Le « national-communisme » est-il de retour?
Fondapol | 08 juillet 2011
De la précision avant toute chose ! Et pour cela citons André Gérin, député-maire de Vénissieux :
« Non, l’immigration n’est pas une chance pour la France. C’est un mensonge entretenu depuis 30 ans. Oui, c’est une chance pour le capitalisme financier, pour diviser, pour exploiter, pour généraliser l’insécurité sociale, exclure, ghettoïser […]. La gauche a épousé les thèses du grand patronat avec ce discours irresponsable qui viserait à régulariser tous les sans-papiers. Aujourd’hui, limiter y compris l’immigration irrégulière devient vital, face à une situation explosive dans des centaines de villes populaires. C’est la seule manière d’endiguer le FN ».
Cette déclaration d’un élu communiste « orthodoxe » pose plusieurs questions, qu’on abordera tout à tour.
André Gérin est-il raciste ?
« Raciste » figure au nombre de ces épithètes infamants dont la définition semble avoir été oubliée dès l’instant où ils sont passés dans le langage courant. Or, un livre récent sur les frontières du racisme invite au contraire à se méfier d’un « usage trop extensif [de ce mot] au point de qualifier de raciste toute attitude de rejet et d’en banaliser les effets[1] ».
En l’espèce, on ne trouve aucune trace chez André Gérin des « quatre composantes à la fois pérennes et fluctuantes » du racisme, à savoir « le préjugé de couleur », l’antisémitisme, le racisme colonial, postcolonial puis néocolonial ou « les stéréotypes ethniques et/ou culturels qui tendent à justifier le repli identitaire[2] ».
Pourquoi les propos du député comuniste ont-ils néanmoins choqué ses camarades de la place du colonel Fabien et, au-delà, la majorité de la gauche ?
Quand l’immigré n’est plus un frère mais une menace
Le malaise de la gauche tient à ce que le thème de l’immigration est entonné par André Gérin sur l’air de la « menace économique ».
Le maire communiste de Vénissieux sous-entend que le grand patronat -en d’autres temps, on aurait parlé des Cent familles ou de la Grande Banque– cherche depuis des années à peser en faveur d’une politique d’immigration plus « ouverte », qu’il a réussi à convertir les dirigeants de la gauche modérée à ses thèses, et que le « bon peuple » pâtirait d’une immigration trop peu régulée.
En bref, son raisonnement pourrait être résumé ainsi : trahison de l’élite économique, collusion des élites économiques et politiques, irreductibilité des divergences d’intérêts entre les élites et le peuple.
La théorie du complot n’est pas loin de cette lutte des classes repeinte aux couleurs de l’entre-soi, où l’immigré n’est plus un frère mais un concurrent, une menace, une arme utilisée par le patronat pour défaire un peu plus les acquis sociaux. Attention, fantasme !
Un clin d’œil à Bernard Stasi
L’affirmation qui, dans la déclaration d’André Gérin, fait polémique, est un clin d’œil (volontaire ?) au regretté Bernard Stasi.
En 1984, ce centriste de toujours, lui-même fils d’immigrés, publiait en effet un livre plein d’espoir sous ce titre : L’immigration est une chance pour la France. C’était un an à peine après les premiers succès électoraux du Front national, aux municipales de 1983. Un an aussi après « la marche des Beurs », soit la première tentative, pour les générations issues de l’immigration de travail, de se faire entendre en politique.
Certes, le taux de chômage avait alors franchi les 8% de la population active. Mais Bernard Stasi insistait dans son livre sur d’autres statistiques : notre pays n’enregistrait-il pas alors moins de 800.000 naissances par an, ce qui signifiait que le renouvellement des générations y était menacé et que la France avait besoin d’immigration ? L’élu centriste faisait en outre le pari que l’immigration représentait une chance pour la culture et pour l’économie française.
Les propos d’André Gérin ne sont pas sans précédents dans l’histoire du Parti communiste français
A l’époque où parut l’ouvrage de Bernard Stasi, c’est-à-dire au milieu des années 1980, le Parti communiste amorçait un aggiornamento sur la question de l’immigration.
Affolée par la progression du Parti socialiste à ses dépens, la place du Colonel Fabien avait en effet cru trouver, à la fin des années 1970, une martingale électorale dans un discours sans complaisance ni nuance sur l’immigration.
Cette position s’appuyait sur l’inquiétude sincère de maires de banlieues communistes, qui s’alarmaient de la constitution de ghettos dans leurs villes ou établissaient un lien indirect entre immigration et trafic de drogue[3]. Le désarroi de l’appareil communiste était en outre profond à cette époque, face à des populations qui, immigrées ou issues de l’immigration, ne se laissaient plus encadrer que difficilement par le réseau associatif et syndical du PCF.
