéralisme face à ses ennemis contemporains

12 mars 2012

Jacques Rollet, Le Libéralisme et ses ennemis. Hayek, Schmitt, Badiou et… les autres, avec une préface de Jean-Louis Bourlanges, Paris, Desclée de Brouwer, 2012,  174 p.

Docteur en philosophie et en théologie, Jacques Rollet publie un petit livre salutaire sur le libéralisme et le rejet qu’il suscite en ses temps de crises financières et économiques. Comme le dit Jean-Louis Bourlanges dans sa lumineuse préface, « Jacques Rollet ne se contente pas de nous offrir une défense et illustration du libéralisme, un plaidoyer puisé aux meilleurs sources. Il s’avance aussi hardiment dans le camp d’en face, rompant en visière aux grands adversaires de la pensée libérale enfantés par un XXe siècle séduit par de toutes autres sirènes ».

Qu’est ce que le libéralisme ?

Jacques Rollet développe sa propre définition du libéralisme, dont il dégage cinq traits principaux. Ainsi, selon cette famille de pensée, l’ordre politique procède d’un contrat ; les droits des individus limitent le pouvoir de l’Etat ; la liberté des Modernes se distingue de celle des Anciens ; la tolérance doit régner dans la société et enfin, l’expression individuelle doit être défendue contre la puissance de l’opinion et du conformisme[1].

De Smith à Boudon en passant par Hayek

Parmi les classiques libéraux, l’ouvrage accorde une large place à la philosophie morale d’Adam Smith qu’il rapproche de celles d’auteurs contemporains, comme Raymond Boudon[2] et surtout Friedrich Hayek. A cet égard, les idées de l’économiste autrichien sont présentées avec finesse et originalité. Jacques Rollet permet de mieux comprendre la pensée de Hayek qui établit l’existence d’un ordre spontané autorégulé[3] et nous avertit contre les dérives totalitaires propres à l’Etat-providence. Selon Jacques Rollet, cette conception, si elle peut heurter, n’en demeure pas moins l’expression théorique du libéralisme la plus aboutie. La position de Hayek est celle à partir de laquelle toute discussion sur une possible rénovation du libéralisme doit être fondée.

Les racines schmittiennes de l’extrême-gauche antilibérale

Pour mieux comprendre la pensée des ennemis contemporains du libéralisme, l’ouvrage propose une analyse de leur source principale, à savoir les travaux théoriques de Carl Schmitt qui sacralise les instances politiques, en particulier l’Etat. Comme l’indique Jacques Rollet, pour Schmitt, « il s’agit de retrouver la souveraineté, c’est-à-dire la capacité de décider pour tous, les situations exceptionnelles étant ces moments clés où l’on retrouve le rôle de ce souverain qui a pris au fond la place de Dieu. Pour Schmitt, les catégories politiques et particulièrement celle de l’État sont une sécularisation de termes théologiques. Cela implique une reconnaissance de la place centrale de l’anthropologie dans l’analyse du vécu en société ». Selon Rollet, le juriste allemand est un adversaire résolu du libéralisme politique et institutionnel. En effet, sa pensée se fonde d’une part sur une critique virulente du parlementarisme, jugé faible et inapte à la décision, d’autre part sur la dénonciation du système représentatif conduit à retirer au peuple sa souveraineté.

Le libéralisme contre la sacralisation du politique

Aux yeux de l’auteur, Carl Schmitt est aujourd’hui devenu une référence incontournable pour certains intellectuels d’extrême-gauche. Parmi eux, on peut citer les figures d’Étienne Balibar ou encore Giorgio Agamben et sa trilogie Homo Sacer. Les travaux d’Alain Badiou ou de Slavoj Žižek peuvent également être éclairés par l’œuvre de Schmitt. Chez tous ces penseurs, on retrouve ainsi sa représentation de l’action humaine, selon laquelle la dimension politique a valeur absolue et apportera à l’humanité le salut définitif. Ce schéma correspond, selon Rollet, à une version sécularisée judéo-chrétienne. Si la critique de chacun de ces auteurs est un peu rapide, elle a le mérite de montrer, qu’il partage la même vision éminemment prophétique de la politique.

Un libéralisme de valeurs

Dans une démarche plus personnelle, l’auteur développe une conception très précise du droit naturel. C’est justement par méconnaissance ou aveuglement délibéré de ce droit naturel que les politiques en viennent à formuler une certains nombres de jugements erronées sur les questions d’éthiques. Selon Rosset, certaines pratiques autorisées, tels le diagnostic préimplantatoire, les manipulations génétiques ne sont pas, selon lui, dans l’ordre  des choses. L’auteur se fait critique à l’égard d’un libéralisme culturel qu’il juge d’autant plus inconséquent qu’il est couplé à une critique du libéralisme économique et/ou politique. C’est d’ailleurs l’occasion pour Jacques Rollet de revenir sur une critique qu’il avait précédemment formulé à propos des dangers du relativisme[4]. En définitive, il prétend que le libéralisme est à l’inverse de la licence des comportements, au simple « il est interdit d’interdire ».

Le grand mérite de l’ouvrage est d’intégrer les évolutions contemporaines à la réflexion sur le libéralisme. L’auteur confronte ainsi ses propres vues à l’actualité sociale. On lira à ce propos l’analyse de la crise des subprimes. En définitive, Rollet propose  un libéralisme actuel, intelligent, loin de tout dogmatisme.

Jean Senié


[1] Jacques Rollet, Le Libéralisme et ses ennemis. Hayek, Schmitt, Badiou et… les autres, avec une préface de Jean-Louis Bourlanges, Paris, Desclée de Brouwer, 2012, p. 20-29.

[2] http://www.trop-libre.fr/la-tradition-revisitee/adam-smith-et-le-spectateur-impartial-par-raymond-boudon

[3] Philippe Nemo, La société de droit selon F. A. Hayek, Paris, PUF, « Libre échange », 448p.

[4] Jacques Rollet, La tentation relativiste ou la démocratie en danger, Paris, Desclée de Brouwer, 2007.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.