Le mariage et la morale
Fondapol | 08 décembre 2014
Bertrand Russell, Le mariage et la morale, Édition Les belles lettres, 1929, 290 pages. 14,90 euros
Par Claire Poncet
En menant dans cet ouvrage une réflexion poussée et pluridisciplinaire sur la dialectique entre mariage et morale, Bertrand Russell – philosophe anglais et lauréat du prix Nobel de littérature en 1950 – dresse un portrait acide mais juste de la morale sexuelle de façon plus large. A l’aune de cette problématique surgit le rôle de la religion et de la socialisation primaire dans le rapport de chacun à la sexualité. Mélange d’analyse lucide et documentée sur l’évolution des regards moralistes sur le sexe, et de propositions concrètes, c’est ici une véritable réhabilitation de l’instinct sexuel qui est entreprise.
La morale sexuelle : éminemment culturelle
Le premier élément rappelé par l’auteur est le suivant: l’éthique sexuelle n’est ni intemporelle, ni universelle, mais découle de facteurs principalement culturels. L’hypothèse de départ est que la morale sexuelle doit viser à accroître le bonheur général, ou en tout cas ne pas le compromettre. Alors, l’évolution de la médecine par exemple, et a fortiori des méthodes de contraceptions ou encore d’hygiène et de prévention des maladies sexuellement transmissibles, entraîne dans son sillage un renouvellement de l’éthique sexuelle. Une sexualité laissant plus de place à l’assouvissement des instincts et la recherche du plaisir est par conséquent plus concevable dans une société médicalement avancée que dans les sociétés agricoles primitives, sous peine d’y voir alors les populations décimées par les épidémies.
Le concept mouvant de paternité & son rôle dans la l’éthique sexuelle contemporaine
Par le biais d’une approche comparatiste, et en invoquant l’étude des îles Trobriand par Malinowski, l’auteur montre que le concept de paternité n’existe pas en soi. En effet, ces indigènes méconnaissent le lien du sang unissant le père et l’enfant. Dès lors, le père voit en son fils ou sa fille l’enfant de la femme qu’il aime, et de là seulement surgit l’affection et la volonté de protection.
La conception actuelle de la paternité résulte donc de la découverte de la filiation, et a donné naissance aux sociétés dites patriarcales. Bertrand Russell nous dit « son sentiment – celui du père – pour l’enfant s’est fortifié par deux mobiles puissants : l’amour de l’autorité et le désir de résister à la mort ». Cette transition du stade matrilinéaire aux sociétés patriarcales emporte dans son sillage un nombre conséquent de mutations. Il convenait alors pour l’homme de s’assurer en effet que les enfants de sa femme soient, au demeurant, également les siens. Cela a donné naissance à un rapport de force homme – femme comme seul moyen de s’assurer de la vertu de la femme et de sa fidélité. Outre l’impossibilité de toute complicité entre les deux sexes, il convenait d’exclure les femmes du monde des affaires et du pouvoir, afin que celles-ci demeurent inoffensives. L’amour et la bienveillance entre les sexes, ainsi que l’émancipation féminine, furent sacrifiés sur l’autel de l’assurance de la légitimité des enfants.
Le poids de la religion : ascétisme et péché
Cet ouvrage aurait été bien lacunaire s’il ne s’était pas longuement penché sur le rôle joué par la religion dans les rapports contemporains des individus à la morale sexuelle. Une hypothèse étonnante, et même inédite pour le rédacteur de ce compte-rendu, est mise en lumière: la religion est pensée, et ses préceptes sont énoncés, par des hommes âgés. Or l’homme vieux a pour préoccupation de maintenir sa femme fidèle et qu’elle ne soit pas attirée et tentée par l’adultère avec d’autres hommes, plus jeunes. De là viendrait l’apologie de l’ascétisme et la condamnation des « pêchés de la chair ». On voit que la découverte de la filiation, cumulée au poids de la religion, ont concouru à la mise en concurrence de la morale et des instincts sexuels.
Si quelques thèmes de l’ouvrage ont été précédemment relevés, celui-ci en revêt de nombreux autres qui rendent sa lecture profondément enrichissante. On peut citer le chapitre 7 « Le tabou de la connaissance sexuelle » qui porte un regard acide sur la manière dont les parents éduquent leurs enfants sur les questions intimes, le chapitre 10 « La prostitution » ou encore le chapitre 17 « l’Eugénisme », mordant.
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