Le Parti Mouvement de la Terre portugais : un objet politique non-identifié

Fondapol | 21 juin 2014

21.06.2014Le Parti Mouvement de la Terre portugais : un objet politique non-identifié

Au Portugal, la surprise des élections européennes n’est pas venue d’une montée de l’extrême droite. C’est le Parti Mouvement de la Terre (MPT) qui a créé l’événement. Représenté par l’ancien Président du Barreau portugais, Marinho e Pinto[1], le parti a remporté plus de 7 % des suffrages et gagné deux sièges au Parlement de Bruxelles[2]. Si le parti n’a rien d’un Front National, sa place sur l’échiquier politique n’est pas facile à déterminer : 47,6 % des Portugais déclarent ne pas savoir où ce mouvement politique se situe[3].

Un pays bousculé

Depuis la crise profonde qui a fait sombrer le Portugal en 2009, la sphère politique semble fragilisée. La succession des plans d’austérité, instaurés aussi bien par des gouvernements socialistes que libéraux, a entraîné des mouvements de contestation et contribué à une perte de repères vis-à-vis des clivages partisans.

La croissance commence toutefois à pointer le bout de son nez. La tutelle européenne devrait prendre fin rapidement, quoique la transition ne soit pas tout à fait définie. Mais si la contestation s’est apaisée, cela n’empêche pas le gouvernement d’avoir été puni par les urnes : accusant une chute de 12 points, l’alliance de droite du Parti social-démocrate et du Parti populaire (PSD/PP) au pouvoir enregistre un score de 27,7 % des voix. Le Parti socialiste se place en tête avec 31,5 % des voix, en augmentation de 4 points, avec un résultat plus faible qu’il ne l’espérait. La grande gagnante des élections reste néanmoins l’abstention, qui s’élève à plus de 66 %. Du jamais vu au Portugal. Ces résultats, et ceux du MPT, constituent un désaveu pour le clivage partisan traditionnel.

Aux racines du MPT

Le MPT est désormais la quatrième force politique du pays. Le parti, fondé en 1993 par Gonçalo Ribeiro Telles, se revendique ruraliste et écologiste. Il est très critique envers la classe politique dans son ensemble, et pointe du doigt le système partisan, la corruption et les mesures d’austérité avant tout. Monarchiste et très actif dans la lutte contre le régime de Salazar, l’homme fonde le Parti Monarchiste Populaire (PPM) en 1974 dans le cadre de la Révolution des Œillets. Le parti, démocrate et centriste, prend part à l’Alliance démocratique aux côtés du CDS/PP et du Parti social-démocrate, au pouvoir après la chute de Salazar entre 1978 et 1983. Ribeiro Telles quitte la tête du PPM en 1993 pour créer le Parti Mouvement de la Terre, dont il sera le président jusqu’en 2007[4].

Le  véritable tournant dans le destin du parti s’est opéré lorsque Marinho e Pinto a choisi d’intégrer la formation à l’occasion de la campagne des Européennes. Personnage très médiatique de par l’importance politique de la présidence du Barreau, plusieurs partis politiques ont tenté de le rallier à leur cause[5]. D’autant plus que l’homme s’est fait remarquer par sa personnalité charismatique, et ses prises de position controversées. Pinto dit s’être reconnu dans les idéaux du MPT, et s’est trouvé parachuté en tête de la liste du parti.

 « Démocratie, liberté, citoyenneté et écologie »

Bien qu’il admette la nécessité des partis politiques, le mouvement souhaite introduire plus de démocratie participative afin de respecter au mieux les intérêts du peuple[6]. Le passé d’avocat de Pinto le pousse à s’intéresser particulièrement aux questions judiciaires : lutte contre les crimes commis par les grandes entreprises, la corruption et le trafic d’influence, et mise en place d’une justice de proximité sont ses principaux combats. Le programme du MPT évoque aussi la lutte contre la désertification des campagnes et la solidarité avec les populations fragiles, dont les personnes âgées, les jeunes mais aussi les migrants font partie.

Dans le cadre de la campagne électorale, le MPT ne peut être classé parmi les nombreux partis eurosceptiques. Cela ne l’empêche pas de reprocher à l’Union Européenne son aspect technocratique, et son manque de légitimité démocratique. C’est pourquoi le mouvement prône un retour aux principes originaux de la construction européenne, qui seraient en contradiction avec sa forme actuelle : une Europe de la finance qui, négligeant le peuple, aurait mis de côté sa dimension sociale. Pinto milite pour une régulation financière et bancaire, mais aussi pour la lutte contre la pauvreté et les inégalités économiques, sociales et territoriales.

