Le retour de la monarchie impériale
18 juillet 2018
Les questions institutionnelles n’intéressent guère les Français. La réforme décisive du quinquennat a été adoptée dans l’indifférence générale il y a dix-huit ans et les projets du président Macron en la matière suscitent peu de réactions. Pourtant, étrange paradoxe, la France a, depuis la Révolution, fabriqué beaucoup de constitutions et nombre de crises majeures, marquées par l’effondrement brutal et inattendu du régime en place, jalonnent son histoire depuis deux siècles : 1814/1815, 1830, 1848, 1870, 1940, 1958. Mais après tout dira-t-on, les trois dernières s’inscrivent dans un contexte de guerre et la France, en paix depuis deux générations, a peut-être pour cette raison cessé toute réflexion critique en la matière. Mieux encore ce pays, pourtant épris de commémorations, a oublié de célébrer les soixante ans des institutions gaulliennes : indifférence ? Acte manqué ? Excès de confiance d’un pouvoir qui se croit inébranlable ? L’histoire comparée peut toutefois amener à davantage de circonspection et les évolutions symétriques du Second Empire et de la Cinquième République pourraient inciter le pouvoir à la prudence – la vertu cardinale des politiques selon Aristote et saint Thomas d’Aquin -.
Le Second Empire, une monarchie impériale qui se libéralise
Comme l’avait bien vu François Furet, le Second empire offre l’exemple exceptionnel d’une dictature qui se libéralise par la volonté de son chef. Au début du régime, Napoléon III est un autocrate, légitimé toutefois par le suffrage universel. Il concentre ainsi la totalité des pouvoir exécutif – il y a des ministres qui sont de simples commis et pas de collégialité gouvernementale – et législatif – le Corps législatif se contente de voter les lois préparées par le Conseil d’État nommé par l’Empereur -. En 1870, l’Empire autoritaire s’est libéralisé : le pouvoir législatif est libéré de la tutelle impériale et retrouve l’initiative des lois, le gouvernement en partie aussi puisque responsable devant le souverain il l’est également devant les chambres. Le régime reste néanmoins plébiscitaire. Or il s’effondre précisément quatre mois après le vote des Français qui a largement ratifié sa transformation. Comment l’expliquer ? Par la défaite de Sedan le 2 septembre 1870 assurément. Mais plus profondément, le Second Empire est mort de ne pas avoir assumé totalement les conséquences de sa libéralisation qui était une tentative pour enrayer les oppositions. En 1870, le chef du gouvernement Emile Ollivier et la majorité du Corps législatif sont contre une guerre voulue par les bonapartistes autoritaires qui ont l’oreille d’un Empereur soucieux de retrouver sa légitimité. Le résultat est l’inverse de celui attendu : la France est vaincue, l’empereur est prisonnier, personne ne songe à proclamer la régence : l’Empire disparaît et les libéraux orléanistes d’abord, républicains ensuite « ramassent » selon le mot de Jules Ferry un pouvoir tombé à terre. La libéralisation du régime n’était plus compatible avec son caractère plébiscitaire. L’Empereur aurait dû en tirer les conséquences et se muer en arbitre. Pour les adversaires du régime, la déclaration de guerre à la Prusse résonnait en effet comme le désaveu par Napoléon III des évolutions constitutionnelles engagées. Il fallait en tirer les conséquences.
La Cinquième République, de la dyarchie à la monarchie impériale
La Cinquième République a connu en soixante ans une évolution inverse de celle du Second Empire, évolution encore accélérée depuis dix-huit ans par l’adoption du quinquennat et ses conséquences.
La Constitution de 1958 a embarrassé les politistes, étant « à la fois parlementaire et présidentielle » (C de Gaulle). Car à l’origine, le régime est bien fondé sur une dyarchie de l’exécutif : d’un côté, un président de la République au pouvoir fort qui recouvre un droit de dissolution tombé en désuétude depuis la crise du 16 mai 1877 et incarne la continuité de l’État et l’unité de la Nation – d’où dans l’esprit du général de Gaulle la nécessité de son élection au suffrage universel –, de l’autre un gouvernement responsable devant l’Assemblée Nationale. Un Second Empire qui serait allé au bout de sa logique libérale en quelque sorte. Les mandats de l’Assemblée et du Président n’étant pas alignés, les cohabitations des années 1980 et 1990 sont d’ailleurs venues rappeler qu’en dépit de la présidentialisation du régime depuis 1958, ce dernier était aussi bien parlementaire que présidentiel ! Or depuis l’adoption du quinquennat en 2000 – une machine de guerre contre la cohabitation – et la pratique du pouvoir de Nicolas Sarkozy et plus encore d’Emmanuel Macron, il est permis de se demander ce qu’il reste du caractère libéral – orléaniste aurait dit Maurice Duverger – des institutions. Naturellement les commentateurs n’en ont cure, empressés plutôt à saluer la dimension jupitérienne du pouvoir présidentiel, la droite gaulliste qui ne réfléchit plus beaucoup salue sans doute ce qu’elle croit être un retour au bonapartisme du général tandis que la gauche de gouvernement, à supposer qu’elle existe encore, semble avoir oublié que toute son histoire depuis le XIX è siècle – Mitterrand excepté ! – est celle d’une défiance à l’égard d’un exécutif fort. Or Emmanuel Macron, bien davantage que Nicolas Sarkozy, précipite l’évolution des institutions de la Cinquième République en sens inverse de celle suivie par le régime de Napoléon III. Qui ne voit en effet que son Premier Ministre n’est qu’un simple « collaborateur » à la tête d’un gouvernement de « commis », responsable pour la forme devant une Chambre des députés où le parti du Président, peuplé de députés qui lui doivent tout, a la majorité absolue ? Le retour au Second Empire à ses débuts ou peu s’en faut. Pour bien signifier le peu de cas qu’il fait de son gouvernement, le Président envisage d’ailleurs non seulement de venir régulièrement s’exprimer devant le Congrès mais encore de répondre lui-même aux questions de ses membres – c’est l’un des éléments du projet de réforme constitutionnelle -. Il est douteux, en revanche, qu’il se lance dans l’aventure référendaire ! Elle serait pourtant dans la logique de sa pratique du pouvoir, comme il aurait été dans la logique du pouvoir libéralisé de Napoléon III d’y renoncer. Mais alors en cas de contestation du Président plébiscitaire qui a peur du référendum, sondages oblige, vers quoi les Français pourront-ils se tourner ?
Entre la France et lui, Macron, restaurateur de la monarchie impériale première manière, ne veut rien. L’écroulement du vieux monde politique l’a aidé à faire place nette. Il n’y a plus de dyarchie de l’exécutif, plus de pouvoir parlementaire, un monopole décisionnel de ce que Nicolas Roussellier dans son brillant essai sur le pouvoir exécutif appelle « l’État administratif » (1), plus d’opposition et pas d’appel au peuple. Soit.
Après lui, Napoléon III laissait les libéraux et les républicains. Et Macron ?
Vincent Feré
(1) Nicolas Roussellier, La force de gouverner ? le pouvoir exécutif en France XIX è–XXI è siècle Gallimard, 2015
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