Quand le Parti communiste avait un problème avec la différence…
En réalité, le Parti communiste avait, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, un problème avec la différence sans bien se l’avouer[4].
Ah, certes il soutenait les mouvements d’émancipation des peuples contre tous les colonialismes, réels ou fantasmés ! Mais incapable de penser la société autrement que par blocs et masses, il n’acceptait les identités individuelles (produits des différences culturelles ou des choix personnels) qu’avec réticence sur le sol national. Et espérait qu’elles finiraient par disparaître dans la grande centrifugeuse jacobine et républicaine.
En clair, les immigrés et leurs enfants avaient, selon la place du colonel Fabien, vocation à s’intégrer ou à quitter la France pour faire lever ailleurs le levain révolutionnaire.
Ce discours-là était (déjà !) tenu, au sein du Parti communiste, par les plus orthodoxes, Georges Marchais en tête. Ils prétendaient se faire ainsi l’écho du sentiment des « classes populaires ». Le PCF était-il pour autant raciste, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 ? Certes non. Mais son antiracisme était résolument assimilationniste. Et il s’accommodait fort bien d’embardées populistes pour le moins ambiguës.
Ces positions furent mal comprises d’une gauche modérée qui, Parti socialiste en tête, passait avec armes et bagages -et non sans calcul- du côté de l’antiracisme différentialiste et relativiste. En abandonnant au passage les symboles nationaux et jusqu’à l’idée même de patriotisme à une droite complexée et -surtout- à l’extrême-droite.
La gauche et les immigrés
En l’état, il est donc diffamatoire de qualifier André Gérin de raciste ou de faire de lui un nouveau Doriot, passé du communisme au fascisme au nom de la défense des classes populaires.
Ses propos relèvent plutôt d’un populisme de gauche qui regarde explicitement du côté de Georges Marchais. Or, le député-maire de Vénissieux n’est pas aussi seul que les médias voudraient le croire[5]. Sa sortie traduit peut-être la résurgence, à gauche, d’un discours hostile à l’immigration. Dans les années 1930, les syndicats de « gens du spectacle » et surtout les salariés des studios de cinéma ne protestaient-ils pas, quoique souvent proches de la CGT, contre la concurrence des immigrés d’Europe de l’Est et surtout d’Allemagne après 1933 ?
Décidément, être de gauche ne vaut pas automatiquement brevet de bienveillance ou de générosité à l’égard des immigrés…
Un débat nécessaire à gauche… et en France !
Enfin, les propos du maire communiste de Vénissieux doivent en réalité être considérés comme les symptômes d’une crise de la gauche et, plus largement, du modèle français d’intégration.
Qui sait en effet ce que pensent le Parti socialiste, les Radicaux de gauche, les Verts ou le Front de gauche sur l’immigration ? Au-delà des procès en fascisme ouverts tous les matins à l’actuelle majorité, les positions de fond de ces formations politiques sont inaudibles. La gauche modérée a-t-elle décidé de rompre avec un antiracisme différentialiste, angéliste et auto-flagellateur ? Si oui, au profit de quoi ? D’un retour à un antiracisme assimilationniste, bref à la toise républicaine telle que la prône Jean-Pierre Chevènement ?
Quant au modèle français d’intégration, qui osera en proposer un bilan global pour les 30 dernières années ? Est-on sûr qu’il fonctionne si mal ? Comment l’améliorer significativement sans en revoir les logiques, le fonctionnement ? Doit-on changer de modèle ? Enfin, la condescendance que les Français affectent pour ce qu’ils croient comprendre du communautarisme anglo-saxon est-elle justifiée ?
Qu’on le veuille ou non, ces questions seront présentes dans la campagne présidentielle qui va s’ouvrir. Et il est fort à parier que le candidat qui saura y répondre avec pragmatisme, humanisme et détermination l’emportera dans les urnes.
David Valence est responsable du blog www.trop-libre.fr
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Crédit photo : Flickr, lyonenfrance
[1] Ariane Chebel d’Appolonia, Les frontières du racisme. Identités, ethnicité, citoyenneté, Paris, Presses de Sciences-Po, 2011, p. 7.
[2] Ibid., p. 6.
[3] Pascal Cauchy, L’élection d’un notable, Paris, Editions Vendémiaire, 2011, P. 61-66.
[4] Posons ici cette hypothèse : autant que d’un désir d’égalité réelle, le communisme peut être considéré comme la traduction idéologique d’une aspiration des individus au même, à l’identique. Ou plutôt, il est un point de radicalité à partir duquel l’aspiration à l’égalité réelle conduit nécessairement à la haine du différent, du non-conforme, bref de l’Autre.
[5] 40% des Européens estimaient, en 2006, que les immigrés provoquaient une augmentation du chômage des nationaux. Arina Chebel d’Appolonia, op. cit., p. 73.
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