Le principal cheval de bataille du MPT reste l’écologie. Le parti revendique la nécessité de poursuivre les efforts déjà engagés par l’Union, concernant la lutte contre les OGM, la préservation de la biodiversité, ou encore le développement des énergies vertes. Il souhaite la mise en œuvre d’une politique industrielle pour une croissance verte, et la transition vers une économie à faible utilisation de carbone.

Au Portugal, une stratégie électorale particulière ?

Le Portugal, même s’il connaît une embellie, n’est pas tiré d’affaire. Souffrant d’un fort taux de chômage, allant jusqu’à 37,5 %[7] chez les moins de 25 ans, le pays connaît une situation démographique alarmante. Le taux de fécondité n’a jamais été aussi faible, et les jeunes générations sont tentées de partir. Près de 130 000 Portugais ont émigré en 2013, précipitant le vieillissement de la population. En proportion, cela signifierait le départ de 802 000 Français chaque année[8] !

Les seniors représentent ainsi une force électorale majeure, vers laquelle le MPT a su orienter son discours[9]. Ce facteur, cumulé à la grande popularité de Marinho e Pinto, peut expliquer la percée fulgurante du parti : micro-parti lors du scrutin européen de 2009 (0,67 %), le MPT a réalisé un score dix fois plus important cette année (7,14 %).

Difficile de se caser, quand on est le MPT…

Aux vues du programme électoral du parti, il serait logique de le voir rejoindre Europe Ecologie – Les Verts au sein du Parlement européen. C’est en effet ce que le MPT a tenté de faire dans un premier temps. Mais sans succès, car le mouvement sait aussi se montrer très conservateur : il s’oppose à la dépénalisation de l’avortement et des drogues douces, du mariage gay et de l’adoption. Les écologistes n’ont pas pu s’accommoder d’une telle vision de la famille[10]. Le second choix du MPT s’est donc porté sur la formation du centre, à savoir le groupe démocrate-libéral.

Le Parti Mouvement de la Terre est pour le moins atypique. Démocrate et monarchiste, socialiste, écologiste et conservateur, on accuse le parti de surfer sur la vague du populisme. Somme toute, il est inclassable. N’est-ce pas un ingrédient qui pourrait le propulser au-delà du Parlement européen ? Pourrait-il, par son originalité, se faire une place dans le paysage politique portugais ? Tout reste encore à confirmer, car le parti n’a pas garanti sa participation aux prochaines élections[11].

Enora Pollet

Léna Discala

Crédit photo : Parti Mouvement de la Terre

[1] Público, “Para Marinho e Pinto, eleição para o Parlamento Europeu « é o resultado natural de um processo »”, http://www.publico.pt/politica/noticia/para-marinho-pinto-eleicao-para-o-parlamento-europeu-e-o-resultado-natural-de-um-processo-1637433

[2] Site du Parlement européen, http://www.resultats-elections2014.eu/fr/election-results-2014.html

[3] Noticias ao Minuto, “Portugueses querem Marinho nas legislativas e presidenciais”

http://www.noticiasaominuto.com/politica/232186/portugueses-querem-marinho-nas-legislativas-e-presidenciais

[4] Fernando Santos, Gonçalo Ribeiro Telles : Fotobiografia

[5] Jornal de Negócios, “Marinho Pinto será o cabeça de lista do MPT às eleições europeias”,http://www.jornaldenegocios.pt/economia/detalhe/marinho_pinto_sera_o_cabeca_de_lista_do_mtp_as_eleicoes_europeias.html

[6] Programme du MPT pour les élections européennes, http://mpt.pt/programa/

[7] RTBF, “Plus de 128 000 Portugais ont fui la crise en 2013, l’exode s’accélère”, http://www.rtbf.be/info/societe/detail_plus-de-128-000-portugais-ont-fui-la-crise-en-2013-l-exode-s-accelere?id=8293730

[8] Données de la Banque mondiale

[9] Correio da manhã, “Joana Amaral Dias : “A Esquerda  não sabe criar emoções””, http://www.cmjornal.xl.pt/detalhe/noticias/outros/domingo/joana-amaral-dias-a-esquerda-nao-sabe-criar-emocoes

[10] Correio da manhã, “Marinho Pinto acusa lóbi gay”, http://www.cmjornal.xl.pt/detalhe/noticias/nacional/politica/marinho-pinto-acusa-lobi-gay

[11] Tvi24, “Marinho e Pinto : segundo eleito não é inesperado, mas aumenta responsabilidades”, http://www.tvi24.iol.pt/politica/marinho-pinto-marinho-e-pinto-eurodeputado-europeias-mpt-tvi24/1557386-4072.html

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