Le tirage au sort : une solution « multi-démocratique »

21 novembre 2013


21.11.2013Le tirage au sort : une solution « multi-démocratique »

L’idée de tirer au sort les représentants politiques peu sembler être une idée folle mais elle s’argumente. Ce procédé, qui peu sembler peu commun, est appliqué dans quelques pays comme l’Islande mais également en France. Les jurés citoyens ou ceux des cours d’assises sont tirés au sort. Ce système bouleverse notre idée de la démocratie participative, cependant il permettrait à chacun d’être tour à tour citoyens et députés.

Les Français et la politique : un désamour croissant

Le constat est atterrant : 70 % des Français ne font confiance ni aux hommes ni aux femmes politiques[1] et 85 % d’entre nous pensent que les responsables politiques ne prennent pas en compte leur avis[2]. Il existe donc un fossé entre la vie politique (et institutionnelle) et les citoyens, qui s’en désintéressent voire en sont dégoûtés[3].

Ce désamour se retrouve clairement dans les résultats des élections, à l’exception des élections présidentielles qui, de par le statut particulier du président, chef de l’État et figure de « l’homme providentiel », restent beaucoup moins sensibles aux évolutions de l’opinion. En observant les élections législatives en France sous la Vème République, on note que l’abstention ne cesse d’augmenter depuis 1988, atteignant près de 50 % en 2012 !

La démocratie représentative en quelques mots

L’appellation de démocratie est rattachée, en réalité, à une multitude de systèmes politiques ayant leurs propres particularités. On ne peut guère, en effet, comparer aisément la cité athénienne et la république française, pour des questions tant de contexte social, économique et politique que de fonctionnement institutionnel. Pour autant, le vocable de « démocratie » est encore utilisé, avec une nuance tout de même : il est plus juste de parler, pour la France (comme pour l’Angleterre ou les États-Unis), de démocratie représentative.

La démocratie représentative peut être définie selon quatre principes: (1) « les gouvernants sont désignés par élection à intervalles réguliers » ; (2) « les gouvernants conservent, dans leurs décisions, une certaine indépendance vis-à-vis des volontés des électeurs. » ; (3) « les gouvernés peuvent exprimer leurs opinions et leurs volontés politiques sans que celles-ci soient soumises au contrôle des gouvernants. » ; (4) « les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la discussion. »[4]

« Élections, piège à c… » ?

Or, à la différence des deux derniers principes – la liberté d’expression et le principe de délibération en Assemblée –, les deux premiers apparaissent discutables.

L’élection, au premier chef, n’est pas à même de garantir le caractère démocratique d’un régime. Montesquieu (mais aussi Aristote) considérait l’élection comme étant le mode de désignation d’une élite, et donc de nature aristocratique (ou oligarchique) – il suffit de regarder la composition de l’Assemblée nationale pour s’en rendre compte[5]

L’Abbé Siéyès explique ainsi lors d’un discours que l’élection de représentants n’a rien de démocratique mais permet justement d’écarter le peuple du pouvoir : « Le peuple […] dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »[6] – autrement dit, les élus politiques s’expriment à la place du peuple.

C’est là que se pose la problématique de l’indépendance des représentants : nous avons certes la liberté d’opinion, nous pouvons critiquer librement nos représentants, mais n’avons aucun pouvoir pour les démettre de leurs fonctions s’ils ne respectent pas leurs promesses ou même notre avis. Or, un régime qui se revendiquerait de la démocratie se doit d’avoir des contre-pouvoirs, et populaires de surcroît car l’essentiel, « ce n’est pas l’origine des pouvoirs, c’est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants. »[7].

Ce n’est donc pas tant l’élection en elle-même qui pose problème, que l’absence de contrôle qui est exercée sur son produit : les représentants. 

Le tirage au sort en politique : quésaco ?

En revanche, le tirage au sort en politique peut devenir une solution simple et efficace de construire un contre-pouvoir populaire et démocratique, tout en satisfaisant tous les citoyens qui désirent participer plus activement à la politique sans pour autant y faire « carrière ».

L’idée serait de créer une « Assemblée des Citoyens » composée de députés tirés au sort. Ce nouvel organe législatif prendrait lieu et place du Sénat. Le fonctionnement serait le suivant : tout citoyen de plus de 18 ans peut déposer une candidature à sa préfecture ; la préfecture vérifie que le candidat est « éligible au sort » (casier judiciaire vide, entre autres critères) et valide ; le tirage au sort a lieu, le candidat sélectionné peut accepter ou refuser d’aller siéger à l’Assemblée ; la préfecture lui propose, s’il a accepté de siéger, des formations de base (économie, politique, droit…), facultatives. Le député tiré au sort est désigné pour un mandat d’un an, révocable (par ses pairs ou une commission indépendante qui surveille la gestion de ses comptes de député) et non-renouvelable : il exerce donc son rôle à plein temps et sous un strict contrôle.

L’ « Assemblée des Citoyens » peut modifier et voter les lois avec l’Assemblée nationale, mais ne peut en proposer que sur la base d’un Référendum d’Initiative Populaire. Elle peut également, avec l’Assemblée nationale, révoquer le Président de la République ou son gouvernement par le même procédé.

Un tel système de députés tirés au sort a ainsi l’avantage d’être équitable, impartial et représentatif de la population, tout en permettant la participation de tous à la vie politique sans subir les coûts de l’élection. Certes, le risque d’incompétence, l’absence de mérite lié au procédé de sélection et l’artificialité de l’égalité qu’il met en œuvre constituent autant d’inconvénients, mais ceux-ci sont moindres comparés aux avantages que procure ce système, et ne sont pas tous propres au tirage au sort : l’incompétence de certains députés de l’Assemblée nationale n’est pas à démontrer, et l’égalité des députés élus n’est pas du tout une réalité.

Le tirage au sort en politique serait donc un moyen de questionner les fondements de notre démocratie en la rendant plus participative et donc plus encline à former de véritables citoyens. Elle permettrait également de réduire considérablement le fossé qui sépare les citoyens français de la vie politique en les inscrivant directement dans les différents processus de décisions qui la construisent.

Charles-Antoine BROSSARD

Crédit photo: Flickr: Phil Grondin



[1]    Sondage LH2 pour « Le Nouvel Observateur », La confiance des Français dans les acteurs politiques, avril 2013.

[2]    Sondage OpinionWay pour le « Cevipof », Baromètre de la confiance politique. Vague 4, décembre 2012.

[3]    Sondage OpinionWay pour « Le Figaro » et « LCI », Les conséquences de ‘l’affaire Cahuzac’ : attentes à l’égard du Président de la République et image de la politique et des élus, avril 2013.

[4]    Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996, pp. 17-18.

[5]    Éric Keslassy, Une Assemblée nationale plus représentative ? Sexe, âge, catégories socioprofessionnelles et « pluralité visible », Institut Diderot, Les Notes de l’Institut Diderot, Automne 2012.

[6]    Abbé Siéyès, Dire de l’abbé Siéyès, sur la question du veto royal à la séance du 7 septembre 1789.

[7]    Alain, Propos sur le pouvoir. Éléments d’éthique politique, Paris, Folio Essais, 1985.

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