Le modèle social français au centre de la langueur économique

03 décembre 2013


3.12.2013Le modèle social français au centre de la langueur économique

Arnaud Robinet et Jacques Bichot, La mort de l’Etat providence, vive les assurances sociales, Manitoba / Les Belles Lettre, 2013, 176 pages, 19,50 €

L’Etat providence français, héritier du système bismarckien, du paternalisme industriel, du régime de Vichy[i] et du conseil national de la résistance se meurt. Cette agonie est lente, douloureuse et fort coûteuse : le « trou de la Sécu » semble s’étendre sans cesse, et les perspectives sont bien sombres…

Les effets pervers de l’Etat providence

Le tableau brossé est très noir, peut-être trop. Mais c’est sur ce terreau que les deux auteurs, un député UMP et un économiste de la protection sociale, développent leur thèse : le passage des assurances sociales à l’Etat providence est au cœur de l’abaissement de la croissance potentielle et effective des pays occidentaux et, en particulier, de la France. Cet Etat providence se distingue par une étatisation croissante de la protection sociale, et une fiscalisation toujours plus lourde des revenus.

Face à des branches de la Sécurité sociale qui fonctionnent en vases communicants, la déprédation des dépenses publiques se renforce et la complexité s’accentue. Pour se sortir de cette situation, ces deux auteurs proposent une vraie révolution de la protection sociale : redonner du sens à celle-ci en mettant en avant l’économie d’échanges. Ce travail intellectuel doit ainsi être salué car ils ne proposent pas de sempiternelles réformes paramétriques, qui sont autant de cautères sur des jambes de bois ; au contraire, les coauteurs pensent globalement, et dans la durée, la protection sociale adaptée à la France du XXIe siècle.

Du passage d’un modèle bismarckien à un modèle beveridgien

L’interventionnisme de l’Etat et son paternalisme, plus ou moins doux, ont poussé à une assimilation progressive des cotisations à l’impôt : l’étape ultime étant la création de la CSG que le Conseil constitutionnel même a assimilé à une « imposition de toute nature »[ii]. La protection sociale a donc basculé d’un modèle bismarckien d’échange de cotisations contre une couverture assurancielle à un modèle beveridgien de droits sociaux universels financés par l’impôt.

Ce changement a entraîné une prise en main néfaste de l’Etat sur la protection sociale. Les répercussions d’un tel transfert sont pourtant connues : électoralisme patent, hausse des demandes catégorielles, propension à une générosité naïve… Ces dérives aboutissent à une baisse du consentement à l’impôt due aux excès fiscaux : c’est un pilier fondamental d’une démocratie représentative mature qui se délite.

L’absence de contrepartie caractérise ces prélèvements obligatoires et brise le lien qui unit le payeur de la cotisation sociale et le destinataire de la couverture. Cette absence de contrepartie explique la multiplication des « faux droits »[iii] car, pour tenir les promesses de l’Etat providence, l’Etat a dû augmenter sensiblement la pression fiscale et s’endetter de façon continue, sans s’appuyer sur une production de richesse préalable.

Une seule solution : un retour à une économie d’échanges

L’échange est normalement bénéfique à toutes les parties prenantes, sauf contrainte, déséquilibre ou vice du consentement. L’échange, monétaire ou non, est le mode d’organisation sociale le plus efficace. L’indigestion de prélèvements obligatoires sans contrepartie résulte d’une absence prégnante d’échanges. Comme un leitmotiv consubstantiel à la pensée des hommes politiques, la redistribution est devenue l’alpha et l’oméga de tout programme social. Or, pour les auteurs, si l’assurance commerciale classique n’est pas la solution à tous les enjeux, le véritable échange social réside dans l’échange mutualiste, soit un échange plus complet, complexe et plus équitable.

Il est nécessaire de faire connaître le « vrai coût » de la protection sociale, coût de la couverture face aux risques de la vie. Les cotisations patronales ne sont que la survivance d’un passé suranné qui déforme la vision qu’ont les salariés du juste prix de la sécurité sociale. Cet établissement d’une « fiche de paie vérité » permettra l’apparition d’un vrai marché du travail : les salariés négocieront désormais leur salaire « complet » (c’est-à-dire « super brut »), comme les employeurs négocient un « coût du travail » complet. Le prélèvement s’effectuerait par prélèvement automatique afin que chacun d’entre nous ressente le coût de ces assurances sociales : in fine, payeur il y aura.

Changer son regard sur les retraites : réhabiliter le « théorème de Sauvy »

Point nodal de la construction intellectuelle des auteurs, et sûrement le plus intéressant : un renversement complet de la façon d’envisager les retraites. Sans entrer dans tous les détails techniques ou chiffrés, nécessaires au sérieux de l’argumentation mais parfois fastidieux, il est possibles de décomposer la réforme en deux temps.

Premièrement, Robinet et Bichot appellent à changer de façon radicale la manière de penser les retraites : à la manière de Sauvy qui insistait sur l’importance de la jeunesse dans la viabilité à terme du système d’assurance vieillesse, les points retraite devraient être accordés non parce qu’on a payé les pensions de retraités mais parce qu’on a soutenu la jeunesse. Tel un investissement dans le capital humain de la jeunesse (notion quantitative et qualitative), les pensions devraient découler des dividendes perçus sur ce placement. Le mythe des « droits acquis » façonne malheureusement un système des retraites proche d’un schéma de Ponzi, fait de promesses et de déceptions. Les retraites devraient cependant être attribuées en fonction de l’investissement dans la jeunesse (soins, éducation, allocation familiale…), représenté par une large cotisation simple mais couvrant tous ces besoins.

Dans un second temps, les auteurs définissent les modalités de distribution des retraites. Rejoignant en cela de nombreux économistes, ils proposent de fusionner tous les régimes de retraite en un unique régime légal, qui fonctionnerait par points. Cela permet d’équilibrer les comptes, de simplifier, de rendre plus transparent et plus équitable les retraites. Les auteurs précisent bien que l’existence d’un régime unique n’empêche pas une saine concurrence entre organismes qui fourniraient ces prestations. En outre, ces organismes géreraient la retraite complémentaire, évitant ainsi la redondance de certains coûts de gestion. Enfin, afin de diversifier les investissements, une dose de capitalisation devrait être introduite en sus de ce système.

C’est donc à une révolution intellectuelle qu’appellent les auteurs. Si elle est parfois discutable ou modérément convaincante, elle est pour le moins stimulante et instructrice. C’est grâce à de telles réflexions que la réforme de la protection sociale avancera vers plus d’efficacité et d’équité.

 

Louis Nayberg

Crédit Photo: Flickr: kosta le rougeouge



[i] La retraite par répartition naît ainsi par une loi de 1941.

[ii] Article 59 de la constitution.

[iii] Expression empruntée par les auteurs à Jacques Rueff, dans L’Ordre social (1945).

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