Le « néolibéralisme » à l’origine d’une nouvelle bureaucratie ?

Fondapol | 29 décembre 2012


4911839845_ab8bed65d8_oLa bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale,
Béatrice Hibou, ed. La Découverte, Paris, 2012, 221 p., 17 euros

La bureaucratie néolibérale, un paradoxal succès

L’auteur souligne d’emblée un paradoxe : l’idéologie néolibérale est par essence antibureaucratique tout en étant à la source d’une production inégalée de normes. Reposant sur la « fiction » de la domination morale de l’entrepreneur et du financier, la bureaucratisation néolibérale favoriserait la pénétration sociale des valeurs du marché à travers un processus bottom-up.

En ce sens, le New Public Management a adapté dans le domaine politique une culture du consensus et de l’évitement des conflits, fondée sur la fiction d’un mode de gouvernance apolitique pour ne pas dire acéphale.

 

L’absence d’intention claire

Dépourvue d’intention clairement identifiée (à l’instar de la vision rationaliste d’un Max Weber), le néolibéralisme bureaucratique serait par essence contradictoire, créant les divisions qu’il prétend résoudre. En imposant son corpus de normes – liberté de circulation, austérité budgétaire, concurrence pure et parfaite – il conduirait à l’émergence de relations conflictuelles entre le Nord et le Sud, entre les États européens vertueux et ceux qui ne le sont pas – comme la Grèce « obligée » de mentir, entre les pays qui luttent contre la contrefaçon et ceux qui la tolèrent.

C’est à ce point précis de l’ouvrage qu’apparaît le postulat de l’auteur. La longue litanie des coupables et des victimes du « système » néolibéral, bien que sans lien direct avec la thèse centrale de l’ouvrage, révèle ses affinités idéologiques. Sous sa plume, le néolibéralisme semble le nouveau visage de ces libertés formelles masquant la lutte des classes à l’échelle mondiale.

 

Réapparition du mythe du « sabbat de sorcières »

Troisième paradoxe de la bureaucratie néolibérale : le climat d’incertitude du à la croissance des normes et au brouillage des frontières représente un terrain favorable aux éventuelles tentatives de manipulations politiques.

L’auteur cite à titre d’exemple la lutte contre le blanchiment. Cette politique publique est l’occasion, pour ceux qui détiendraient le pouvoir, de manier la rhétorique du complot et de désigner des bouc-émissaires à travers une nouvelle « classe dangereuse » de criminels économiques, réminiscence contemporaine des légendes superstitieuses sur les « sabbats de sorcières » dans l’Italie du 17ème siècle. Instrument politique et outil policier, la bureaucratisation néolibérale progresserait ainsi à la faveur des principes de précaution et de réputation dans un contexte de peur diffuse.

 

Le concept de l’individu responsable et libre au service de la bureaucratie néolibérale

Paradoxe ultime, la bureaucratie néolibérale accroîtrait enfin sa domination grâce au concept largement imaginaire mais opérateur de l’individu « responsable », doté d’une faculté de choisir illimitée. Confronté à l’anxiété du choix et vidé de sa subjectivité par cette opération d’abstraction,  l’individu, régi par les normes bureaucratiques,  est assimilé à un dossier, une charge de travail ou un « certificat » de victime.

Objet d’une multiplicité de normes, l’individu les reçoit au pire dans l’indifférence au mieux dans le soulagement de ne pas avoir à choisir. Selon l’auteur, cette bureaucratisation, qui ambitionne de façonner un être à son image, représente une menace pour les libertés qu’elle prétend pourtant défendre.

 

Insituable pouvoir

Pour l’auteur, le pouvoir de la bureaucratie néolibérale a des attributs orwelliens. Omniscient, son lieu, son centre est impossible à situer. Cependant, à la différence  de 1984, il n’est pas détenu par une oligarchie secrète agissant dans l’ombre. Le pouvoir actuel est mouvant : il est mu par une « constellation d’intérêts ».

Cette adaptation à la contradiction des intérêts est la principale faiblesse de la bureaucratie néolibérale : elle est incapable de prendre une direction claire. Néanmoins, grâce à cette plasticité, elle peut plus facilement « digérer » ses adversaires.

 

La résurgence d’un discours classique antilibéral

En définitive, Béatrice Hibou nous propose une lecture intéressante d’un pouvoir néolibéral en contradiction avec les idéaux qu’il affiche. Se réclamant d’une morale de la liberté d’entreprendre et d’investir, il serait en fait le lieu de rencontre des intérêts dominants.

Pour autant, s’il dénonce les contradictions d’une idéologie de la liberté qui devient normative, l’ouvrage de Béatrice Hibou est lui-même paradoxal.

En effet, le propos de l’auteur, entre analyses objectives et interprétations idéologiques, demeure par trop dans l’indéfinition quant à son propos.

De cette confusion naît une utilisation excessive de la notion de bureaucratie néolibérale, érigée en facteur explicatif universel : à lire Béatrice Hibou, toutes les grandes injustices de notre temps en découlerait.

En réalité, le prisme tiers-mondiste et victimaire de l’ouvrage le porte vers les mêmes dérives que le pouvoir qu’il dénonce : le vague des intentions et l’hégémonisme intellectuel.

François de Laboulaye

 

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